In Morocco, opera, education and art, the universal basis of civilization and freedom


« Opéra et Maroc » a priori ces deux mots semblent ne pas s’aboucher. Je dis bien a priori car a posteriori j’ai pu constater que depuis 15 ans l’Orchestre Philarmonique du Maroc présente chaque année un opéra propre à faire pâlir d’envie bien des institutions internationales. Rien que ces 5 dernières années : Tosca, avec entre autres Jean-Philippe Lafont, Bohême, Traviata, Don Giovanni et Rigoletto. Cette prouesse, les Marocains la doivent à un homme remarquable : Farid Bensaid. Président fondateur depuis 18 ans de cette structure, il n’est pas uniquement un homme d’affaires reconnu ayant l’oreille attentive de Sa Majesté, il est également premier violon de l’ OPM , cet orchestre composé de 80 musiciens essentiellement marocains, dont le siège est situé à Casablanca.

En homme éclairé Monsieur Bensaid est allé plus loin pour partager sa success story. Il a non seulement créé les deux Ecoles Internationales de Musique et de Danse du Maroc, mais il est également le fondateur du projet Mazaya, œuvre sociale destinée aux jeunes marocains défavorisés. Ainsi, des centaines d’enfants grâce à cette formidable initiative sont scolarisés le matin et apprennent à jouer d’un instrument l’après midi. Mais revenons à l’opéra. Lorsque le metteur en scène Jean-Marc Biskup avec qui j’avais travaillé sur Don Giovanni il y a quelques années, m’a contacté en décembre 2013, j’ai d’abord cru à un canular de Noël : «Serais tu libre en avril prochain pour chanter Le Commandeur à Rabat… ?» J’étais loin alors d’imaginer que j’allais tomber follement amoureux de ce pays et de ses habitants. A tel point que le Maroc est devenu la toile de fond de mon prochain roman « Le papillon omnivore » mais c’est une autre histoire.

Nous voici donc partis, le metteur en scène et moi pour ‘évangéliser’ 1000 bambins de Casablanca à Rabat en passant par Mohamedia, Kenitra… et les préparer à la représentation générale de Don Giovanni au Théâtre Mohamed V de Rabat. Notre mission : amener l’opéra aux enfants sans toutefois perdre l’essence de sa superbe complexité, faite de musique codifiée, de théâtre chanté et de mises en scène souvent chargées de conventions. Nous devions aider cette jeunesse à s’intégrer dans une culture qui n’est ni la sienne, ni celle d’aujourd’hui. Cette dernière répétition destinée au jeune public fut un moment de grâce dont je me souviendrai longtemps.

Olécio partenaire de Wukali

Imaginez-moi, arrivant aux saluts, encore couvert d’argile des pieds à la tête comme une statue de Commandeur avec 1000 enfants qui hurlent mon prénom. Les 3 représentations qui ont suivies n’ont pas démenti l’engouement populaire des spectateurs marocains pour l’opéra car elles se sont faites à guichet fermé ce qui n’est pas rien pour une jauge de 1800 places. Quant aux chanteurs, un cast franco-italien, des liens forts s’étaient noués dans ce pays où tout n’est que convivialité et je ris encore de notre Don Giovanni (Paolo Pecchioli) capable de faire la roue pendant l’air du champagne. Aussi, le cœur gros, je rentrais en France après trois semaines de lévitation.


Quel ne fut pas mon bonheur lorsqu’on m’invitait à nouveau l’année suivante pour chanter Monterone dans Rigoletto. J’allais vérifier l’adage selon lequel derrière chaque grand homme se trouve une grande dame. Cette fois je fis la connaissance de Btissam Bensaid, l’épouse de l’entrepreneur d’exception emblématique de ce Maroc contemporain qui s’ouvre au monde et que j’avais approché l’année passée. Je n’allais pas être déçu par cette personne raffinée et cultivée, fondatrice d’une école de communication, c’est elle qui dirige les deux écoles de musique. A mon programme déjà chargé allait se rajouter une Masterclass où je découvrais avec un plaisir gourmet de vraies voix, ainsi qu’une intense soif de chant lyrique. Quant à ce Rigoletto, il restera pour moi un des plus beaux spectacles auquel j’ai participé, entouré d’une troupe de géants. La mise en scène de Jean-Marc Biskup était chatoyante, ses costumes fabriqués sur place par des couturiers marocains selon des esquisses de la cour de Mantoue, rutilaient. Le décor également construit par les ateliers du théâtre et magnifié par un travail précis d’éclairage habitait parfaitement la scène immense du Théâtre Mohamed V. L’orchestre quant à lui sonnait formidablement sous la baguette du maestro Benoît Giraud. Le plateau, je le dis sans pudeur, était digne des plus grandes maisons d’opéra et renforcé encore par le chœur professionnel «Les voix du Maroc».

Voilà ! 4 soirées lyriques inoubliables et toujours ces enfants qui sifflent sur nos têtes. Je garderai jusqu’à mon dernier souffle le souvenir de ces 1000 « petits » spectateurs hurlant de joie pendant des saluts qui durèrent dix bonnes minutes, nous obligeant à nous boucher les oreilles. A présent vous ne pourrez plus dire que Rabat ne rime pas avec opéra. Mais l’Orchestre Philarmonique du Maroc ne se résume pas à l’opéra. En effet, cette formation présente 30 à 40 concerts par an, touchant ainsi chaque année 40 000 spectateurs. Par son travail rigoureux, cet ensemble est en passe d’accéder au niveau des grands orchestres symphoniques et ainsi acquérir une reconnaissance sur les scènes musicales nationales et internationales. Si le cœur vous en dit, pourquoi ne pas assister au Carmen dirigé par Olivier Holt au Théâtre Mohamed V de Rabat en avril 2016 ? Mon petit doigt me souffle que vous ne serez pas déçus par ce formidable orchestre et les R’batis tellement accueillants.

Patrick Alliotte


Wukali accueille avec un grand bonheur Patrick Alliotte parmi ses chroniqueurs, il est chanteur lyrique, il a été accueilli par la plupart des scènes françaises dans des rôles de baryton-basse. Il a récemment écrit un roman intitulé: L’épopée Despieds, publié aux éditions Symétrie. La recension critique en a été faite dans WUKALI. Il vient de chanter dans La Traviata juste jouée au Grand Théâtre de Tours


WUKALI 1ère mise en ligne : 25/05/2015

Courrier des lecteurs: redaction@wukali.com

Illustration de l’entête: photo Les inspirations ECO


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