Il se faut entr’aider, c’est la loi de Nature

L’âne un jour pourtant s’en moqua :

Et ne sais comme il y manqua;

Car il est bonne créature

Olécio partenaire de Wukali

Il allait par pays, accompagné du chien,

Gravement, sans songer à rien,

Tous deux suivis d’un commun maître.

Ce maître s’endormit: l’âne se mit à paître.

Il était alors dans un pré

Dont l’herbe était fort à son gré.

Point de chardons pourtant; il s’en passa pour l’heure :

Il ne faut pas être si délicat;

Et faute de servir ce plat

Rarement un festin demeure.

Notre baudet s’en sut enfin

Passer pour cette fois. Le chien, mourant de faim,

Luit dit :« Cher compagnon, baisse-toi, je te prie :

Je prendrai mon dîné dans le panier au pain.»

Point de réponse, mot: le roussin d’Arcadie

Craignit qu’en perdant un moment

Il ne perdit un coup de dent.

Il fit longtemps la sourde oreille :

Enfin il répondit :«Ami, je te conseille

D’attendre que ton maître ait fini son sommeil ;

Car il te donnera, sans faute, à son réveil,

Ta portion accoutumée :

Il ne saurait tarder beaucoup.»

Sur ces entrefaites, un loup

Sort du bois, et s’en vient : autre bête affamée.

L’âne appelle aussitôt le chien à son secours.

Le chien ne bouge et dit : «Ami, je te conseille

De fuir, en attendant que ton maître s’éveille ;

Il ne saurait trop tarder: détale vite, et cours.

Que si ce loup t’atteint, casse-lui la mâchoire :

On t’a ferré de neuf; et si tu me veux croire,

Tu l’étendras tout plat» Pendant ce beau discours,

Seigneur Loup étrangla le baudet sans remède.

J’en conclus qu’il faut qu’on s’entr’aide.


Jean de La Fontaine (1621-1695)

Livre VIII – Fable 17

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