Les corps représentés dans l’exposition qui se tient actuellement au musée Maillol à Paris, jusqu’au 5 mars 2023, conçue et co-organisée par l’agence Tempora, nous plongent dans un univers étrange et nous interrogent sur le statut du corps humain en entretenant parfois une limite floue entre le robot et l’être humain.
L’hyperréalisme, ici présenté sous le seul aspect de la représentation sculpturale du corps humain, s’inscrit dans un mouvement plus large qui apparaît aux Etats-Unis dans les années 1960 dans la peinture en réaction à l’abstraction ou à d’autres styles jugés trop classiques et inadéquats à rendre compte de la société de l’époque. Si le corps apparaît au début du mouvement comme produit de la société de consommation et fait politico-social, à partir des années 1990 il devient un moyen d’expression psychique et émotionnel. Dès lors les artistes ne cesseront d’interroger ce rapport au réel, indissociable d’une réflexion sur le corps.
Le terme « hyperréalisme » apparaît pour la première fois lors d’une exposition organisée par le galériste belge Isy Brachot en 1973 à Bruxelles.
Le long d’un parcours comprenant six sections organisées par thème fournissant les clés de compréhension nécessaires pour appréhender individuellement chaque œuvre, les artistes sélectionnés au niveau international (Etats-Unis, Espagne, France, Australie, Grande Bretagne, Italie etc.) nous proposent un nouveau regard sur l’évolution de la figure humaine. Une sculpture de Daniel Firman Caroline (2014) ouvre ce parcours sur la représentation d’une jeune femme en baskets, habillée d’un teeshirt et d’un jean noir, dont la tête et les bras sont dissimulés sous un pull vert. Ses avant-bras appuyés contre le mur renforcent l’impression d’angoisse qui émane de cette œuvre réalisée en résine à partir de moulages, dont la ressemblance avec un véritable être humain déroute le visiteur.
Toutes les œuvres présentées dans cette exposition interrogent la condition humaine à l’ère de la mondialisation qu’il s’agisse de la classe laborieuse chez Tom Kuebler dans Ethyl (2001), une sculpture en silicone montrant une femme de ménage de bureau, cigarette à la bouche, seau à la main, traitée avec humour par le peintre ou, de l’œuvre de Duane Hanson Two Workers (1993), montrant deux ouvriers du musée de la ville de Bonn réalisés en bronze à partir de moulages mais aussi d’anonymes rencontrés dans un parc tel Blue girl on Park Bench (1980) une œuvre dans laquelle George Segal donne à une scène du quotidien une tonalité mélancolique en insistant sur la solitude dans laquelle se trouve l’homme contemporain perdu dans une société de masse. A la même époque Jacques Verduyn s’intéresse également à la vie quotidienne dont il nous présente l’un des aspects estivaux dans Pat et Veerie (1974) où deux femmes, assises dans des transats bronzent au soleil, retranchées dans une solitude inquiétante qui interroge la frontière entre vie et mort.
Considérés comme les pionniers de la sculpture hyperréaliste Duane Hanson, John DeAndrea et Georges Segal choisissent de représenter le corps de façon réaliste en utilisant diverses techniques telles que le moulage réalisé sur des modèles vivants.
D’autres artistes choisissent le modelage et l’application de peinture polychrome sur la surface de leurs sculptures ou s’inspirent des modèles photographiques.
Les matériaux utilisés sont les résines d’époxy, la fibre de verre sur laquelle sont ajoutés des cheveux chez John DeAndrea notamment dans American Icon – Kent State (2015), un bronze réalisé à partir d’une photo prise lors d’une manifestation contre la guerre au Vietnam le 4 mai 1970 où quatre étudiants de la Kent State University furent abattus par la garde nationale de l’Ohio, ou Dying Gaul (2010) une œuvre inspirée d’un marbre de l’époque romaine dans laquelle DeAndrea exprime l’état émotionnel d’un homme replié sur lui-même.
Duane Hanson utilise des vêtements dans Cowboy with Hay (1984-1989), une satire du mythe du cowboy américain présenté à la fois comme héroïque vu de loin mais qui, dès qu’on s’en approche, donne à voir un aspect plus mélancolique. Le marbre blanc est utilisé par Fabio Viale dans Venere italica (2021) une copie de la Venus Italica d’Antonio Canova vue par un regard contemporain. Le bronze est utilisé par Fabien Mérelle dans Tronçonné (2019) un autoportrait tourmenté du visage de l’artiste dont la moitié inférieure du corps se fond dans un tronc d’arbre.
Jalonné de films courts qui illustrent la démarche créative des différents artistes, le parcours dirige le spectateur vers des œuvres plus troublantes dont certaines présentent des morceaux de corps : trois avant-bras surgissant d’un mur chez dans Ave Maria (2007) de Maurizio Cattelan dans une démarche provocatrice qui prend ici une tonalité blasphématoire.
D’autres offrent des corps aux formats réduits telle cette sculpture particulièrement émouvante réalisée en silicone et en latex par Sam Jinks, Woman and Child (2010), où une vieille dame, les yeux fermés, serre contre sa poitrine un bébé dans un geste de recueillement. Dans cette autre sculpture de petit format, Untitled (kneeling Woman) (2015) Sam jinks montre une jeune femme en position fœtale, tête repliée, mains jointes, touchante dans sa vulnérabilité. (illustration de l’entête)
On retrouve une même intimité affective dans la sculpture de Marc Sijan, Embrace (2014), montrant l’étreinte d’un couple d’âge mûr. Certaines œuvres au contraire sont surdimensionnées comme cet Ordinary Man (2009-1910) de Zharko Basheski, dont seul le torse émerge du sol tandis qu’il scrute le ciel avec inquiétude.
La question du devenir humain est au cœur des préoccupations artistiques de certains sculpteurs, face aux nouvelles technologies qui prétendent augmenter le corps voire le transformer au risque de produire des monstres. Patricia Piccinini avec ses créatures hybrides, difformes, à la croisée de la technologie, de la nature et de l’humain nous donne un aperçu de ces changements génétiques naturels ou causés par l’homme dans The Comforter 2010 où elle interroge les notions de beauté et de laideur, de l’humain et de l’animal, du naturel et du monstrueux dans cette scène où une fillette poilue se penche sur le bébé difforme qu’elle serre dans ses bras et tente de consoler.
Toutes les œuvres ici rassemblées posent de façon différente la question de la frontière entre la vie et la mort ou annoncent le devenir humain des manipulations génétiques et des robots humanoïdes. Daniel Glaser et Magdalena Kunz abordent la question de manière évidente dans Jonathan (2009), la dernière œuvre de l’exposition dans laquelle ils mettent en scène un homme portant un plâtre, assis sur une chaise roulante, dont seul le visage est dénudé. Il s’anime grâce à une projection vidéo et parle du marché de l’art avec un interlocuteur absent de la scène. L’œuvre interroge les frontières mouvantes entre le vivant et l’artefact, la beauté et l’horreur, elle annonce mais aussi alerte sur l’émergence d’un monde dont l’homme aurait perdu le contrôle à force de vouloir repousser toujours plus loin les limites du possible.
Exposition: Hyperréalisme ceci n’est pas un corps
à voir au musée Maillol.
61 rue de Grenelle. Paris
Métro: Stations/ Rue du bac, St Sulpice ou Babylone
jusqu’au 5 mars 2023.
Nocturne le mercredi jusqu’à 22h.
Une coproduction de Tempora et Institut für Kulturaustausch en étroite collaboration avec le Musée Maillol.
Cet article est accessible en traduction anglaise. (cliquer)
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