A lyric tenor voice that shimmered like silver


Difficile de ne pas sentir un pincement au cœur en apprenant la disparition, à l’âge de 91 ans, de[** Nicolaï Gedda*], le 8 janvier 2017, décès que sa famille n’a révélé que le 9 février dernier.

Il appartenait à une génération de chanteurs que les progrès techniques de l’enregistrement sonore (microsillons et début de la stéréo) ont fait connaître au plus grand nombre, à la fin des années 1950. Au plaisir de découvrir des artistes que la plupart des mélomanes n’auraient pu espérer voir se produire en province, s’ajoutait celui de posséder les intégrales du grand répertoire lyrique international, servi par les meilleures interprètes du moment et souvent présentés dans de luxueux coffrets.
Nicolaï Gedda avait un avantage sur bien de ses collègues : il était parfaitement polyglotte. Par ses origines, il parlait suédois et russe. Son enfance passée en Allemagne devait lui permettre de maîtriser l’allemand. Le français, l’anglais, l’italien suivront. Il chanta même en hébreu, sans parler du latin. Il possédait une articulation particulièrement soignée et claire dans tous ces idiomes, avec une maîtrise non moins évidente des styles spécifiques à chacun des répertoires nationaux. D’où le nombre exceptionnel des enregistrements qu’il laisse, estimé à quelques 200 titres, qu’il s’agisse d’opéras, d’opérettes, de lieder, d’oratorios.

Olécio partenaire de Wukali

Cela n’aurait pas été possible sans une technique vocale impeccable qui lui permettait d’atteindre un contre ré rayonnant dans l’air célèbre du Postillon de Lonjumeau, rôle de ses débuts sur scène en 1951. Si le timbre n’avait pas un charme exceptionnel, le chanteur savait utiliser sa voix avec souplesse et maîtrisait comme personne l’art des demi-teintes et des sons filés. Autant d’atouts obtenus grâce à un travail acharné, entamé dès le plus jeune âge. Celle qu’il crut longtemps être sa mère, fille d’un réfugié russe, avait recueilli l’enfant que son frère avait eu avec une Suédoise. Elle épousa un cosaque ayant fui la révolution russe. Le petit Nicolaï ignora jusqu’à l’adolescence qui étaient ses vrais parents. Alors qu’il a 4 ans, la famille s’installe à[** Leipzig*] où le chef de famille est cantor à l’église russe orthodoxe de la ville. C’est là que le jeune garçon, sous la férule de son père adoptif, commence à chanter. En 1934, fuyant le nazisme, ses parents regagnent la [**Suède*]. Dès son bac obtenu, Nicolaï doit travailler dans une banque pour aider sa famille, tout en continuant à chanter à l’église. Faute de pouvoir entrer à la Royal Academy of Music, il prend à l’automne 1949, un professeur de chant, [**Martin Öhman*], grand interprète wagnérien des années 1920-30 à [**Vienne*] qui, outre Gedda, a formé la basse[** Martti Talvela*]. Quelques mois plus tard, notre ténor gagne le prix Kristina Nilsson et, tout en travaillant toujours à mi-temps à la banque, il est accepté comme auditeur libre à l’Academy of Music.


Missa Solemnis : Kyrie. Christa Ludwig, Nicolai Gedda, Nicola Zaccaria, Elisabeth Schwarzkopf, Herber von Karajan, London Philharmonia orchestra, Vienne, 1958.

