An extensive study of one of the most famous of all Italian Renaissance artists


Nous ignorons la date de naissance exacte de Donato Bardi, passé à l’histoire sous le nom de Donatello. Traditionnellement on la situe entre 1386 et 1388. Il est issu d’une famille peu aisée : son père était cardeur de laine. On retrouve le jeune homme comme « compagnon » dans l’atelier de Ghiberti, entre 1404 et 1407. C’est l’époque où ce dernier travaille à la première porte du Baptistère de Florence. L’élève apprendra de son maître les techniques de fusion du bronze et celles de création des bas-reliefs.
Il aura comme condisciple Nanni di Banco, jeune sculpteur très doué avec lequel il débutera sa carrière en s’associant avec lui. Au musée de l’œuvre du Dôme (Florence), à côté du Saint-Jean l’évangéliste de Donatello, on peut voir le Saint-Luc de Nanni qui ne lui cède en rien. Malheureusement, Nanni meurt très jeune et Donatello continuera seul.

Il aura des relation assez conflictuelles avec Paolo Uccello, le peintre inventeur de la perspective qu’il codifiera dans un petit opuscule « La divine perspective  ».
Après un voyage à Rome où il découvre l’antiquité romaine, il commence sa carrière florentine et devient vite le premier sculpteur de son temps : son génie éclate dès ses premières commandes (David de marbre), qui se mettent à affluer. En 1428, il ouvre son propre atelier dans la ville.
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Le point d’équilibre de ses recherches, à la fois synthèse, aboutissement et renouvellement se situe dans la création du David de bronze conservé au Bargello, à Florence.

Olécio partenaire de Wukali

Entre 1444 et 1453, il travaille à Padoue où il exécutera sa célébrissime statue équestre du Guattamelata, inspirée du Marc-Aurèle de la place du Capitole à Rome, la première de ce type créée depuis l’antiquité. Même si l’on ne peut pas la qualifier de chef d’œuvre (les forces centrifuges étant beaucoup trop fortes), elle amorce un renouveau qui aura de nombreux enfants (du Condottiere de Verrocchio au général Carlos de Alvear de Bourdelle).

Dans la même ville, Il réalisera un authentique chef d’œuvre, malheureusement démonté plus tard, : le maître-autel de la Basilique Saint-Antoine avec un Christ en croix inoubliable pour quiconque l’a vu.

Revenu à Florence, il se consacrera surtout aux bas-reliefs des chaires de bronze de Saint-Laurent mais il créera encore une œuvre déchirante : une Marie-Madeleine de bois bouleversante, à la fois extase et agonie. Atteint de paralysie, il mourra en décembre 1466.

Remarquons que ces deux villes sont des centres de cultures humanistes. Il existe trois grands centres : humanismes épigraphique et archéologique à Padoue, philosophique et philologique à Florence, mathématique à Urbino d’où viendra Raphaël.

Nous savons peu de choses sur la vie personnelle de l’artiste. Il ne s’est jamais marié, vivant toute son existence au milieu de ses condisciples d’abord, de ses alter ego ensuite, de ses élèves au final. Nous savons qu’il était très mauvais gestionnaire : il faisait de très mauvais investissements, était un tantinet panier percé, ne voulant se consacrer qu’à son art et à rien d’autre !

Le puissant Cosme de Médicis, quasi-dictateur de Florence, que l’on peut considérer comme le premier banquier moderne, dut le protéger de lui-même toute sa vie et, sur son lit de mort, il fit jurer à son fils Pierre de continuer ce « mécénat paternel », ce qui advint.|center>

Donatello est un des très grands artistes de la Renaissance, mais que recouvre ce vocable ?

