Passionate History of France

Quand elle nait en janvier 1477, la petite Anne, première filles de François II et de sa seconde épouse Marguerite de Foix est l’héritière de la couronne ducale (la succession par progéniture mâle n’existant pas en ce pays). La Bretagne se considère comme un pays en part entière, la couronne ducale n’est elle pas fermée alors que celle d’un vassal est ouverte ? Mais son père le duc régnant a un puissant voisin qui voudrait mettre fin à cette indépendance : Louis XI. Aussi le Duc est il continuellement obligé à chercher des alliés pouvant l’aider à garder son indépendance. Il adhère à la Ligue du Bien public, il essaie de s’allier au Duc de Bourgogne Charles le Téméraire, il marie son héritière alors âgée de 4 ans à l’héritier du roi d’Angleterre Edouard IV (mais à la mort de ce dernier, son oncle Richard III l’élimine). De fait, ces choix ne font qu’attiser les appétits français. Et ce n’est pas la mort de Louis XI, et la politique francophobe de son ministre Pierre Landais qui y mettent fin. De fait François II est un monarque malade, « faible », marionnette dans les mains des puissants feudataires qui l’entourent, certains étant payés par la cour de France, qui l’obligent à sacrifier Landais. Anne fait l’objet de toutes les convoitises des plus puissants seigneurs de son époque. Au-delà de son héritage, elle est en plus très belle et cultivée. Un de ses soupirants est Louis d’Orléans, héritier potentiel de la couronne de France. Anne, devenue un élément fondamental de la géopolitique de l’époque, est successivement promise en mariage à Alain d’Albret et à Maximilien d’Autriche. Mais la guerre, dite « la guerre folle » contre la France, finit par le désastre breton à la bataille de Saint Aubin du Cormier et par la paix du Verger le 21 août 1488, qui précise qu’Anne ne pourra se marier qu’avec l’accord du roi de France. Louis d’Orléans va « payer » son soutien aux bretons par deux ans de forteresse…

François II décède l’année suivante. Le 10 février 1489, Anne, qui n’a que 11 ans se fait couronner duchesse de Bretagne à Rennes. La guerre avec les français reprend, celle-ci se double d’une guerre civile qui affaibli le duché. Pour essayer de trouver un allié fiable, Anne se marie, par procuration avec le roi des romains, futur empereur, Maximilien d’Autriche. Mais celui-ci n’intervient pas, et après le siège de Rennes, après de longues transactions diplomatiques, Anne se fiance avec Charles VIII le 17 novembre 1491 et se marie avec lui le 2 décembre à Langeais est sacrée reine de France à Saint Denis le 8 février 1492. De part son contrat de mariage, la Bretagne est placée de fait sous la coupe de la France.

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Anne va très vite être amoureuse de son époux qui la couvre de cadeaux. De part son enfance, elle aime le luxe, et Charles VIII veut la rendre heureuse surtout que le 10 octobre 1492, elle accouche d’un dauphin : Charles Orlan. Anne va passer plusieurs années à Amboise et sur les routes de France en compagnie de son époux. Quand ce dernier part en guerre en Italie elle l’attend à Lyon. Le retour de ce dernier est assombri par la mort du Dauphin. Anne est une femme jalouse qui souffre des infidélités du roi, pour autant de son vivant, elle va avoir 6 enfants mais pas un ne survivra. Elle voit dans l’impossibilité d’avoir un héritier vivant un châtiment divin, du essentiellement au fait qu’ils se marièrent avant d’avoir reçu les dispenses papales et par la vie dissolu de son mari. Celui-ci s’amande mais le 7 avril 1498, il heurte violemment le chambranle d’une porte à Amboise et décède.

Tous les témoins de l’époque décrivent la douleur, l’état de prostration d’Anne à ce décès. Elle fait des funérailles somptueuses à Charles VIII (payées par son successeur), s’habille en noir comme en Bretagne, alors que le blanc est la couleur de deuil à la cour de France. Mais comme elle n’oublie pas son duché qui lui revient en pleine possession et réunit les états de Bretagne à Rennes, nomme un chancelier, un lieutenant général (charges que Charles VIII avait supprimées) et symboliquement fait frapper des pièces d’or à son effigie.