C’est alors que le sort lui sourit enfin : en 1951, l’Opéra de Stockholm l’engage dans le rôle-titre du Postillon de Lonjumeau. Un mois plus tard, de passage dans cette capitale où son épouse, [**Elisabeth Schwarzkopf*], donne un concert, [**Walter Legge*] organise des auditions : il recherche des chanteurs sachant le russe pour son enregistrement de Boris Godounov. Nicolaï Gedda obtient le rôle du faux Dimitri et un contrat exclusif de deux ans avec « His Master Voice ». À 26 ans, une carrière internationale s’ouvre devant lui. Le célèbre producteur britannique le met en relation avec [**Herbert von Karajan*]. Il engage le jeune ténor pour chanter en 1953, à la Scala de Milan, Don Ottavio dans le Don Juan de Mozart et Sposo dans Il Trionfo di Afrodite de [**Carl Orff*] et à la RAI, à [**Rome*], pour Oedipus Rex de [**Stravinsky.*] L’année suivante, Gedda fait ses débuts à l’Opéra de Paris dans Oberon, à Covent Garden dans le Duc de Mantoue. La même année, 1957, le Festival de Salzbourg l’invite pour L’Enlèvement au sérail et le MET l’accueille en novembre dans Faust. Il y chantera pendant 25 saisons, soit 367 prestations dans 70 rôles, sa dernière apparition sur cette scène dans La Traviata datant de novembre 1983.


Franz Lehar. La Veuve joyeuse. Direction Willy Mattes,1967.

Dans le même temps, le ténor participe à des enregistrements, essentiellement chez [**EMI*], qui feront date : 1952, Die lustige Witwe de [**Frantz Lehár*], avec [**Elisabeth Schwarzkopf,*] dirigé par[** Otto Ackerman*] (la même équipe se reforme entre 1958 et 1960 pour Das Land des Lächelns et, de [**Johann Strauss*], Der Zigeunerbaron, Wiener Blut, Eine Nacht in Venedig) ; 1953, Faust de [**Gounod*] aux côtés de Victoria de los Angeles et [**Boris Christoff*] sous la direction d’[**André Cluytens*], en mono ; la même équipe refera une version stéréophonique de cette œuvre en 1958 ; 1954, premier récital avec le fameux air du Postillon et première collaboration avec [**Maria Callas*] dans Le Turc en Italie. Les deux artistes se retrouvent l’année suivante dans Madama Butterfly, dirigés par [**Herbert von Karajan*]. Gedda se brouillera ensuite avec le chef autrichien non sans avoir auparavant gravé avec le Maestro la première édition en microsillon de la Messe en si de [**Bach*] puis la première version stéréophonique de la Missa Solemnis de [**Beethoven*]. Il retrouvera Callas une dernière fois, en 1964, dans Carmen, sous la direction de [**Georges Prêtre.*] Il avait déjà enregistré cet opéra en 1959, avec [**Victoria de Los Angeles*] (avec laquelle, il chanta souvent à la scène comme en témoignent de nombreuses prises sur le vif), sous la direction de [**Sir Thomas Beecham*]. Il continuera sa carrière discographique avec de grands chefs ([**Mitropoulos, Giulini, Krips, Klemperer, Davis, Maazel, Plasson, Bernstein*]), en compagnie des plus grandes chanteuses : [**Sills, Caballé, Freni, Rothenberger*].


Leonard Bernstein. Candid. London Symphony orchestra

Son dernier enregistrement, Candide, de et avec [**Bernstein*], chez [**DGG*], date de 1989. Il a alors 64 ans. Si sa voix de ténor lyrique a évolué, il a su garder, grâce à sa technique sans faille, un aigu d’une aisance étonnante jusqu’à un âge avancé. Ce que saluera [**Pavarotti*], pourtant champion en la matière, en affirmant : « Il n’y a pas de ténor vivant qui ait une plus grande facilité dans le registre aigu que Gedda. » En 1998, il chante lors d’un concert en hommage à [**Franco Corelli*]. Il a alors 73 ans : malgré un vibrato certain, le registre aigu reste encore préservé. Son dernier concert remonte à ses 80 ans : pour ses adieux publics il a choisi la chorale russe orthodoxe qui avait vu ses débuts de soliste à Stockholm, à l’âge de 11 ans.

Ses qualités musicales en ont fait un parfait serviteur de[** Mozart*] (La Flûte enchantée avec [**Karajan,*] puis [**Klemperer*], 1964), L’Enlèvement au Sérail, chanté en anglais sous la direction de [**Yehudi Menuhin*], en 1967, Idoménée (1972, [**Schmidt-Isserstedt*]), Requiem (1987, [**Barenboim*]). Il faudrait ajouter toute une page de musique religieuse : Missa Solemnis de [**Beethoven*] ([**Karajan)*], Messe en Si mineur de [**Bach Klemperer*]). Ses prestations en russe restent rares, alors qu’il a chanté à [**Moscou*] (Boris Godunov, Grigory/Dimitri, dir. [**Jerzy Semkov*], 1977 ; l’Innocent, dir. [**Mstislav Rostropovich,*] 1989).


