A famous Belgian cartoonist and illustrator


Dans les hebdomadaires célèbres des années 60 consacrés à la bande dessinée ( Spirou, Tintin, Pilote), on remarquait certaines pages où ne figurait qu’un grand dessin en couleurs en face d’un texte : une illustration en somme. Beaucoup de ces illustrateurs ayant un fameux coup de crayon, certains furent reconnus par leurs confrères dessinateurs comme leurs égaux. Les éditions Dupuis, propriétaires du journal Spirou, éditèrent les plus doués de ces intrus dans le monde de la bande dessinée, dans une collection prestigieuse par ses qualités d’impression et les dimensions des albums. Elle eut son heure de gloire. Elle s’appelait : «  Terre entière  ». Le plus talentueux de ces baladins était le regretté [**René Hausman*](1936-2016), natif de [**Verviers*] en Belgique, disparu l’an dernier.|center>

Rappelons ce qu’est cet animal bizarre nommé « illustrateur » : un artiste chargé de l’illustration d’un ouvrage. Le terme apparaît au 19 ème siècle pour désigner la personne contribuant à l’ornementation d’une page imprimée, dans le domaine de la presse ou de l’édition.

René Hausman a passé une partie de sa prime jeunesse en Westphalie (région d’Allemagne proche de Cologne) car son père était militaire de carrière. Cet aspect, « nordique » plus que « germanique », marquera son œuvre à tout jamais. Sa mère mourut bien trop tôt et il fut, plus ou moins, élevé par ses deux grands-mères. Le jeune garçon se sentait proche d’un univers parallèle, qu’il ne voyait pas mais qui vivait en lui, profondément enfoui dans son inconscient : celui des « mondes interdits » comme il aimait à le désigner à ses débuts. Les grands mythes celtes y avaient leur part, au moins égale à l’apport nordique de sa petite enfance. Son attrait pour le Moyen-Age des romans de Chrétien de Troyes, comme pour le cycle arthurien, vient de cette disposition d’esprit si particulière où « le rêve éveillé » tient lieu d’inspiration créatrice. Son psychisme s’évadait, lui offrant la « substantifique moelle » dont son esprit s’emparait, dans un enchantement créateur intense. Car il partageait cet aphorisme de Jean-Jacques Rousseau : «  Rien n’est plus beau que ce qui n’existe pas ! ».|left>

Olécio partenaire de Wukali

A 18 ans, René alla frapper à la porte de Raymond Macherot, originaire de la même région. L’inventeur des séries « Chlorophylle » et « Sybilline » le reçut et, voyant le talent évident du jeune homme, il l’introduisit chez [**Dupuis*] en 1959 où René s’enracina. Il publia tous ses travaux chez cet éditeur jusqu’en 2008, date à laquelle il fonda, avec sa seconde épouse [**Nathalie Tronquette*], sa propre maison d’éditions : Luzabelle.

Il débuta dans Spirou avec une bande dessinée didactique «  Saki et Zunie  » mais se consacra surtout, pendant vingt ans, à l’illustration, en général animalière. Chaque semaine, il racontait une bestiole, quelquefois une fable, un conte voire une histoire qu’il inventait et illustrait. On imagine la faculté de renouvellement nécessaire pour ne pas lasser le lecteur….

Il existe donc deux facettes du travail de René Hausman : l’illustration et la bande dessinée. Cet article s’occupera uniquement de la première : l’illustration.