Disons que le mécénat artistique de l’époque, basé sur la création d’immenses fortunes en lien avec le commerce, était une manière de passer à l’histoire universelle mais pas uniquement. Ce n’est sûrement pas un hasard si ces événements se sont produits dans la région du monde où les techniques de crédits bancaires étaient les plus avancées : que l’on sache que les banquiers florentins et milanais pratiquaient l’arbitrage au treizième siècle ! Et ce n’est qu’un exemple. On pourrait aussi dire que les succursales de ces banques, italiennes comme européennes, étaient les plus réactives, les plus modernes et travaillaient en étroite liaison avec leurs maisons-mères. Rappelons que les croisades avaient fait gagner un argent fou à Venise d’abord mais aussi aux autres entités capitalistes d’Italie. C’est tellement vrai que la Sérénissime avait réussi à détourner une croisade qui se termina par la prise de Constantinople par les Croisés (1204), mettant fin à la concurrence du à l’Empire d’Orient  !

Rajoutons encore que la personnalité de Cosme de Médicis, l’inventeur du capitalisme mondial, est hors-normes. Son sang froid, ses connaissances techniques, sa capacité réactive, sa force morale comme son manque de scrupules n’avaient aucune limite. Seul comptait pour lui le but à atteindre et il réussit dans TOUTES ses tentatives pour « faire de l’argent ». Le mot échec lui était inconnu, voire impensable !

L’Italie de cette période était morcelée et, d’évidence, aucun « sentiment national » n’existait. Toutes ces principautés divisées ne connaissaient que la loi du plus fort. Les alliances se faisaient et se défaisaient suivant les nécessités du moment et presque personne, avant Machiavel, ne croyait à ce rêve, à ce mythe qui deviendra réalité seulement au milieu du 19ème siècle.

Bien sûr, il y eut d’innombrables autres facteurs qui entrèrent en jeu. Une vie ne serait pas suffisante pour tout décortiquer…

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Il y a une vingtaine d’années, un film d’animation : « Les tortues Ninja  » mettait en scène 4 tortues héroïques aux noms de : Léonardo , Michelangelo, Raffaello et…Donatello ! C’était faire de l’excellente histoire de l’art en replaçant le sculpteur au niveau qui est le sien : celui des génies universels.

La Renaissance dans les beaux-arts  commence en 1401 avec le concours pour la deuxième porte du Baptistère de Florence, remporté par Ghiberti. Donatello fut apprenti chez Ghiberti(1403) qui le marquera à jamais. Puis il s’associe à Nanni di Banco (1406/1408) pour la décoration de Santa Maria del Fiore. Il discutera beaucoup avec Paolo Uccello, l’inventeur de la perspective. On doit se rappeler cette petite phrase du sculpteur au peintre : « Une fois que tu as prononcé le mot de « divine perspective », qu’en fais-tu ?  ». C’est une attaque implicite de l’utilisation du terme par Uccello  car sa perspective est encore confuse, discordante. Donatello préfèrait les actes aux paroles. Ce sera ainsi toute sa vie.

Donatello est un créateur doublé d’un expérimentateur, d’un inventeur, d’un colonisateur de terres nouvelles encore inconnues. Avec lui, il y aura beaucoup de « première fois ».|left>

David 1408/1409,
Marbre. Musée du Bargello, Florence

L’esprit gothique (pas de contraposto, point de vision unique) s’unit à une tension morale particulièrement sensible dans l’expression corporelle, à une fierté spirituelle devenue dignité humaine inconnue dans l’art de l’époque. Le visage au regard expressif dédaigneux, l’allongement du cou, le jeu des mains, la tête de Goliath ressemblant à celle d’un bélier sont les caractères les plus évidents de cette sculpture novatrice. Ce que son temps comprit pleinement.

Saint Jean l’Évangéliste 1408/1415
Marbre. Musée de l’œuvre du Dôme, Florence

Dans sa niche d’origine, il était fait pour être vu d’en-bas. Donatello commence ses recherches expérimentales, notamment celle qui consiste à faire qu’une sculpture prenne possession de son espace environnant. Cette statue servit de point de départ à Michel-Ange pour son Moïse  : regard perçant et pénétrant, main ouverte sur le livre, immense barbe dont on voit le moindre poil, vêtement ample, traitement réaliste du sujet…

Christ en croix
Bois attribué à l’artiste. Église Santa Croce, Florence

Visage ultra-réaliste qui fit dire à Brunelleschi qu’il avait mis un paysan sur la croix. C’est l’expression de la puissance créative de l’artiste, de son originalité, de sa recherche permanente de nouvelles formes expressives à expérimenter en-dehors de toute règle établie : que l’on admire la fusion du Christ et de la croix, le détachement du corps triomphant plutôt que martyrisé ou l’envergure autant mentale que physique des bras.

