Salvatore est collapsologue, il est certain qu’un effondrement de notre civilisation à cause (en outre) du dérèglement climatique est en cours. Survivaliste, il s’arme et équipe une veille ferme au fin fond de la Lorraine granitique et gréseuse, isolée de tout, entourée d’une épaisse forêt. Face à la multiplication des pandémies de virus plus mortels les uns que les autres et à l’avancée des troupes venant de l’est, il quitte épouse et appartement parisien pour venir se réfugier dans ses Vosges qu’il affectionne.
Et le temps passe, plusieurs années où il est seul, où le temps n’est plus qu’une longue suite de saisons, où ses préoccupations principales sont de faire attention à l’avancée de la forêt, de trouver de la nourriture (chasse et potager), et de s’adonner à la lecture. Il est touché par la procrastination, remettant à plus tard des travaux comme semer du blé ou restaurer les annexes de la ferme.
Une vie routinière somme toute, coupée de tout et qui l’amène à réfléchir sur sa condition d’être humain : « Je découvrais à quel point mon identité était liée à ce que les autres me renvoyaient et aux rôles que je tenais dans mes groupes de relations sociales ». Il s’habitue à sa nouvelle condition se renfermant dans une sorte d’égoïsme lié à sa pulsion de survie, loin des potentiels survivants.
Une routine remise en cause quand apparaît Mira, une jeune adolescente, sauvage et muette. Ils arrivent à s’apprivoiser et à se comprendre. Puis Mira fait prisonnier Alix et sa vache. Alix, un adolescent, mais androgyne, qui se définit comme totalement iel et n’arrivant pas à savoir qu’elle est son appartenance sexuelle.
Cette petite troupe qui a fini par trouver un équilibre de vie, part pour essayer de retrouver le jeune frère de Mira qui s’est avéré savoir parler. Il s’ensuit un voyage dans un pays vide d’habitants, déserté, avec une nature, végétale et animale qui a rapidement repris ses droits. Les seuls être humains qu’ils rencontrent (et massacrent) sont un groupe d’individus rendus fous par l’abus de stéroïdes et autres amphétamines. Mais aussi Scari, un chaman sud-américain, qui les aident dans une sorte d’initiation leur offrant une drogue, l’ayahusca, qui va les mettre face à face avec eux-mêmes, non point dans la société mais dans la nature et l’univers. C’est alors aussi qu’ils découvrent d’autres formes du vivant qui se trouvent sous la terre. N’oublions pas le principe énoncé dans la table d’Émeraude : « tout ce qui est en haut est en bas et tout ce qui est en bas et en haut ».
Les deux voyages qu’ils entreprennent les changent profondément : Salvatore se défait de son égoïsme, Alix s’assume, et Mira est Mira. Mais, en même temps les masques tombent et la lucidité montre la vraie nature de certains… et je ne vous dévoilerai pas la fin de ce roman…!
Tous les arbres au-dessous est un nouveau roman millénariste, sur l’adaptation des survivants à un monde qui n’est plus le leur, ou tout du moins celui dans lequel ils vivaient sans se poser de questions sur leur appartenance à un univers bien plus grand et vaste que celui dans lequel ils évoluaient. Mais c’est aussi un roman qui porte sur certains questionnements qui traversent notre société comme les problèmes du genre, les effets dévastateurs du dopage au stéroïdes, les médecines traditionnelles avec le retour en grâce chez certains du chamanisme. Et bien entendu les effets dévastateurs de l’action humaine sur la nature. Nature bien plus complexe que ce que ne croient la majorité des humains, surtout le végétal qui montre toutefois une capacité de résilience bien plus importante que celle des hommes.
Antoine Jacquier a, et ce n’est pas pour déplaire aux lecteurs, un vrai sens des formules qui rendent les descriptions particulièrement imagées : « cette sorte de hippie d’une élégance rare s’était fait serrer par une espèce de lutin skinhead qui chassait désormais seins nus », par exemple. Même les cheminements intérieurs de Salvatore sous l’effet de la drogue, nous font voyager avec lui.
Tous les arbres au-dessous
Antoine Jacquier
éditions Au Diable Vauvert. 21€