When French engineers and financiers wanted to unify Pacific Ocean to Atlantic Ocean by digging a canal

L’homme n’est pas exactement n’importe qui. Sa statue trône majestueusement place de France à Panama, et sous le buste de bronze on peut lire : « [**Fernando Maria Vizconte de Lesseps*] ». Issu d’une vieille famille de diplomates, son oncle sera anobli par [**Louis XVI*] et son père fait comte par [**Napoléon*]; sa mère, espagnole, est la tante de la [**comtesse de Montijo*], mère de l’impératrice [**Eugénie*]. [**Ferdinand de Lesseps*], petit-cousin de l’impératrice Eugénie, était donc bien né.

Cavalier émérite, il embrassera la carrière diplomatique, se mariera deux fois et eut 17 enfants avec deux épouses ( il aimait les très jeunes filles très maigres ), dont le dernier à l’âge de 78 ans. On le retrouvera vice-consul à Tunis, puis à Alexandrie, où le Consul général de France lui fera cadeau des mémoires de [**Jacques-Marie Le Père*], membre de l’expédition scientifique de Napoléon, chargé d’étudier la possibilité de creuser un canal dans l’isthme de Suez; choix judicieux : Lesseps dévorera le livre, et ce sera le début d’une vocation. Lesseps est ensuite nommé consul au Caire, puis on le retrouve à Rotterdam, à Barcelone, à Madrid, à Rome, où une sombre histoire l’oblige à démissionner du corps diplomatique; heureuse coïncidence, son vieil ami [**Saïd Pacha*] accède justement au trône de vice-roi d’Egypte et, entre 1859 ( il a 54 ans ) et 1869, Lesseps, reprenant à son compte une idée des saint-simoniens, creuse le [**canal de Suez*]. |left>

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Mais ce qui nous intéresse ici, c’est ceci : Ferdinand de Lesseps n’était ni un ingénieur ni un homme d’affaires, c’était purement et simplement un diplomate. Il est devenu certes une des gloires immortelles de la France ( son surnom sera « le Grand Français »), mais certains historiens n’hésitent pas à avancer qu’avec le canal de Suez et le canal de Panama, Lesseps s’était lancé dans d’immenses projets auxquels il ne connaissait strictement rien. Des projets qui l’ont dépassé, certes, et dont le manque de connaissances de leur concepteur ne fut pas sans conséquences…

[**Un très vieux projet…*]

Les premiers qui eurent l’idée de construire un canal dans l’isthme de Panama furent évidemment les Espagnols. En 1524, reprenant une suggestion des conquistadors, en particulier de [**Gaspar de Espinosa*], [**Charles Quint*] demanda qu’on étudie la possibilité de creuser un canal, qui permettrait un accès plus facile au Pérou et à l’Equateur. Le portugais [**Andagoya*], plus réaliste, écrira au roi « qu’avec tout l’or du monde, on ne se sortirait pas d’une telle affaire  ». Il n’avait pas tort…Un jésuite, [**José d’Acosta*], notera d’ailleurs en 1590, que « quelques personnes ont parlé de couper cet intervalle de six lieux et de joindre une mer avec l’autre. Ce serait noyer la terre, une mer étant plus basse que l’autre ». Il n’avait pas tort non plus.

Puis les Écossais s’y mirent, avec le projet Darién ( l’isthme de Panama porta longtemps le nom d’isthme de Darién ), afin de traverser la bande de terre en suivant le tracé de plusieurs rivières, mais ils y engloutirent des sommes considérables, et le projet, qui se termina en catastrophe, fut abandonné. Ce fut un nouvel échec cuisant et coûteux.
En 1819, l’allemand [**Alexander von Humboldt*] relança l’idée de construire un canal à Panama, et le gouvernement espagnol créa une compagnie pour le creuser. Mais en 1839, la république de Nouvelle-Grenade ( l’actuelle Colombie, dont le Panama faisait partie à l’époque ), accorda une concession à une compagnie française; pourtant, la France, constatant l’immense difficulté du projet, y renonça.

