A world famous French writer and an Austrian filmmaker


Certains romans semblent prédestinés à être adaptés au cinéma. Ils datent, généralement, de moins de deux siècles, à l’instar du : « Portrait de Dorian Gray  » d'[**Oscar Wilde*], transposé par [**Albert Lewin*] en 1945.*

Peut-être pourrait-on dire qu’ils ont, au moins, un point commun : faire appel à l’inconscient du lecteur, devenu spectateur, dans l’espoir qu’il transfère et recrée l’œuvre dans son mental. Ce qui implique, pour le cinéaste, l’inclusion de ce que nous nommerons l’élément fantastique nécessaire à l’expression de ce qui n’existe pas, dans le sens que donnait [**Jean-Jacques Rousseau*] au terme : « rien n’est plus beau que ce qui n’existe pas !».

L’un des phares du genre est [**« L’Atlantide »*] de [**Pierre Benoit*] (1886-1962), livre paru en 1919, qui connut un immense succès et fit de l’auteur un homme célèbre : chevalier de la légion d’honneur et académicien français en 1931. Le récit en fut transposé à l’écran, en 1932, par l’autrichien [**Georg-Wilhelm Pabst (*]1885-1967) en trois versions : française, anglaise et allemande.

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Il était assez fréquent, aux débuts du cinéma parlant, qu’une réalisation soit établie dans deux, voire trois langues différentes. Quelquefois, les acteurs principaux étaient les mêmes, mais pas obligatoirement.

[**Pierre Benoit*], fils de militaire de carrière, passa sa jeunesse en Afrique du nord : Tunisie d’abord, puis Algérie où il fut interne au lycée et où il fit son service militaire. Les impressions reçues s’avérèrent ineffaçables au grand voyageur que fut l’écrivain. L’exotisme est une permanence de son œuvre : la Syrie, le Liban, Angkor, la Palestine, les Nouvelles-Hébrides, etc…ont servi de cadre au développement romanesque de ses idées. C’est l’extrême sud saharien, le [**Hoggar*], qui forme la toile de fond de l’Atlantide.

Le parcours de l’homme est le reflet de ce qu’il montre dans ses écrits. Ses expériences de vie expliquent son incontestable, et revendiqué, engagement à droite : catholique fervent, royaliste convaincu, nationaliste influencé par [**Barrès*] et [**Maurras*], c’est un ultra-conservateur, un réactionnaire pur et dur attaché à une image d’Épinal : celle de la grandeur et du rayonnement français dans le monde, l’Empire colonial apparaissant alors comme une sorte de flambeau de la pensée « universelle » issue de la métropole.
Sa conception de la société est hiérarchisée. Il méprise la modernité technique, à laquelle il ne comprend rien, autant que les nouveautés sociales qui en sont les conséquences. Son hostilité au Front Populaire vient de là. L’ordre lui est la première des vertus acceptables.

Son sens de l’honneur ne peut être mis en doute : jamais il ne pactisera avec l’occupant allemand. Il refusera toute compromission avec [**Pétain*] et [**Vichy*], quoi qu’il ait eu une véritable admiration pour le « vainqueur de Verdun ». A la Libération, son incompréhensible arrestation (six mois) se termina par un non-lieu amplement justifié : il fut soutenu, comme témoin de moralité et garant de sa conduite passée, par le poète communiste [**Louis Aragon*] !|center>

Bien des exégètes ont remarqué, signe particulier caractéristique, que l’auteur donnait toujours à ses héroïnes un prénom commençant par A. Ici, il s’agit de la reine des Touaregs : Antinéa. L’écrivain a affirmé, en ce qui concerne ses quatre premiers livres, donc pour l’Atlantide le deuxième, qu’il s’agissait d’un hasard. Seulement ensuite, il aurait volontairement choisi ce prénom.