Saint Georges 1416
Marbre. Orsanmichele, Florence

C’est la création de jeunesse la plus importante, elle présente une ressemblance assez nette avec le David mais la prise de possession de l’espace est complète : l’axe du bouclier autour duquel s’articule la figure le montre, ainsi que la ligne en spirale du manteau. L’énergie vitale qui s’en dégage est inconnue dans la sculpture de ce temps. Fierté,vivacité, animation interne y cohabitent. L’espace est calculé, mathématique.Le saint se dresse de toute sa force, morale comme physique, devenant un élément de certitude : il fera face au mal quel qu’il soit.

Formant prédelle au pied de la statue un bas-relief montre le saint terrassant le dragon pour libérer la princesse de Cappadoce, la technique appliquée ici est celle du « relief aplati  ». Technique portée à son maximum d’efficacité par l’artiste tout au long de sa carrière, où il donne au marbre les caractéristiques de la peinture et du dessin. Les figures dynamiques du premier plan se meuvent dans un paysage panoramique, autre apport novateur de l’artiste.

Isaac / Prophète au parchemin 1415/1420
Marbres. Musée de l’oeuvre du Dôme, Florence
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Revendication de la primauté de l’être humain, de l’expression de ses sentiments inconnue dans l’art de ce temps. La potentialité du mouvement est encore contenue mais l’explosion des tensions internes est proche . Le visage du prophète au parchemin est d’un réalisme achevé. Il exprime une tristesse, une détresse morale poignante.
Dans le groupe d’Isaac, le développement dynamique vertical est parfait, cet essai audacieux tenté par l’artiste est un succès total. L’espace se morcelle suivant d’innombrables points de vue.

Buste de San Rossore 1425/1427
Bronze doré. Musée National de San Mateo, Pise

Le réalisme poussé du visage qu’irradie une force morale intérieure triomphe aidé par la finesse de la réalisation technique. Le regard renfermé sur sa personne, la tête légèrement baissée montrent la puissance de sa vie intérieure. Son humanité est complète, devenant plénitude.

Jérémie/ Abacuc 1423/1426.
Marbres. Musée de l’oeuvre du Dôme, Florence

La fusion entre espace et personnage devient élément constitutif de l’œuvre. Le développement des drapés, ascensionnel et fusionnel, provoque l’accentuation du mouvement. La perfection technique du travail sur la surface des marbres atteint son apogée dans le traitement hyper-réaliste des visages qui nous font comprendre leur détresse morale, leur désarroi psychologique.

Le Festin d’Hérode 1423/1427.
Bas-relief, bronze, 60cm par 60. Baptistère de Sienne

L’accélération de la représentation de la profondeur de l’espace annonce les bas-reliefs de Padoue. C’est un espace tridimensionnel que nous propose l’artiste : le rendu de la profondeur, qui nécessite une perspective maîtrisée, est enfin conquis par Donatello comme le prouvent les trois plans constitués : la table et les personnages autour, les musiciens derrière les arcades, les servantes et le cuisinier au fond qui ouvre sur l’extérieur par un escalier de pierres et nous livre ainsi un de secret psychologique de l’artiste : il a besoin garder le contact avec le monde du dehors.