Mais il était prévu dans son contrat de mariage que si Charles décédait avant elle, Anne ne pourrait se marier qu’avec le roi de France. Louis XII est marié et veut garder la Bretagne dans le giron français (en plus Anne souhaite redevenir reine à part entière et non reine douairière). Louis XII est marié avec la fille de Louis XI, Jeanne de France, dite la boiteuse qu’il hait. Après des tractations avec le pape Alexandre VI qui en profite pour marier très avantageusement son fils César et un simulacre de procès humiliant, le mariage est déclaré nul. Anne, en fine politique qu’elle était devenue obtient un contrat de mariage beaucoup plus avantageux pour ses intérêts et ceux de la Bretagne que celui de Langeais, et épouse Louis XII le 8 janvier 1499.

Ainsi, Anne de Bretagne est la seule souveraine qui a été mariée avec deux rois de France différents et qui a été sacrée Reine de France par deux fois. L’héritière d’un duché pauvre, quasiment inexistant à la mort de son père va régner 23 ans.
De fait, le nouveau roi est souvent malade, et n’a pas le caractère de son prédécesseur. Anne va être très présente dans la gestion du royaume. Mais comme avec Charles VIII, elle ne saura pas mettre un frein au « rêve italien » des monarques français de l’époque.
Elle va avoir 4 enfants avec Louis XII, seules survivront deux filles Claude et Renée. Comme, il n’y a pas d’héritier mâle (il était prévu que le second hériterait pleinement de la Bretagne), le duché doit revenir à Claude. Anne pour éloigner la main mise française voulait qu’elle épouse Charles de Gand, petit file de l’empereur Maximilien qui deviendra Charles Quint et de fait une promesse de mariage est actée au traité de Blois de 1504. Mais Louis XII, après une maladie que ses médecins pensaient qu’elle lui serait fatale, déclare que sa fille ne peut que se marier qu’avec François d’Angoulême, héritier potentiel du trône. Anne à cette annonce part trois mois en Bretagne, certains disent pour montrer son mécontentement, d’autres pour remercier Saint Anne d’Auray de la guérison de son époux. Les fiançailles entre Claude et François auront lieu en 1506.

Après un dernier accouchement d’un enfant mort né, Anne doit s’aliter et elle décède à Blois le 19 janvier 1514 à 37 ans.

Son mari lui fait des funérailles somptueuses et le 16 février, elle est inhumée à Saint Denis. Louis XII l’y rejoindra quelques mois après. François I monte sur le trône avec son épouse, Claude de France, duchesse de Bretagne.

De fait la Bretagne ne sera rattachée officiellement à la France que part le testament de Claude en 1524 qui lègue son duché au Dauphin et par l’acception par les états généraux de Bretagne de Vannes de 1532.

Philippe Tourault nous dépeint une reine à la forte personnalité, très attachée à la Bretagne, à la mémoire de son père, qui a souffert dans son enfance, qui a pleinement assumé le fait qu’elle n’était qu’un pion dans un espace géopolitique qui dépassait sa terre natale. On perçoit une femme aimante, jalouse, pieuse, cultivée, aimant le luxe, curieuse, qui invite en France les premiers artistes italiens qui vont créer la Renaissance en France. C’est aussi une femme rancunière, qui n’oublie pas les trahisons et les humiliations.

Anne de Bretagne fut vraiment une femme de son époque, cette période de transition entre le Moyen Âge et la Renaissance, une période où bien des repères disparaissent et de nouveaux se mettent en place.

Le tombeau de Charles VIII édifié à la demande d’Anne dans la basilique Saint Denis a été détruit sous la révolution (étant essentiellement en bronze doré, il fut fondu pour en faire des canons). Par contre, il faut aller à Saint Denis pour admirer le tombeau de Louis XII et d’Anne. C’est une merveille de la renaissance avec le couple royal présenté en « transi », c’est-à-dire leurs cadavres, le ventre recousu après l’embaumement. La reine a la tête renversée, les seins affaissés, la peau collée au squelette, la bouche entrouverte dans un dernier râle.

Mais Anne était avant tout duchesse de Bretagne, aussi son cœur fut déposé dans l’admirable tombeau qu’elle fit édifié pour ses parents dans la cathédrale de Nantes. Le reliquaire ayant contenu son cœur est visible au musée Dobrée de cette ville. On peut y lire :

« En ce petit vaisseau
De fin or pur et munde
Repose ung plus grand cueur
Que oncque dame eut au munde
Anne fut le nom delle
En France deux fois royne
Duchesse des Bretons
Royale et Souveraine.
CMVXIII
»

Félix Delmas



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