Un des apports originaux de Pierre Benoit à la littérature française se voit au-travers de ses femmes de pouvoir qu’il qualifiait de  « bacchantes » ou d’ « amazones » : elles troublent et perdent les hommes qui deviennent fous d’elles, en arrivant à tuer pour elles, oubliant leurs devoirs et leurs personnalités antérieures, littéralement transformés en zombies d’amour ayant perdu le sens de l’honneur comme celui de l’amitié. Antinéa est le modèle de ces démones assoiffées de domination sur les mâles. Elles sont orgueilleuses jusqu’à la vanité, dotées d’un sang-froid de reptile et maîtresses de leurs nerfs tant qu’elles ne sont pas, férocement, contrariées et perturbées par un refus… Au final, quand on voit ce qu’il reste de ces malheureux, on ne peut qu’en sourire…

La vérité est tout autre : l’auteur a projeté en elles ses rêves, ses désirs refoulés et ses cauchemars, les matérialisant ainsi. Il a voulu rendre hommage à SON éternel féminin. En sachant que l’écrivain était un grand amateur de femmes, diverses et variées, on ne peut qu’être surpris de cette débauche de libido douteuse qui jette une lumière inattendue sur l’inconscient de l’auteur. Là où l’ombre de [**Freud*] et de la psychanalyse surgissent à chaque instant…

Authentique best-seller avant la lettre, « l’Atlantide » s’est vendu à près de deux millions d’exemplaires à ce jour. Le livre a fait fantasmer des générations de lecteurs, de l’adolescent boutonneux à l’homme mûr qui se souvient. Il reçut le Grand prix du roman de l’Académie française en 1919.|left>

Bien entendu, le sujet et la manière de raconter de l’auteur ont beaucoup vieilli pour notre temps. Mais la qualité d’écriture ( richesse du vocabulaire, termes choisis, syntaxe parfaite et grammaire impeccable) est restée. Elle impose toujours de l’admiration au lecteur attentif. C’est plus que respectable, avouons-le !

De nombreux souvenirs de jeunesse parsèment le roman, ce qui n’étonnera personne. L’auteur dira : « J’ai vécu en Afrique du nord de 1892 à 1907. Dès mon enfance, j’ai entendu parler des Touaregs et mon imagination a été excitée par certaines sombres histoires, celle notamment d’une mission exécutée dans le centre africain par deux Français dont un seul est revenu sans qu’on ait jamais pu savoir comment avait péri son compagnon. Telle est l’idée qui est à la base du livre. Il n’y en a pas d’autre ».**

Au commencement, deux officiers français : le Capitaine Morhange et le Lieutenant de Saint-Avit, chargés d’une mission d’observation et de repérage chez les Touaregs, s’enfoncent dans le Sahara. Ils sont capturés et livrés à l’étrange reine ( blanche) des Touaregs, Antinéa, qui règne sur un royaume perdu au cœur du désert. A partir de là, réalité et mythe interfèrent dans la narration imagée.

[**Georg Wilhelm Pabst*] est un metteur en scène autrichien passé par le métier de comédien. Ses débuts datent du muet (« La Rue sans joie » avec [**Greta Garbo*] en 1925, « Loulou » avec[** Louise Brooks*] en 1929). Il s’impose alors comme représentant de l’expressionnisme allemand, au même titre que [**Murnau*] ou [**Fritz Lang.*] Il saura s’adapter au parlant(«  L’Opéra de quatre sous »d’après[** Brecht*] en 1931) avant de revenir dans l’Allemagne nazie en 1938. Il s’accommodera du régime, sans jamais y participer, sans jamais rien en dire et sans jamais rien montrer de ses convictions personnelles.|right>

Il tournera encore quelques films après-guerre ( « Le procès »1948, « C’est arrivé un 20 juillet »1955) avant de prendre sa retraite en 1956 et de mourir à Vienne, oublié, en 1967.

En 1932, Pabst est mondialement reconnu comme un des maîtres du septième art. Pour ce film, Pierre Benoit lui-même l’aidera à l’élaboration du synopsis. Les extérieurs ont été tournés dans le Hoggar, le reste en studio. Nous sommes à la genèse du parlant et, il faut le reconnaître honnêtement, la bande-son est de qualité moyenne. En revanche, l’image est fabuleuse. Elle suit une dramaturgie accentuée  par les changements de situations, les transformations des expressions des visages, comme nul ne l’avait fait auparavant : toute descriptive, toute analytique, tournant au fantastique, à l’irrationnel, au fur et à mesure que l’action avance.