De 1959 à 1973, sous le générique un peu large de bestiaire, il présentera des centaines de bêtes, de toutes espèces et de toutes catégories, toujours étudiées de près, en des illustrations précises, fignolées, aux couleurs à leur maximum d’intensité et d’efficacité car il était un coloriste-né, aux ambiances d’une fragrance vaporeuse étonnante. Toutes possèdent un côté magique, féerique, bien caractéristique du René Hausman de l’époque. Une sorte d’émerveillement naïf s’en dégage, d’un calme doux, d’une recherche d’expression de vie brillante et optimiste…Reflet de son ressenti psychologique du temps. L’artiste est un barde qui chante la nature et les animaux, qui vit en campagne et qui adore les marionnettes de «  L’homme qui ne parlait jamais  » : le tchèque [**Trnka*], aujourd’hui injustement oublié. On méconnaît trop l’influence du praguois sur le monde de l’animation en Occident, comme l’intérêt de notre ardennais pour la poésie induite des recherches du tchèque. Pour en avoir discuté un après-midi entier avec lui, je suis bien placé pour l’affirmer.|center>

Très tôt ( les années 60) il s’intéressa à ce que l’on appelle «  le petit peuple ». Cette expression désigne, dans plusieurs pays européens, les créatures surnaturelles du folklore local. « Le petit peuple » se sont les êtres humanoïdes, de petite taille, issus de l’imagination des hommes tels les gnomes, les fées, les lutins, les trolls, les elfes et autres farfadets. On notera que la première fois où ce monde apparaît sous ce terme dans une bande dessinée, de manière volontaire et délibérée, c’est avec «  Rumeurs sur le Rouergue  » que créèrent le scénariste [**Christin*] et le dessinateur [**Tardi*], et qui parut dans «  Pilote » en 1972.|center>

S’il n’a jamais roulé sur l’or, il a toujours vécu correctement de son travail. Malheureusement, de nombreux dessins originaux disparurent au hasard d’expositions lointaines ( Canada notamment) ou plus proches ( Belgique, France) voire chez l’éditeur…Par négligence peut-être, par volonté de vivre en paix certainement, par son tempérament d’artiste toujours à la recherche de quelques inventions nouvelles c’est sûr, ses réclamations ne furent pas assez fortes pour provoquer le retour au bercail des œuvres perdues, sans doute pas pour tout le monde …

Le couple qu’il formait avec sa première épouse s’effondra au milieu des années 70. Sa vie ayant basculé, son œuvre se fit plus dure, plus âpre, plus amère et plus inquiète. Ce qui se voit dans ses illustrations. La césure est nette, évidente, comme tranchée par une lame de couteau aiguisée. Si son dessin, dans les superbes recueils que sont «  La forêt secrète »1964, « Les Fables de La Fontaine » Tome 1 1965, « Le Roman de Renart » 1970 et «  Bestiaire insolite »1972, qui lui valut la « Pomme d’or » du festival des illustrateurs de Bratislava en 1975, est marqué de cette simplicité et de ce côté direct qui charme l’œil du lecteur, il en va autrement avec « Les Fables de La Fontaine  » tome 2 1977 et, bien plus encore, avec « les Contes de Perrault » 1979. Là, une altération terrifiante de son dessin imprègne ces albums car sa douleur y apparaît, transformant le psychisme des personnages, humains ou animaux, qu’il dessine. Leur aspect a quelque chose de maléfique, de malsain et de néfaste, car une ébauche de déformation, devenant permanente, s’introduit dans son maniement du pinceau… Ce qui va choquer l’amateur de BD comme le fan de son œuvre que fut un cénacle restreint, auquel appartenait l’auteur de ces lignes.|center>|center>

Et pourtant…Le cri de l’âme blessée de René va transcender sa capacité à dessiner, l’amener en des rivages lointains où la couleur devient manipulation du spectateur, où des formes imprécises perdues dans des brumes d’outre-tombe créent des passages vers cet univers parallèle qu’il n’arrivait pas à extérioriser. Le talentueux René Hausman accouche enfin de cet autre qui sommeillait en lui : un génie nommé René Hausman.
Mais il allait à contre-courant des amateurs qui le soutenaient, et qui ne comprirent pas l’évolution de l’illustrateur. Cette redoutable incompréhension, équivoque inévitable, fut la cause du malaise existentiel vécu alors par l’artiste. Il lâcha le domaine de l’illustration pour se lancer, au-travers d’un voyage sans retour, dans la bande dessinée classique. Je dois admettre qu’il me fallut quelques années pour accepter et comprendre le nouveau René Hausman…

