A dual identity


« Qui est vraiment enterré dans la tombe de Grant ? Un héros de la démocratie, un général boucher, ou un politicien corrompu ? » Voilà comment conclu l’historien américain Joan Waugh sa biographie du 18ème président des Etats-Unis d’Amérique. Conclusion citée par Vincent Bernard dans celle qu’il vient de consacrer à Ulysses S. Grant. Au lecteur de se faire une idée, même si toutes les études actuelles des deux côtés de l’Atlantique tendent à sortir Grant de sa légende noire due essentiellement aux scandales de corruption qui ternirent ses deux mandats présidentiels.

De fait, en France on ne connait généralement que le général, le vainqueur magnanime du** général Lee*] (dont nous ne pouvons que vous conseillez de lire, si cela n’est pas fait, l’excellente [ biographie publiée par les éditions Perrin, dont j’ai fait une brève recension dans Wukali) et fort peu le président. A une exception près toutefois, la bande dessinée Lucky Luke ! Le héros de Morris et Goscinny rencontre dans de nombreux albums, le président Grant. Dans certains, ce dernier apparait comme aimant un peu trop l’alcool, rumeur tenace qui perdure et qui lui a été reproché de son vivant. « Médisez, médisez, il en restera toujours quelque chose. »

Hiram Ulysses Grand est né dans l’Ohio en 1822 dans une famille de tanneurs. Une famille pour qui le travail et l’ascension sociale sont une priorité absolue, une famille souhaitant l’abolition immédiate de l’esclavage. L’ainé de la famille n’ayant aucune appétence pour les peaux, son père arrive à le faire entrer dans la, déjà, prestigieuse université militaire de West Point. C’est là, grâce aux méandres incompréhensibles de l’administration militaire qu’il devint Ulysses S. Grant (le S. étant le nom de famille de sa (très) discrète mère : Simpson). A cette époque l’armée américaine est minuscule, rares sont les officiers. C’est à West Point qu’il rencontre plusieurs futurs officiers qui vont se combattre lors de la guerre civile. Grant s’ennuie durant les cinq ans que durent sa formation. A son issue, le sous-lieutenant breveté participe à la guerre du Mexique (essentiellement comme officier d’intendance), où grâce à des actions improbables, il est perçu comme un vrai héros. Il étonne ses hommes et sa hiérarchie par les qualités dont il fait montre : un grand courage physique, une impassibilité totale même aux moments les plus « stressants », une stupéfiante rapidité d’analyse, des ordres clairs et une volonté farouche pour atteindre le but qu’il s’est fixé.

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A la fin de la guerre, il reprend la « routine » de la vie militaire, se retrouve en Californie. Mais en bute avec sa hiérarchie, s’ennuyant, n’ayant jamais apprécié la vie militaire, il démissionne de l’armée en 1854. Entre temps, il a réussi à se marier avec la sœur d’un de ses amis de West Point, Julia Dent, fille d’un couple de notables du Tennessee, esclavagiste notoire. Le couple, très uni, aura 4 enfants. Grant, tout comme Lee, sera tout au long de sa vie un père aimant, protecteur, essayant, coute que coute, de privilégier sa vie familiale. Commence pour le couple des années difficiles, d’abord dans l’agriculture puis dans le commerce, domaines dans lesquels, Grant a surtout brillé par sa totale incompétence.

En 1861, au début de la guerre, quand Lincoln demande des volontaires, l’ancien capitaine Grant, seul officier du comté, se réengage. Non parce qu’il est abolitionniste comme son père (à l’inverse de son beau-père), mais parce qu’il défend l’entier territoire de son pays dont une partie ne peut faire sécession. Très vite il se fait remarquer par son sens de l’organisation, son activité incessante, son charisme. Le reste on le connait : des commandements de plus en plus importants, des actions téméraires, des échecs, mais surtout des succès parfois avec des pertes énormes. La presse qui sait se montrer féroce contre lui et louangeuse le lendemain, de solides inimitiés parmi les officiers, mais aussi des amitiés profondes, un profond respect de la part d’autres. Or quand ce sont des généraux comme Sherman, Sheridan ou Meade (le vainqueur de Gettysburg), il n’avait que de vrais alliés. Après la prise de la place de Vicksburg jugée imprenable, il est convoqué par le président Lincoln qui le nomme Lieutenant général en 1864. Chef de toutes les armées du Nord, il mène une guerre à outrance, mais sur les champs de bataille, pas des bureaux à Washington. Après une campagne particulièrement meurtrière (son but était de détruire l’ennemi par une « guerre totale »), il se montre magnanime lors de réédition de l’armée du général Lee à Appotomax. La guerre n’est pas totalement finie, mais elle est gagnée et Grant est devenu un vrai héros national.

Invité par le président Lincoln à venir au théâtre avec lui, il prétexte une obligation familiale. Booth avait le projet de l’assassiner lui aussi et le destin de l’Amérique aurait pu être autre. Pour autant Grant fut persuadé toute sa vie que s’il avait été dans la loge avec Lincoln il aurait pu, peut-être, dévier le bras de l’assassin.

Les relations que le général entretient avec le président Johnson furent très tendues et exécrables. Sans faire campagne, sans vraiment le désirer, il est le candidat républicain et est élu président (il fera deux mandats). Grant a essayé avant tout de reconstruire le Sud, essayé d’empêcher la ségrégation raciale, les lois qu’il arrive à faire passer sont très « novatrices » pour l’époque. Il a été aussi très attentif au sort des indiens. Avec la création du parc de Yellowstone, il fait montre d’une sensibilité « écologique » rare pour son époque. Mais ses mandats sont entachés par des scandales de corruption touchant son entourage qu’il défend parfois contre les faits.

Grant fut un homme profondément honnête, parfois jusqu’à la naïveté, n’imaginant pas que les autres puissent poursuivre des buts illégaux. Tout au plus s’est-il mal entouré. Sa gestion de la crise économique de 1873 finit par faire de lui un président haï. Aussi les républicains ne le proposent pas pour un troisième mandat.

Revenu à la vie civile, il part en voyage en Europe en famille. De fait, ce voyage devient une tournée triomphante à travers le monde (car il va en Inde, Chine et finit au Japon). Il est reçu par les chefs d’Etat la reine Victoria trouve son fils particulièrement mal élevé). Cette « tournée » permet au monde de découvrir « physiquement » cette nouvelle nation qui commence à montrer sa puissance.

Revenu aux Etats-Unis d’Amérique, il commence une vie de retraité vivant de ses rentes (il n’a aucune retraite ni comme général, ni comme président), mais un escroc avec lequel un de ces fils s’était allié, provoque la ruine familiale. Aussi, bien qu’atteint d’un cancer à la gorge et à la langue qui va l’emporter, écrit-il ses mémoires qui, publiées après son décès, seront un des premiers « best-sellers » de l’histoire, mémoires montrant que Grant était aussi un écrivain.

A sa mort le 23 juillet 1885, un deuil national est décrété, plus d’un million de personnes suivent son cercueil. Une souscription nationale permet l’érection d’un mausolée (le plus grand d’Amérique) à Washington.

Grant fut un homme atypique, un général obstiné, capable de coups de génie mais parfois insouciant, voire apathique, un général n’aimant pas la vie militaire, un président « humaniste » mais pas politique, un homme pour qui l’amitié n’était pas un vain mot et qui se laissa aveugler par elle. Un honnête homme de son époque, porté par les circonstances pour devenir un Grand Homme.

 Félix Delmas


Ulysses S. Grant
Vincent Bernard

éditions Perrin. 23€


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WUKALI 02/02/2018)]

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