Je fais partie de cette génération qui a aimé l’histoire à travers le « roman historique » écrit sous le Second Empire et la Troisième République. Soit, depuis j’ai pris un peu (pour ne pas dire beaucoup) de recul par rapport à la version officielle de l’histoire. Or tous les repères chronologiques que j’ai encore, doivent beaucoup à des personnages, à des anecdotes qui demeurent vivaces. À telle enseigne, les quatre sergents de la Rochelle en font partie. Qui plus est, j’ai travaillé quelques années à la préfecture de Charente-Maritime (« inférieure »à l’époque) et il y a deux événements qui culminent dans la culture locale : le siège par Louis XIII et Richelieu et l’histoire des quatre sergents ! Et, aurais-je la faiblesse de penser, il n’y a pas que par l’existence d’un au demeurant excellent restaurant !
Avec le paradoxe, faut-il le souligner, qui est que d’une part ces soldats n’étaient pas rochelais, qu’ils n’étaient pas davantage en garnison à La Rochelle mais seulement en mission quand ils furent arrêtés. En outre leur procès et leur exécution ont eu lieu à Paris.
On se souvient du fond de l’histoire. En 1821, sous la Restauration, les tentatives de coup d’état, républicaines ou bonapartistes sont monnaie courante. C’est aussi l’époque où se diffuse dans les milieux militaires, (mais pas exclusivement), les idées de la Charbonnerie née en Italie. L’histoire des 4 sergents n’est que celle d’un très vague projet de coup d’état, à peine ébauché et servi par de vrais pieds-nickelés, qui finit par la mort pour quatre d’entre eux.
Raoulx, Goubin, Pomier et surtout Bories sont de jeunes militaires (ils ont tous moins de trente ans) qui se sont engagés mais n’ont pas participé à l’épopée napoléonienne. Ils sont emplis de toutes les idées de liberté, d’égalité, de fraternité issues de la Révolution. Au pouvoir Louis XVIII, un monarque plutôt pragmatique, mais qui est entouré par des ultras surtout depuis l’assassinat du duc de Berry en 1820.
Dans l’armée, des jeunes, des nostalgiques de la période impériale, mais surtout des officiers qui ont pour toute légitimité d’avoir immigré et combattu pour la plupart dans l’armée des Princes contre la République. C’est le cas du marquis de Toustain, colonel du 45° régiment où servent les quatre sergents, un officier borné pensant plus à obtenir postes et faveurs plutôt qu’à commander. Plus un officier formé à la « guerre en dentelles » qu’aux champs de bataille napoléoniens. Surtout pas de vague pour ne pas mal se faire voir de sa hiérarchie, aussi est-il le dernier à savoir qu’il y avait des conspirateurs sous ses ordres.
Or de fait, c’est le général Despinoy qui dirige la région militaire de Nantes (un aigri de la période impériale qui passe son temps à montrer sa fidélité au régime) qui va sévir contre eux. En bon politique, il fait en sorte que la justice civile et non militaire soit saisie. De fait, tout est découvert quand une altercation au départ banale oppose Borie qui est ivre à des gardes suisses à Poitiers où il est arrêté. Cet incident aura des conséquences dramatiques et le complot sera très rapidement mis à jour. Jugés à Paris avec 25 autres accusés, seuls 4 seront condamnés à mort. Sous la pression des ultras, Louis XVIII ne les gracie pas et ils sont guillotinés le 21 septembre 1821.
Le travail que nous livre Jacques-Olivier Boudon est un modèle du genre. Il détaille les faits jour après jour non sans les avoir remis dans leur contexte historique, avec les mentalités, les aspirations de chaque protagoniste. Il procède aussi à une étude approfondie de la Charbonnerie en France : ses principaux acteurs, son fonctionnement, ses aspirations (qui de fait se résume à : renverser le régime, celui qui viendra, viendra, les principaux responsables n’ayant pas les mêmes aspirations).
De fait, ces quatre jeunes hommes ne sont que des pions que l’ont peu sacrifier. Mais l’historien ne s’arrête pas là, Jacques-Olivier Boudon documente les destins des principaux acteurs de ce drame et surtout présente tout le travail de mémoire fait autour de ces quatre sergents. La perception de leur exécution n’est pas la même suivant les régimes, les époques. Le livre s’achève par un répertoire détaillé de tous les acteurs de cette affaire, jusqu’aux jurés qui ont droit à une notice biographique.
A l’occasion du bicentenaire de leur exécution, un moment de recueillement aux « martyrs de la liberté » devant le monument qui leur est consacré au cimetière Montparnasse où ils furent enterrés, s’impose. Et la lecture du livre de Jacques-Olivier Boudon aussi, il va de soi!
Les sergents de La Rochelle
Jacques-Olivier Boudon
éditions Passés Composés. 22€