David de bronze 1430/1433
Bronze du Bargello, Florence
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Cette sculpture est probablement la plus belle, la plus esthétique, la plus classique, la plus pure de toutes les représentations humaines parvenues jusqu’à nous.
Elle est archétypale et intemporelle, avec elle Donatello clos sa première période artistique. La jeunesse éblouissante comme l’élan vital qui éclatent dans ce bronze résument le passé tout en annonçant le futur. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une révolution de l’art de la statuaire
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Avant cette œuvre , le contraposto inventé par les sculpteurs grecs de l’âge d’or règne en maître (Praxitèle l’a popularisé mais pas créé, l’invention en revient à l’époque de Polyclète). C’est un instant de transition dans le mouvement en opposition avec l’immobilité. Il est circonscrit dans le bassin et marqué au niveau de la hanche. C’est une harmonie de rupture : le mouvement s’amorce aux hanches mais le torse reste immobile.
Avec le David, premier grand nu de bronze fondu depuis l’antiquité(1m38), la synthèse est dynamique, la recherche est dans l’essence du mouvement. L’artiste déplace le centre de gravité de la hanche à la taille, impliquant une modification sans retour de la structure organique du corps. Le torse est libéré de ce carcan, de ce « corset psychanalytique » qui le paralysait. Il s’anime d’une vie jusqu’alors inconnue. La dynamique nouvelle invite à la rotation. La perception circulaire de la sculpture est née. Le mouvement devient une création de l’imagination.

Il faudra attendre Brancusi pour assister à une mutation équivalente : à l’équilibre des masses de la sculpture classique, il substituera l’équilibre des forces plus apte à exprimer le dynamisme de notre époque.

L’Annonciation 1435
Pierre, Église Santa Croce, Florence

Nous sommes ici à la limite du classicisme et du maniérisme, pour la première fois dans l’œuvre de l’artiste. L’influence de son deuxième séjour romain est évidente dans la floraison décorative de la niche( l’encadrement, la porte et l’autel) comme dans le développement spatial des vêtements de la vierge et de l’ange.

Malgré ces aspects gênants qui bloquent la vision en profondeur de l’espace, une « grâce gracile » née de la douceur et du respect de l’Ange agenouillé devant la Vierge, étonnée mais pas effrayée, domine cette création. Le rendu extrêmement vivant de la scène nous séduit par son réalisme comme par son unité triple : spatiale, temporelle et psychologique. C’est sans aucun doute la sculpture la plus éloignée de l’idéal classique exprimée dans le David de bronze qui la précède de peu. Ce qui prouve, une fois de plus, qu’un artiste de génie peut parfaitement extérioriser et contrôler les tendances différentes, voir opposées, qui bouillonnent en lui.|center>

Cantoria 1433/1438

Dynamisme joyeux, orgiaque, accentué par la scène qui se déroule derrière les colonnettes : une farandole furieuse des amours aux attitudes les plus variées. Ils bougent, courent, dansent sur un fond doré, impalpable, symbole de l’infini. L’unité spatiale de la Cantoria est due à cette fulgurance de l’artiste qui a eu cette idée, invraisemblable pour l’époque, de sculpter la scène au second plan : il oblige le spectateur à faire l’effort de regarder celle-ci en détaillant les masses apparentes. C’est la première fois qu’un tel événement se produit dans l’art de créer en trois dimensions. Quand on regarde l’œuvre de près, on s’aperçoit que les visages sont assez mal traités, manquant de réalisme. Mais ce n’est pas important pour le sculpteur qui travaille sur le sujet de manière globale.

Crucifix 1444/1449
Bronze. Basilique Saint-Antoine, Padoue

Appelé à Padoue, Donatello y réalisera le maître-autel de la cathédrale, sur une période très longue. Nous savons que le maître-autel devait créer une scénographie saisissante, malheureusement la disposition originale de l’œuvre a été perdue par suite de changements variés de son emplacement. On ne peut donc pas se faire une idée exacte de la puissance organique de l’ensemble. Nous devons nous en tenir à ce que nous voyons : des éléments individuels de plus ou moins grande qualité.

Le crucifix, qui ne devait pas faire partie du maître-autel, atteint une perfection classique qui n’a rien à envier à celle du David de bronze. La recherche des effets de lumière, accentués, participant, eux-aussi, à cette victoire de l’esprit sur la matière. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le rendu miraculeux des muscles du thorax, l’allongement parfait des jambes et des pieds, l’envergure des bras ou la grandeur morale qu’exhale le visage extatique. Le travail du bronze (qui prit 4 ans) est transcendantal : la qualité de l’alliage utilisé, le polissage, la patine atteignent un sommet technique qui ne sera pas égalé avant des siècles. Chaque élément cité concoure à ce triomphe, évidemment espéré par l’artiste, mais l’ensemble dépasse, et de loin, la somme des parties.
On ne se lasse pas de regarder cette merveille grandeur nature(176cm) que l’artiste a piégé de son âme. Sa beauté physique irradie sa beauté morale intérieure. La fascination visuelle que ressent le spectateur tourne à la béatitude…Preuve supplémentaire (s’il en était besoin) du génie du sculpteur.
C’est une œuvre intemporelle, frappée du souffle divin.

