Accueil Livres, Arts, ScènesHistoire La pouponnière d’Himmler, au coeur des usines à faire des bébés d’Hitler

La pouponnière d’Himmler, au coeur des usines à faire des bébés d’Hitler

par Philippe Poivret

La pouponnière d’Himmler de Caroline de Mulder aux éditions Gallimard est en tête des ventes dans les librairies. Renée est une adolescente française enceinte d’un jeune et beau soldat qui porte bien l’uniforme. Helga est une jeune adolescente allemande, qu’on appelle Schwester Helga mais ce n’est pas une religieuse. Elle est infirmière. Marek enfin est Polonais. Il s’occupe du jardin de la pouponnière dans laquelle Helga travaille et où Renée est accueillie avant l’accouchement. 

Simple ? Pas vraiment. La pouponnière en question est une pouponnière imaginée par Himmler, haut dignitaire du régime nazi. C’est un Lebensborn. Son but est de sélectionner des enfants selon des critères raciaux pour purifier le peuple allemand et l’homogénéiser en moins d’un siècle. Les futures mères doivent répondre aux mêmes critères raciaux et il n’est pas interdit d’arracher à leurs parents, étrangers ou non, des nourrissons qui pourraient satisfaire aux mêmes exigences Il faudra bien repeupler l’Allemagne qui voyait sa jeunesse mourir à la guerre. Et Hitler avait l’intention de repeupler, par des Allemands de pure souche, les territoires dont il avait fait exterminer la population. Il fallait donc des enfants en nombre.

Ceux qui naissaient dans cet établissement et qui ne répondaient pas aux critères de sélection devaient être éliminés, c’est-à dire purement et simplement tués. Renée est enceinte d’un soldat allemand, un SS, ce qui lui vaut l’accueil dans cet endroit où les meilleurs soins, la meilleure nourriture sont donnés à toutes les pensionnaires. Marek a été sorti de Dachau dans un état épouvantable pour être affecté au jardinage de cet établissement. Il se bat tous les jours, toutes les heures pour rester en vie. Helga est heureuse d’avoir trouvé sa place. Elle est membre du Nationalsozialistiche Volkswohlfahrt, le Secours Populaire national-socialiste, organe du parti nazi. Elle est toute dévouée au service du docteur Ebner, nazi aussi convaincu que son infirmière. C’est lui qui accorde ou non aux bébés le droit de vivre. Tous ces personnages vont se croiser sans se rencontrer vraiment dans cette effrayante maternité qui est aussi une pouponnière. Pendant ce temps, les troupes alliées continuent d’avancer. On est en Bavière en 1944. Les Américains ne sont plus très loin.

Caroline de Mulder fait vivre ces personnages dans le contexte de cette guerre dont tout le monde connait l’issue. Renée est française dans un environnement allemand naturellement hostile. Elle n’est plus de nulle part. Elle n’est pas allemande et ne se sent plus française. On lui a fait subir les pires insultes en raison de son amour pour un soldat ennemi. Naïve, pleine d’espoir, attendant la venue de son bébé, elle veut retrouver le père de son enfant pour fonder une famille. Marek sait que sa femme était enceinte quand il a été déporté, il sait qu’elle a dû accoucher et ne pense qu’à la retrouver, elle et son enfant. Helga, brave fille, se réserve pour un homme idéal et regrette de n’avoir pas su profiter d’une furtive rencontre qui a été sans le lendemain tant espéré. Tous les trois rêvent d’une famille, celle à venir ou celle qui est déjà là. Tout est bien ordonné dans cette pouponnière. L’atmosphère est parfaitement calme, tout se passe bien. Trop bien. Himmler en personne vient, au début du roman, inspecter son établissement, à la fois maternité et pouponnière qui se veut sans défaut. Et elle est exemplaire du point de vue nazi. Mais elle est un cauchemar pour le reste du monde. 

Olécio partenaire de Wukali

Ce qui frappe à la lecture de ce roman, est que cet endroit, censé être un endroit dédié à la vie, est un endroit entouré et cerné par la mort. Marek, sorti des camps de concentration en est le vivant symbole. Un nourrisson à qui on ne donne pas le droit de vivre en est le second. Ce qui frappe aussi, c’est l’aveuglement des deux protagonistes nazis, Helga et le docteur Ebner, qui croient jusqu’à la fin avoir fait œuvre utile et n’être coupable de rien. Renée enfin, séduite par un officier allemand, enceinte, s’est mise dans une situation qui serait déjà difficile en temps de paix surtout à cette époque-là. Alors en pleine guerre…Elle ne se rend pas compte de tous les problèmes auxquels elle va devoir faire face.

Pour recréer l’ambiance de cette maternité et de cette pouponnière Caroline de Mulder utilise des mots en allemand, surtout quand elle raconte la vie d’Helga. Elle nous fait lire le journal de cette jeune Allemande qui se rend compte trop tard qu’elle était du mauvais côté, du côté du mal. Elle avait pourtant sous les yeux, elle vivait des évènements qui auraient dû la déciller et lui faire comprendre qu’elle ne protégeait pas la vie mais une idéologie mortifère.

Comme à la lecture du journal intime que Renée, Helga et Marek auraient écrit, on vit et on comprend ce qu’était l’idéologie nazie. Comment elle était profondément ancrée dans l’Allemagne de cette époque, comment les esprits se sont laissé emporter par l’idée d’une supériorité naturelle qui allait les conduire à leur perte. Les enfants, l’avenir qu’ils représentent, ont été l’enjeu de perspectives qui les dépassaient. Celles et ceux qui ont survécu ont dû reconstruire le monde et une façon de penser qui soit compatible avec la vie. Une vie accordée à tout le monde.

Dans un style sobre et percutant fait souvent de phrases courtes, parfois sans verbe mais parfois aussi avec des phrases plus longues et plus explicatives, Caroline de Mulder nous emmène dans un épisode peu connu de la Seconde Guerre mondiale. Si les camps de la mort ont été montrés, étudiés et documentés, ces Lebensborn disséminés dans toute l’Europe y compris la France, étaient cachés et sont restés moins connus. Ils étaient l’ultime développement de l’idéologie raciste des nazis. Ils représentent une partie de ce que le nazisme a pu penser de plus abject. Traités comme des animaux, véritables usines à bébés, ces établissements étaient cachés à la population, ce qui confirme qu’Himmler, Hitler et tous les autres savaient très bien que ce qu’ils faisaient n’était ni montrable ni acceptable. 

Une dernière citation pour clore cette présentation : « Il n’y a pas d’un côté le bien, de l’autre le mal, il y a de longues glissades dont on ne se relève pas, et des passages quelquefois imperceptibles de l’un à l’autre. Quand on s’en rend compte, il est déjà trop tard ». Restons vigilants !

La pouponnière de Himmler
Caroline de Mulder

éditions Gallimard, 2024, 288 pages, 21€50
________________________________

Vous souhaitez réagir à cette critique
Peut-être même nous proposer des textes et d’écrire dans WUKALI 
Vous voudriez nous faire connaître votre actualité
N’hésitez pas, écrivez-nous : redaction@wukali.com 

Notre meilleure publicité c’est VOUS !
Soutenez-nous et si vous avez aimé, merci de relayer l’article auprès de vos amis sur vos réseaux sociaux😇…

Illustration de l’entête ©Mako

 

Ces articles peuvent aussi vous intéresser