Alors que des missiles russes s’abattaient sur Kiev, dans le secret et l’organisation la plus stricte, le musée national des arts Bogdan et Varvara Khanenko de Kiev organisait en novembre dernier le départ vers la France pour les mettre en sécurité de ses icônes, chefs d’oeuvre de son patrimoine artistique et reflets spirituels de l’âme de l’Ukraine. Ce sont ces icônes qui font actuellement l’objet d’une exposition au Louvre.
Mise à l’abri des oeuvres d’art menacées par les destructions de guerre et les pillards
Dans la cohorte des malheurs qui frappent pays et nations lors de guerres, et après la mort qui frappent les hommes puis la désolation et les destructions qui balafrent les habitations, les infrastructures et les paysages, le vol et le pillage des patrimoines culturels et artistiques s’inscrit comme une arme dont l’objectif est soit de récupérer pour le prédateur des biens artistiques et d’en récupérer «le supplément d’âme », soit de voir en ces trésors une ressource à monnayer., c’est le pillage.
La stratégie identitaire de Poutine en Ukraine
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la stratégie guerrière de Poutine ne s’embarrasse pas de desiderata humanitaires et encore moins de respect pour l’ennemi, car il faut savoir nommer les choses. Les actes de barbarie commis par l’armée russe ou ses supplétifs mercenaires en Ukraine sont légion. Déni de vocabulaire en Russie voulu par Poutine, pour qualifier cette dite « opération militaire » ( военная операция). Mais aussi une mesure qui s’inscrit au demeurant dans un autre déni qui est celui de l’Ukraine dont l’existence et l’identité sont mises à mal pour ne pas dire nier.
Des précédents, vols et pillages à l’occasion de guerres
Sans remonter le fil des siècles de l’histoire et plus près de nous, c’est l’évacuation en France en 1939 de près de 4000 oeuvres du Louvre hors de Paris pour les soustraire aux menaces de l’avance allemande. C’est Jacques Jaujard, alors directeur des musées nationaux, qui fut l’exceptionnel maître d’oeuvre de cette opération hors norme. Nous avons à plusieurs reprises au demeurant traité dans WUKALI (cliquer) de ces prédations et de cette aventure où fusionnèrent histoire et histoire de l’art .
Les rivalités séculaires entre Rome et Moscou
Les querelles «byzantines », sur fond de prééminence religieuse reviennent en force. Ce furent bien évidemment le rapport d’influence et de pouvoir qui s’établit en un premier temps pendant des siècles dans la chrétienté entre Rome et Byzance devenue Constantinople. Après la chute de cette dernière dans le giron de l’empire ottoman, Moscou alors pris le relai. Après l’effondrement tsariste, l’épisode iconoclaste soviétique mit sous le boisseau la fonction ecclésiale.
Cependant au moment de la dissolution de l’URSS et peu de temps après l’arrivée de Poutine au pouvoir (homme du KGB renommé FSB), les rapprochements entre le Kremlin et le Patriarcat de Moscou se multiplièrent. Le Patriarche de Moscou ( Cyrille, de son nom: Vladimir Mikhaïlovitch Goundiaïev) étant devenu l’homme lige, extrêmement riche et vénal de la politique du maître du Kremlin. Il est plus prosaïquement un oligarque possédant un chalet en Suisse et de multiples intérêts dans des circuits économiques pour le moins opaques. Inutile de préciser qu’il se fit l’apôtre de l’opération spéciale en Ukraine. Un mafieux à l’encensoir somme toute!
Deux visions antagonistes russe et ukrainienne
Poutine pense empire, conquêtes territoriales, suprématie russe depuis Moscou, centralisme autoritaire presque théocratique, une vision quasiment continue de la politique et de l’histoire russes, et cela quels que furent les régimes politiques successifs: tsariste, bolchevique ou «poutinien» aujourd’hui. Aux antipodes paradoxaux au demeurant de l’idée que s’en font ses soutiens diplomatiques, notamment dans les pays d’Afrique !
La volonté dans les politiques ukrainiennes depuis 1991 de se mettre à distance de l’influence de l’orbite russe étant ressentie à Moscou comme un camouflet intolérable. Une inconciliable opposition d’autorité de type psychanalytique père-fils inacceptable du côté russe !
L’art, tout comme la langue ( en l’occurence l’ukrainien), étant bien entendu parties prenantes de cette vision.. Et qui dit art, tradition et spiritualité en Russie, pense icônes ce qui est vrai. Cette lutte d’influence s’installant, comme on l’a vu, dans le champ du pouvoir religieux, mais cette fois-ci opposant Moscou à Kiev qui s’est dégagé dès 1992 de l’autorité orthodoxe moscovite en créant un patriarcat indépendant soit une église orthodoxe ukrainienne Українська Православна Церква
Des icônes très anciennes et rarissimes
Ces icônes exfiltrées (comme l’on-dit dans les romans d’espionnage) d’Ukraine pour être mises à l’abri à Paris, sont particulièrement précieuses. Elles font l’objet de l’exposition du Louvre. Quatre d’entre elles sont des icônes peintes à l’encaustique sur bois des VIe et VIIe siècles provenant du monastère de Sainte-Catherine du Sinaï et une icône constantinopolitaine en micromosaïque de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle, ornée d’un remarquable encadrement d’orfèvrerie.
La coopération entre le musée du Louvre et le musée national des Arts Bohdan et Varvara Khanenko de Kiev
Les icônes seront accessibles au public jusqu’au 6 novembre 2023.
Parce qu’ils n’ont pas encore livré tous leurs mystères, ces chefs-d’oeuvre de l’art sacré feront ensuite l’objet d’analyses et d’études approfondies. Un comité international, composé de scientifiques ukrainiens et de spécialistes internationaux du domaine, accompagnera cette recherche très attendue.
Préfigurant l’ouverture du nouveau département en 2027 le département des Arts de Byzance et des Chrétientés en Orient récemment créé au sein du musée du Louvre, cette exposition est tout autant un vibrant manifeste de la force des images dans l’art byzantin qu’un hommage appuyé à la richesse des collections nationales d’Ukraine et au professionnalisme des conservateurs et spécialistes ukrainiens qui oeuvrent avec courage à la protection de ce patrimoine universel.
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Illustration de l’entête: St Serge et St Bacchus. ©Musée Khanenko. Kiev