La Vierge 1448
Bronze. Basilique Saint-Antoine, Padoue

Autre élément du maître-autel du Santo de Padoue. C’est une prêtresse orientale, un peu mystérieuse, entre deux sphinx aux visages riants. Cette Vierge étrange, ni debout ni assise, s’éloigne si considérablement du type occidental habituel qu’elle est d’inspiration ancienne : romaine sûrement, peut-être même étrusque. Ce qui signifie que l’artiste a du se souvenir d’une statue vue à Rome, au Vatican  ??

Son aspect archaïque saute aux yeux : frontalité, axe de symétrie, visage figé, lourdeur des draperies, vision unique de face, immobilité en sont les caractéristiques visibles. Elle manque de souffle épique. Son côté brutal, terre-à-terre, étant soulagé par la présence de l’enfant-dieu, seul élément mobile de la sculpture. Elle se situe aux antipodes du crucifix. C’est une œuvre mal inspirée d’un sculpteur talentueux.

Miracle de la mule/ Miracle du Nouveau-né 1447
Bas-reliefs bronze. Basilique Saint Antoine. Padoue|center>

Dans la série des « Miracles » Donatello utilise la technique du méplat : les surfaces sont rabotées, la lumière s’y brise, éclaire les profondeurs, l’atmosphère se met à vibrer. Les figures complexes deviennent vibrations de lumière digérées par les fonds. La mise en évidence de ceux-ci donne primauté à l’expression de l’architecture. Dans les 4 bas-reliefs, le mouvement tumultueux de la foule qui se presse, le vacarme qui en émane, le tohu-bohu infernal qui en résulte sont rythmés par la scansion géométrique des éléments d’architecture, véritables protagonistes de la scène : encore une invention du sculpteur, la profusion décorative des fonds restant contrôlée.

L’extraordinaire rendu de la profondeur, comme la maîtrise de la perspective, rajoutent à l’unité organique des miracles qui se centrent autour du « fait brut » qu’ils décrivent. Le mouvement centrifuge est partout, triomphe complet du créateur-né qu’était Donatello, seigneur et maître de la sculpture de ce temps.

Le Gattamelata 1446/1450
Statue équestre en bronze. 340cm. Padoue, Piazza del Santo

Il s’agit de la première statue équestre créée depuis l’Antiquité romaine. Étant donné que l’élaboration d’une telle œuvre est le travail le plus complexe, le plus désiré, le plus difficile pour tous les sculpteurs de tous les temps, on comprendra qu’il s’agissait d’un défi relevé par Donatello.

Il n’était pas que sculpteur mais aussi fondeur et maître-bronzier, qualités indispensables pour tenter une aventure pareille.

Ses seules références visuelles étaient les statues survivantes de la Rome antique : les chevaux de Saint-Marc à Venise, le Marc-Aurèle cavalier de Rome et la statue appelée le « regisole » qui était à Pavie à l’époque. Il représentait l’empereur Antonin sur son cheval favori mais fut, malheureusement, détruite par les vandales révolutionnaires pendant la campagne d’Italie de Bonaparte.

C’est un monument funéraire élevé à un chef de guerre, un « condottiere  » italien. Cheval et cavalier ne font qu’un. Le canon de l’animal est assez court, trapu : aspect particulièrement visible au niveau de l’encolure. Il est en train de marcher au pas: trois pattes sont au sol alors que la quatrième est en mouvement. Une sorte de fierté démonstrative se dégage de la bête à la tête légèrement tournée sur sa gauche. Le rendu de la crinière, de la queue, des sabots, du mors sont réalistes. L’artiste a du observer un cheval de cette espèce. Le cavalier, âgé d’une bonne quarantaine d’années, semble centrer sur lui-même dans l’acte de la réflexion. Sa tête est une étude physionomique aboutie : Donatello a beaucoup travaillé sur la ressemblance. Le syncrétisme du monument est une réussite complète : le piédestal n’a aucune vie par lui-même, étant soumis à la statue équestre.