Sa beauté formelle, les décors évocateurs créés par[** Metzner*], le traitement spécifique des ombres et des lumières, tout cela confère à l’œuvre filmée une esthétique de l’image inconnue jusqu’alors. S’en dégage une sensibilité, une sensualité à connotations sexuelles, déjà bien présentes dans le roman.

Un univers artificiel, que nous devinons exister à la limite du réel, irradie une sorte de folie lumineuse d’où la drogue n’est pas exclue : elle tuera l’un des européens soumis au poison de l’amour.|center>

La présence, irréelle, intermittente et erratique du guépard apprivoisé, lui-aussi serviteur de la diablesse Antinéa, est d’un symbolisme évident : c’est l’animal terrestre le plus rapide au monde, un fauve qui manque rarement sa proie…

La scène de la partie d’échecs entre Antinéa et Saint-Avit est d’une dramaturgie traumatique incroyable : nous voyons le Lieutenant s’effondrer sur place, au sens propre comme au sens figuré. S’en suit sa fuite au-travers de ce dédale de pièces et de passages qui conduira au massacre de Morhange.

Quant aux couloirs, aux corridors, qu’explore Saint-Avit à la recherche de son ami Morhange, ce sont des éléments classiques d’un individu en perdition dans un labyrinthe onirique dont il ne possède aucun fil d’Ariane. On a beaucoup ignoré cet élément capital du récit et, pourtant, c’est bien ce labyrinthe initiatique qui entraîne Saint-Avit, magistralement interprété par[** Pierre Blanchard,*] vers sa perte et le meurtre de Morhange, Saint-Avit s’abandonnant aux puissances du mal, à l’abîme de mort dont lui reviendra, malgré tout, exaspération du « strurm und drang »*** germanique qui s’abîmera dans le redoutable romantisme allemand aux conséquences terrifiantes que l’Histoire nous apprend.

[**Brigitte Helm*], rendue célèbre par Métropolis de[** Fritz Lang*], nous apparaît comme une sorte d’idole barbare assoiffée de sang. Elle est une déesse monolithique, rigide, outragée, ne connaissant pas le pardon des offenses. Elle a tout d’une résidente de l’Olympe par ses défauts si visibles.|center>

Pabst a arrangé à sa sauce la légende du continent perdu. L’explication de la naissance d’Antinéa donne lieu, dans le film, à une scène extraordinaire racontée par le vrai géniteur de la reine : l’Hetman de Jitomir joué par [**Vladimir Sokoloff*]. Nous voici ramenés vingt ans plus tôt, à Paris, dans une salle de music-hall où Florelle, danseuse de french-cancan bien en chair ( elle est enceinte de l’Hetman), sera demandée en mariage par le chef des Touaregs… Ce qui explique pourquoi la reine a la peau si claire. Cette séquence assoit le mythe d’Antinéa dans une forme de réalité plus appuyée et, surtout, l’enrichit. Elle marquera tous les spectateurs qui virent le film à l’époque.
Soumis à l’empire d’une ciguë locale pestilentielle, assassin de son ami, Saint-Avit va sombrer définitivement…Quand une servante d’Antinéa, amoureuse de ce Lieutenant, le sauve et s’enfuit avec lui…Elle mourra de soif mais lui sera retrouvé, in extremis, par une patrouille.

Au final, le nouveau Capitaine Saint-Avit commande un fortin isolé où, par le plus grand des hasards (?), il retrouve le Touareg qu’il avait sauvé autrefois, avant d’être capturé par les sbires d’Antinéa…Laquelle ne lâche pas sa proie : épris d’un désir fou, Saint-Avit va déserter en suivant le nomade. Il disparaîtra au cours d’une énorme tempête de sable… Nous ne saurons pas s’il reverra la reine ou s’il mourra dans le désert. De toute évidence c’est sans importance : la démone s’est vengée…

[** Jacques Tcharny*]|right>


** Interview de L’Écho de Paris du 2 février 1920
*** « tempêtes et passions » : mouvement politique et littéraire allemand de la seconde moitié du 18ème siècle qui est une phase de radicalisation de l’époque des « lumières ».


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WUKALI 27/05/2017

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