Boris Godounov. Nicolaï Gedda et Boris Christoff. Orchestre National de la Radiodiffusion Francaise,Issay Dobrowen

S’il a abordé l’opéra italien (Rigoletto, Traviata), ce n’est peut-être pas là où il a le plus brillé, même s’il n’a pas hésité à aborder, à près de 50 ans, le rôle d’Arturo dans I Puritani de [**Bellini*] et Arnold dans Guillaume Tell de [**Rossini*], malgré la performance vocale que cela représente dans le registre aigu. En revanche, son apport à l’opéra français est incontestable. Outre son Faust (il participera dans ce même rôle à la célèbre production iconoclaste de[** Jorge Lavelli*], à l’Opéra Garnier, en 1976) et son Don José, rôles déjà évoqués, il a chanté et enregistré celui d’Hoffmann (Offenbach, Les Contes d’Hoffmann, avec [**Elisabeth Schwarzkopf, Victoria de los Angeles*], 1964 ; il reprend ce rôle au Palais Garnier, dans la mise en scène de [**Patrice Chéreau*] de 1974) ; de[** Massenet*], Werther (avec Victoria de los Angeles, 1970), Des Grieux (Manon avec [**Beverly Sills*], 1979), Nicias (Thaïs, avec Beverly Sills, 1976), le Prince charmant (Cendrillon avec [**Federica von Stade*], 1978) ; de Julien ([**Charpentier*], Louise, avec Beverly Sills, 1977) ; de[** Berlioz*], Benvenuto Cellini (avec Christiane Eda-Pierre, 1972) ; Ratan-Sen ([**Roussel*], Padmavati, avec [**Marilyn Horne)*], 1982. On n’oubliera pas la jeunesse fervente dont il fit preuve dans le rôle de Vincent ([**Gounod,*] Mireille, avec [**Janette Vivalda)*] qu’il joua lors du Festival d’Aix-en-Provence, en 1954, l’opéra étant donné en plein air, sur les lieux même de l’action. Il existe deux captations, en mono, l’une en direct et l’autre en studio. Toujours à [**Aix*], il se produira encore dans Le Devin du Village, Platée et Orphée. Au disque, il laisse une intégrale des Pêcheurs de perles (1960, avec [**Janine Micheau)*], des extraits de Lakmé (1962, avec [**Gianna d’Angelo*]), de Romeo et Juliette.


Les pêcheurs de perles. Enregistrement studio, 1953.

Aucun ténor français, à son époque, ni avant ni depuis, n’aura à ce point servi le répertoire national, toujours avec une parfaite pertinence stylistique. De plus, le rayonnement international de[** Nicolaï Gedda*] aura eu le mérite d’attirer l’attention des mélomanes étrangers sur un répertoire parfois oublié au-delà de l’Hexagone. « Si je chante une œuvre en français, je veux être aussi Français que possible ; je veux exprimer toute sa clarté et sa transparence ». Cette citation du chanteur lui-même pourrait s’appliquer à tous les répertoires qu’il a abordés. Preuve d’une probité et surtout d’une intelligence musicale exceptionnelles.


Faust. Gounod. Acte III, cavatine « Salut, demeure chaste et pure« .

C’est souvent à la disparition de quelqu’un que l’on mesure l’importance de son rôle, en l’occurrence la place occupée dans la vie lyrique internationale par Nicolaï Gedda. Elle paraît immense à ce jour et, fait rare aujourd’hui, sans esbroufe et sans sacrifier à l’air du temps.

[**Danielle Pister*]
Maître de conférences émérite des Universités, vice-présidente du Cercle lyrique de Metz
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Les Pêcheurs de Perles. 1996


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WUKALI 17/02/2017
Illustration de l’entête: Dagens Nyheter ©Henriksson

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