When Picasso was starving in Paris


La chronique de Pierre-Alain LÉVY.


C’est en analysant un tableau célèbre appartenant à leur collection, La Chambre bleue de Picasso ( aussi appelée Le Tub), que les équipes scientifiques de la Philips collection aux Usa viennent de découvrir sous la couche de pigments de la toile une autre peinture représentant un homme barbu et moustachu et portant un noeud papillon. A peine l’information rendue publique, elle a diffusé à toute vitesse sur les réseaux d’information car la peinture révèle un mystère : mais qui est donc cet élégant inconnu ?

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Les laboratoires d’analyse scientifique au service de la muséographie

Les techniques d’imagerie mises au point pour le service de l’industrie ( analyse spectrographique des matériaux) ou dans le domaine médical, ont depuis longtemps maintenant percolé dans le domaine de l’histoire de l’art et de l’analyse des oeuvres, fussent-elles peintures, statuaires de pierre, de bois ou de métal, ainsi que les tissus ou les papiers. C’est ainsi qu’en France, le musée du Louvre est équipé d’un laboratoire de recherche sophistiqué et doté des moyens les plus performants ( notamment le système A.G.L.A.E accélérateur électrostatique de particules), l’accélération de certaines particules comme les protons et les deutons permet, en effet, d’exciter faiblement les électrons des atomes qui forment les matériaux des œuvres d’art

L’utilité de ces grands centres de recherches est plus qu’utile pour les musées et la conservation des oeuvres et cela à deux égards. D’une part les analyses effectuées permettent de traiter avec efficacité et sans dommage ultérieur les oeuvres dégradées par le temps ou la main de l’homme, d’autre part les techniques d’investigation photographique et notamment la technique par réflectographie infrarouge permet de découvrir sans nulle altération ni effet destructif, et c’est fondamental, ce qui se cache sous l’apparence de la croute de peinture extérieure et d’effectuer les analyses nécessaires. C’est cette technique même que les scientifiques de l’université américaine Cornell, le Delaware’s Winterthur Museum ainsi que la National Gallery of Art ont utilisée aux USA au service de la Philips Collection.

La Chambre bleue ( ou Le Tub) a été peinte par Picasso en 1901, elle mesure 50,1cm x 62cm, c’est une huile sur toile. 1901 c’est aussi la date de l’ installation de Pablo Picasso à Paris où il s’établit dans un premier temps, 130 ter, boulevard de Clichy, chez son ami Pedro Mañach.

La bohème d’alors n’avait nullement les airs de la chanson certes fort belle, mais complètement irréaliste, de Charles Aznavour. Bien au contraire les artistes (que l’on regroupera bien plus tard sous le vocable de L’École de Paris , pour la plupart tous venus de l’étranger et installés en France où ils avaient trouvé refuge et la liberté) mangeaient de la vache enragée. Picasso comme les autres ! Il est difficile de gagner sa vie, de se faire connaître et de vendre ses oeuvres et tout coute cher. Qui plus est, acheter les fournitures, châssis entoilés, peintures et pinceaux coûte une petite fortune quand on n’ a même pas de quoi se nourrir. Quant à payer un modèle pour servir d’académie, il est alors préférable d’ajouter l’utile à l’agréable et de choisir une belle personne pour en faire sa maîtresse. Mais comme toutes bonnes choses cela n’a qu’un temps et quelque fois les choix économiques et sentimentaux se révèlent désastreux. (Que les féministes les plus ardentes me pardonnent !) C’est d’ailleurs ce qui est arrivé pour le peintre catalan et ami de Picasso, Carlos Casagemas, qui se suicida. Désespoir amoureux, infidélité de la belle, et désastre financier, un vrai programme de livret d’opéra n’est-ce-pas !


Picasso est sans le sous, c’est le temps de la période bleue, bleu comme Blues, bleu comme tristesse. Alors quand on n’a pas de quoi renouveler ses fournitures de peintre d’évidence nécessaires comme un châssis entoilé, on réfléchit à deux fois pour utiliser et peindre une toile. Et si d’aventure l’artiste estime que le sujet ou le motif qu’il a traité ne lui plait pas, ou qu’encore il aura du mal à le vendre, alors il n’hésite pas à repeindre sur un tableau déjà fait, à masquer complètement le sujet pour donner vie à une toute nouvelle oeuvre, faisant disparaître à jamais la peinture originelle. C’est manifestement ce qui est arrivé à La chambre bleue ou plus exactement à son support de toile de lin.

Cette découverte de ce personnage, aussi intéressante est-elle, ne constitue cependant pas une surprise dans les milieux de la conservation et de l’histoire de l’art. Des investigations avaient déjà été effectuées voilà plusieurs années, certaines caractéristiques constatées au niveau de certains détails dans la finition de l’oeuvre laissant à penser à l’existence d’une sous couche peinte. L’utilisation de technologies d’imagerie multi-spectrales et de rayons X par fluorescence ont fourni le sésame nécessaire à la révélation du tableau primitif.

L’oeuvre va bientôt retrouver des cimaises plus chaleureuses que les laboratoires scientifiques où elle fut déposée pendant de longues semaines. Elle fera dans un premier temps l’objet d’une présentation, avec d’autres chefs d’oeuvres de la Philip collection, en Corée du sud en 2015, avant de faire l’objet en 2017 d’une exposition spécifique exclusive à caractère scientifique sur son mystère.

Quant à l’identification du personnage masculin, voila du grain à moudre pour les historiens d’art, mais rassurez-vous, ils adorent !

Pierre-Alain LÉVY


WUKALI 25/06/2014


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