A prodigal invention for a preposterous result


On ne sait quoi trop penser de l’exposition [**Damien Hirst*] à la Pointe de la Douane et au Palazzo Grassi à Venise. Le mécène qui l’accueille, [**François Pinault*], lui a permis la démesure en finançant sans compter dans une mise en scène et une réalisation digne des plus grands péplums hollywoodiens.

On connait l’esprit de provocation de l’artiste, qui ne se rappelle ses animaux conservés dans le formol ( voir annexe documentaire en bas de l’article) ou son crâne en platine serti de 8601 diamants, quand on veut s’occuper de l’artiste on ne compte plus n’est-ce pas, on aime…et avec les moyens dont on dispose ! C’est dire que Damien Hirst est aujourd’hui un des artistes non seulement les plus médiatisés au monde, mais que le niveau du prix de vente de ses oeuvres n’est plus que de spéculation financière, de celle qui se joue chez Sotheby’s par exemple, lors d’enchères par téléphone pour des acquisitions par des institutions, des musées, des collectionneurs ou des milliardaires qui seuls peuvent se le permettre.

Dans cette exposition, Damien Hirst est allé chercher son inspiration dans un passé reconstitué, dans l’antiquité grecque ou égyptienne, mais aussi dans les civilisations africaine ou aztèque, une mémoire artistique réinventée, mystifiée, scénarisée, dans un imaginaire baroque. «Dès mon enfance, a-t-il déclaré, j ‘ai été hanté par la mythologie, et c’est le titre d’abord que j ‘ai trouvé et tout est venu à la suite».

Olécio partenaire de Wukali

[**Treasures from the wreck of the unbelievable*], «Trésors de l’épave de l’Incroyable». Il nous fait témoins de l’histoire d’un vaisseau antique ‘Unbelievable’ (Apistos en grec koinè), de son naufrage et de la découverte de sa précieuse cargaison : l’impressionnante collection de Aulus Calidius Amotan, un esclave affranchi plus connu sous le nom de Cif Amotan II, destinée à un temple dédié au soleil. Toute une histoire digne d’un roman d’aventures et de mystères ou d’un album de bandes dessinées, de ceux que l’on raconte aux enfants et qui enchantent et font voyager l’esprit. Un vaisseau échoué au large des côtes de Zanzibar et dont les cales étaient chargées d’une collection de trésors artistiques à faire rêver Aménophis, Périclès ou autre Néron ! Il est malin l’artiste et la clé de l’énigme est toute dans le nom grec donné au bateau : «Apistos» certes qui signifie en grec «incroyable» (ἄπιστος) comme nous venons de le voir, et que signale le catalogue, mais qui peut aussi être traduit par non crédible, infidèle et sans foi… ressources futées et malicieuses de la linguistique…

Voilà le point de départ, le socle de cette inspiration artistique et médiatique…

Dans le parcours de cette exposition, des vidéos retracent le sauvetage archéologique et sous-marin des statues sorties des sables au fond de la mer. On se pince pour ne pas y croire. Nul doute c’est impressionnant, on est tout à la fois comme dans les coulisses de la réalisation d ‘un film à grand spectacle, dans la documentation, le« make off», c ‘est un peu la renaissance d’un Titanic antique. L’allusion au demeurant à ce navire et surtout au film qui en retrace l’odyssée n’est pas de pur hasard. Leçon qui en a été retenue tant par l’artiste que par les communicants qui naviguent autour de lui. Ainsi il faut faire rêver, susciter, convoquer l’imaginaire, le fantasme culturel, positionner l’identité de cette exposition et des oeuvres dans une nébuleuse d’un passé artistique peu maîtrisé et qui suscite une envie d’imprégnation culturelle à faire pâlir tous ceux, collectionneurs, milliardaires mondialisés, en quête de reconnaissance. Irait-on jusqu’à dire qu’il s’agit somme toute d’un camouflet à l’intelligence et d’un positionnement marketing qui touche sa cible ?

Cependant on devient aussi les voyeurs éblouis d’une espèce de cabinet de curiosité rassemblant toutes sortes d’oeuvres, d’objets artistiques ou d’histoire naturelle comme cela se faisait au XVIIIème par exemple. Un exotisme teinté de stratégie commerciale multimédia. Le côté garnement rode toujours dans l’inspiration de Damien Hirst, un retour à l’enfance, avec des références, telle cette statue de Mickey, couverte de coraux après un séjour marin séculaire qui a traversé le temps ! Disney un de ses maîtres es-culture et il ne s’en cache pas. C’est au fond de lui même certainement un hommage de petit garçon, un cri primal qui jaillit, la réalisation d’un rêve! C’est Tintin à Hollywood aussi, un retour vers les années tendres, bref toute une culture contemporaine, peu assurée et faite d’imaginaires approximatifs !