Il devait souffrir de cet état de fait qu’il percevait, indubitablement, mais il restait silencieux. C’est en cette période qu’il se mit à vendre toute sa production, récente ou non. De nombreux amateurs achetèrent l’ensemble car, ne nous y trompons pas, ses admirateurs étaient légions. Malheureusement, les ventes de ses livres ne suivaient pas : son style était trop élaboré, trop léché, surtout trop celui d’un illustrateur passé à la BD pour la nouvelle époque qui s’ouvrait. Une certaine paupérisation apparut alors sur lui. La tragédie de cet homme c’était bien cela : un écartèlement inexplicable entre son génie et l’adaptation nécessaire au public des lecteurs de son temps.|right>

Son deuxième mariage le remit sur les rails mais l’homme avait vieilli…. Malgré sa charpente impressionnante et son apparence d’ogre bien nourri. Il parvint cependant à redresser cette situation mais demeura dans un état intermédiaire qui ne devait jamais plus évoluer. Cette tristesse aigre-douce transparut dans ses créations.

Revenons à l’œuvre de l’artiste. On peut en situer le sommet avec «  Bestiaire insolite ». Là, le moindre trait de crayon, le moindre coup de pinceau, a un spectre si large qu’il emporte tout, conférant une vie puissante à cet atome de couleur, à ce point de crayon noir. La fascination, étincelante, qui s’empare du lecteur-spectateur, consentant, transmute cet or dessiné, issu d’une authentique alchimie mentale, en poussière d’une voie lactée éternelle : la magie du baladin a pénétré l’inconscient de ses lecteurs, pour leur vie durant.

Pratiquant d’abord le pinceau, l’encre de Chine et la gouache (peinture à l’eau opaque dont le liant est la gomme arabique, elle se dilue à l’eau), il passera, dans ces années 75/80, à l’écoline ( peinture aquarelle liquide permettant de beaux aplats de couleurs et possédant une brillance hors-du-commun) qui lui semble mieux convenir à son tempérament. |left>

Même dans ce domaine technique, René Hausman change d’époque et de style. Le renouvellement qui apparaît ainsi aura des conséquences sur le dessinateur de BD qu’il devient alors. Ses bandes dessinées sont amples, larges, très travaillées, aux couleurs directes incroyables de diversité, de variété et de force. Mais il regrettera toujours l’illustration. Ce qui ne l’empêchera pas d’être d’une honnêteté parfaite dans la construction de ses BD, qu’il mettait une longue période à peaufiner.

Au cours de sa longue carrière il a tâté de la peinture, de la musique, de la bande dessinée bien sûr, mais sa véritable vocation, c’est l’illustration. Pour terminer cette courte analyse, laissons-lui expliquer le phénomène dans un entretien avec un journaliste de «  La Nouvelle République du Centre-Ouest  » en 1999 : « Ma vocation première c’est l’illustration. Je peins mes planches plus que je ne les dessine. Je n’ai pas tout à fait acquis le langage de la bande dessinée. Je crois que pour faire de la bande dessinée, il faut considérer le dessin comme une écriture. Je préfère l’illustration. C’est un bonheur de réaliser des images en couleurs, d’apprécier leur valeur, leur vie propre, leur complémentarité, les vibrations qu’elles peuvent engendrer. Le camaïeu, le ton sur ton et les intensités m’intéressent plus que le trait lui-même. Les illustrations me rapprochent un peu de la peinture mais je ne suis pas un peintre pour autant ».

L’enchanteur a rejoint l’autre monde. Son aventure créatrice est finie. Il nous a laissé un univers de dessins magnifiques qui vivront encore longtemps par les rééditions de ses albums. Alors salut l’artiste et merci à toi, un admirateur de toujours !

[**Jacques Topor*]|right>


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WUKALI 25/08/2017. (Précédemment publié le 09/03/2017)

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