Le Gattamelata deviendra le prototype de tous les monuments équestres à venir, preuve du triomphe reconnu à l’artiste tant par son époque que par les siècles qui ont suivi.

La Madeleine 1453/1455
Bois. Musée de l’oeuvre du Dôme, Florence
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Cette œuvre est, pour le bois, l’équivalent de ce qu’est le David pour le bronze : la plus puissante parvenue jusqu’à nous, d’une perfection totale.

Le dépouillement des formes y atteint son paroxysme. En respectant le tissu ligneux l’artiste, pour rendre son idée de départ correcte, se trouve dans l’obligation de tailler dans le sens du bois, c’est-à-dire de la plus grande hauteur. Ce qui explique la taille de la Madeleine (188cm).

Regardons-là de près : le visage émacié où seule la peau cache les os est celui d’une vieille femme. La chevelure tombante se raccorde au vêtement de peau de bête recouvrant le corps jusqu’aux genoux. Une infinie douleur confinant à l’extase religieux s’empare de la face de la pécheresse repentie : que l’on observe le pli amer des lèvres, la présence des deux dents isolées sur la mâchoire inférieure de la bouche, les immenses yeux aux paupières lourdes ou les joues molles…Jusqu’au cou flasque qui en rajoute, à l’instar des pieds décharnés ou des mains allongées surprises en prières  ! La décrépitude est totale. Et pourtant…Jamais de tels sentiment d’abandon et de défaite n’ont conduit à une telle certitude : le triomphe de l’esprit sur la matière, de la spiritualité sur le doute, de l’humain hissé au niveau du divin…Quant à la polychromie c’est une merveille, une symphonie de couleurs ocres. La Madeleine fut immédiatement reconnue comme un chef d’œuvre mais totalement incomprise, comme la plupart des créations de Donatello.

Les chaires de San Lorenzo 1460/1466
Bas-reliefs bronze, Église San Lorenzo. Florence

Dernières créations de l’artiste, terminées par ses élèves après sa mort (Bertoldo et Bellano). Un fourmillement de personnages occulte l’espace des bas-reliefs. La moindre place étant occupée, le spectateur a des difficultés à accrocher son regard à un élément stable. L ‘allongement des figures et le fini obsessionnel des reliefs, étrangers à l’art de Donatello, démontrent l’importante participation de l’atelier. L’idée, la mise en place générale, le découpage des scènes ainsi que les modèles en cire reviennent au maître. La mise au tombeau comme la descente de croix montrent un arrière-plan, certes encombré mais réel. Ces reliefs furent très appréciés car ils atténuent la puissance créatrice de l’artiste par la collaboration de l’atelier, la rendant ainsi plus compréhensible et plus acceptable au public cultivé de l’époque.

Donatello a imposé une nouvelle conception de l’art de sculpter par sa puissance visionnaire, par ses capacités techniques qui lui permettaient de travailler indifféremment bois, marbre, bronze, pierre, etc… Par son sens inné de la synthèse, par sa prescience de l’avenir qui lui permirent de jeter un pont avec le passé classique de Rome, de provoquer une révolution artistique avec son contraposto, d’anticiper les travaux de l’époque baroque. Ce que comprendront les maniéristes qui lui feront un triomphe posthume en le portant au pinacle.

Mais c’est Vasari, le grand historien de l’art de la Renaissance finissante, qui lui rendra le plus bel hommage : un jour qu’il regardait des feuilles d’études de dessins de Michel-Ange (Buonarotti de son nom de famille), il écrivit sur l’une d’elles «  Quand Donatello buonarotise, Buonarotti donatellise   »… Aujourd’hui, l’histoire de l’art a ratifié ce jugement.

Jacques Tcharny


WUKALI 29/07/2015
Courrier des lecteurs: redaction@wukali.com

Illustration de l’entête: détail Abraham et Isaac. 1421


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