Kitsch diront certains, baroque, sans aucun doute, monumental, indubitablement comme le colossal «Demon with the bowl» qui du haut de ses 18m domine la cour péristyle du Palazzo Grassi, incontournable tel un phare qui n’est pas d’Alexandrie ! Il est fait de résine synthétique, c’est un peu le côté carton-pâte, un décor à la Ben Hur ou à la [**Cecil B. DeMille*].

Des vitrines renferment des collections d’objets précieux de toutes sortes, «sortis de l’épave». Chaque vitrine constitue une oeuvre d’art en soi, comme autrefois Damien Hirst l’avait fait avec ses «pharmacies».

Des statues d’inspiration égyptienne ou mésopotamienne, voire d’art africain,( d’inspiration n’est ce-pas !) mâtinées de ressemblances surprenantes avec des stars du show business d’aujourd’hui si j’ose ainsi dire. Une statue également de belle dimension représentant le combat d’ “Hydra and Kali” est présentée en deux versions, l’une en bronze, l’autre recouverte d’une concrétion de coraux colorés. Un syncrétisme étonnant, une mise en résonance d’oeuvres appartenant à des cultures et civilisations différentes, Damien Hirst aime à mélanger les genres à en faire perdre les repères temporels à un public subjugué et ébloui, mais çà marche ! Néo-classicisme, le terme serait saugrenu, mais emphase et vanité à la sauce Hollywood ou Cinécita, une surenchère visuelle faite pour impressionner, donner des impressions, rallumer des flashs de mémoire.

Toujours plus haut, toujours plus loin, mais l’on n’est pas ici dans une course olympique, l’on a l’impression que l’on veut bluffer le spectateur par une démesure, une manipulation d’ordre psychologique en le drapant dans une mémoire artistique antique contre laquelle les critiques ne sont pas de mise. Respectabilité oblige !

[**Damien Hirst*] est bel et bien le témoin de notre époque, la mesure, l’aune de référence, une boursouflure «nouveau riche» kitsch, une démonstration de puissance impuissante. Il se veut plus sage, plus respectueux, moins jean-foutre, moins scandaleux et plus académique, à la recherche d’une respectabilité et artistique et culturelle tel le héraut d’une Pop culture triomphante. Comme un malade avant une cure de désintoxication et en état de manque, il semble courir après une filiation et une légitimation dont il ressent le besoin. Il recherche ainsi frénétiquement ses repères. On a certes l’impression qu’il désire faire oublier les outrances médiatiques de ses requins ou de ses veaux conservés dans un bain de formaldéhyde (formol). C’est un artiste de la communication indubitablement, ses oeuvres sont «papier glacé », élégantes et aussi raffinées. Leur aspect «kitsch» les positionnent quelque peu dans la décoration d’appartements de luxe et de prestige que renforce la présentation de l’exposition au Palazzo Grassi, c ‘est du travail de bon faiseur certes, de copieur mais sans le génie ni la marque. Les bronzes ont été réalisés par les fonderies Pangolin près de Gloucester en Grande-Bretagne et les marbres dans la région de Carrare en Italie. L’imaginaire est paradoxalement bien faible. Dans un survol laborieux de siècles d’histoire de l’art et tout y passe, de l’antiquité égyptienne, mésopotamienne ou grecque en passant par les cultures aztèques, la Renaissance et l’art africain, bref une Babel ou auberge espagnole au choix, un stock d’éléments de décors et de fournitures néo pour le cinéma, des «spotsi d’Ossieck, des doubitchous» au goût très singulier !

En tous cas derrière l’extériorisation des oeuvres le travail de l’artiste est évident, l’enjeu il est vrai financier phénoménal comme les prix demandés. Ainsi «The Severed Head of Medusa» en malachite serait proposé à 4 million $.

Le business n ‘est jamais très loin dans l’inspiration du gamin de Bristol, aucune oeuvre n’est unique, chaque statue ou objet a été «produit» à trois exemplaires et deux épreuves d’artistes dont un exemplaire sera gardé par l’artiste. Le sphinx dans sa version copie est proposé à 1,5million $. Dans un entretien diffusé par la BBC, Damien Hirst a déclaré qu’il a investi près de 64.5 millions $ dans ce projet. Nul doute les retombées financières seront conséquentes mais il serait malvenu d’en parler, admirons la geste médiatique…!

[**Pierre-Alain Lévy*]


[**Treasures from the wreck of the unbelievable
Palazzo Grazzi, Pointe de la Douane
Fondation François Pineau*]
Venise
Ouvert de 10h à 19h, fermé le mardi, dernière entrée 18h, billet unique

[([**Retrouver dans Wukali d’autres articles consacrés à Damien Hirst*]

Damien Hirst ouvre sa propre galerie à Londres
Le Guardian descend en flamme Damien Hirst
Vidéo du vol ahurissant de 2 oeuvres de Damien Hirst dans une galerie d’art de Londres
Doha, une capitale mondiale de l’art
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Contact : redaction@wukali.com
WUKALI 04/09/2017
Illustration de l’ entête: Credit Filippo Massellani pour The New York Times

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