Yasmina Khadra, un nouveau roman, de toutes les douleurs, de tous les tourments, un homme déchiré en lui-même, inquiet sur ce qu’il découvre, sur ce qu’il éprouve.
Lorsque sa femme lui annonce qu’elle le quitte Adem Naït-Gacem est tétanisé, incapable de réagir. Ce jeune instituteur, dans cette Algérie du début de l’indépendance, nous sommes en 1965, est un lettré, refusant le machisme culturel de ses coreligionnaires, partisan de l’égalité entre les sexes. Mais il est un homme, un être humain aussi est-il ravagé par cette décision. Alors, il quitte ses élèves, son école, fait un baluchon et commence son errance sur les routes à la recherche de lui-même.
Vagabond, alcoolique, parti à la recherche de son passé, il finit par errer, seul, dans la montagne. La compagnie des hommes lui est insupportable, aussi limite-t-il ses contacts avec les autres au strict nécessaire.
Pourtant, il rencontre des individus qui sont prêts à l’aider, qui lui tendent la main, mais il refuse une potentielle rédemption, un retour dans la société des hommes. «Vivre en société, c’est accepter l’épreuve du rapport aux autres, de tous les autres, des vertueux et des sans-scrupules. En société, nul ne peut observer la morale sans se faire violence. La morale ne s’exerce que parmi les autres. Fuir ces derniers, c’est fuir ses responsabilités. ». Et Adem, reconnaît qu’il ne fuit pas ses responsabilités mais qu’il y renonce. Jusqu’au jour où l’injustice le fait réagir, mais aussi ce sentiment qui l’a tant fait souffrir : l’amour. Mais ses démons sont toujours en lui.
Yasmina Khadra, est bien connu en France, un des plus talentueux écrivains algériens. Dans ce livre il nous offre un parfait anti-héros, un homme ravagé, qui préfère s’enfermer dans sa douleur plutôt que d’essayer de lutter contre elle et de la surmonter. Son parcours lui offre des rencontres avec des personnages « hauts en couleur », eux aussi en marge de la société, comme ce nain en mal d’affection, ce musicien aveugle, ce simple d’esprit, et j’en passe. Mais, centré sur lui-même, il refuse d’écouter.
Yasmina Khadra nous décrit, à grands traits, l’Algérie « profonde » au début de l’indépendance : ses exclus, ses profiteurs, ses corrompus, le poids des traditions (pas de la religion qui en fait est une sorte d’emballage idéologique pour ne surtout pas faire évoluer la société) dans une société dite traditionnelle, mais aussi la volonté d’amener la modernité et encore plus la culture pour bâtir des jours meilleurs.
Et puis, voire surtout, Yasmina Khadra continue son étude sur la place des femmes dans la société et dans l’imaginaire masculin. Au début, Adem est un « moderne », jamais il n’imagine empêcher, surtout par la violence, sa femme de le quitter.
Dans d’autres milieux de la société, au nom de son honneur bafoué, tout le monde aurait compris qu’il la tue. Mais, Adem est un homme et quand son envie, avant tout sexuel le submerge, toutes ses idées disparaissent, il ne réagit que guidé par son cerveau reptilien.
Totalement centré sur son ego, il ne peut imaginer que l’objet de son désir, de ses pulsions, ne pense pas comme lui. Pourtant son oncle, dans son enfance, lui avait bien dit : « Les hommes sont plus injustes que le mauvais sort. Ils te condamnent sans procès et te livrent aux enfers avant que tu sois mort. Mais si tu arrives à trouver une sens à ton malheur, tu mettras tes démons à genoux. » Adem, trop replié sur lui-même, ne peut y arriver.
Yasmina Khadra est un écrivain profondément humain, les intrigues de ses livres et leurs personnages nous portent à la réflexion et à l’émotion. Ainsi ils nous accompagnent dans nos déambulations de vie et nous donnent la force d’aimer. Avec Le sel de tous les oublis, il signe un livre plein de mélancolie, dénonçant les dangers de la fuite, du repli sur soi.
Le sel de tous les oublis
Yasmina Khadra
éditions Julliard. 19€
Sortie en librairie le 20 août