Finalement, en 1855, un chemin de fer de 75 kilomètres reliant les deux océans Atlantique et Pacifique fut construit, coutant la vie à 12.000 personnes mortes du choléra, du paludisme et de la fièvre jaune.

Mais le projet de canal ne fut pas abandonné pour autant. De 1850 à 1875, diverses études furent lancées, avec des tracés passant par Panama, le Nicaragua, et même le Mexique.

On en était là de cette idée compliquée, ancienne, déjà amplement étudiée et envisagée, reprise et abandonnée, lorsque, en 1878, des expéditions françaises, menées par [**Lucien Napoléon Bonaparte-Wyse*], finirent par signer un contrat de concession de 99 ans avec le gouvernement colombien.

[**Ferdinand de Lesseps*], fort de son prestige tiré du canal de Suez, était président du jury du Congrès international du canal interocéanique, organisé par la Société de géographie de Paris. Le Congrès donna son aval au projet porté par Lucien Napoléon-Wyse, c’est-à-dire un canal à niveau, sans écluse; choix funeste : on se souvient que les deux océans ne sont pas à la même hauteur. |left>

Seul, un ingénieur des Ponts-et-Chaussées, [**Adolphe Godin de Lépinay*], osa contester ce choix, préconisant un canal à écluse; il jugea le projet de Lesseps irréalisable, trop coûteux, et chiffra à 50.000 les pertes humaines probables. Mais rien n’y fit. Lesseps racheta les droits de la concession Wyse pour 10 millions de francs, et crée la Compagnie universelle interocéanique de Panama. Objectif : creuser un canal à niveau.

[**…Et un projet très compliqué*]

Le coût du projet avait été évalué à [**1.200 millions de francs-or*], et une première levée de fonds se solda par un échec en 1879. Qu’importe, les travaux débutèrent en 1881. Lesseps, pour ne pas effrayer le public, fit une nouvelle évaluation du projet à 600.000 francs-or et, sur cette base, une levée de fonds, sous la forme d’émission d’actions de la Compagnie Universelle, qui fut un succès relatif, puisqu’on ne récolta que 300.000 francs sur les 400.000 demandés.

Les problèmes ne tardèrent pas à survenir : malaria et fièvre jaune déciment le personnel ( pour la période 1881-1889, la Compagnie reconnut [**5.618 décès*], mais les Américains évaluèrent les morts à [**22.189*] ), et un tremblement de terre survint en 1882, entraînant une chute du prix des actions de la Compagnie.

Pourtant, le pire était à venir. Pour construire un canal à niveau, il fallait creuser à travers le massif de la Culebra une vallée artificielle de 12.6 kilomètres de long située à 64 mètres au dessus du niveau de la mer, dite coupe Gaillard, ou coupe Culebra; au bout de cette coupe, il y avait le lac Gatün, qui se trouve à 26 mètres au dessus du niveau de la mer ( Lesseps avait pourtant été prévenu ! ). Les travaux de la coupe commencèrent en janvier 1882, et les Français réussirent à extraire 14.258.000 mètres cubes de terre, ramenant le sommet de la coupe Culebra de 64 à 59 mètres au dessus de la mer. Cette coupe Culebra se transforma vite en un casse-tête majeur, et, en 1887, Lesseps dut se résoudre à transformer son projet en y incluant 10 écluses, qui furent construites par [**Eiffel*]. |right>

En 1884, il apparut clairement que le coût du projet avait été très largement sous-évalué, et les caisses de la Compagnie étaient vides, alors que seulement un dixième des déblaiements nécessaires avaient été réalisés; le cours de bourse des titres de la Compagnie chutèrent. Pourtant, il fallait bien lever de nouveaux fonds, et Lesseps eut l’idée de s’attaquer aux petits porteurs, mais il fallait pour cela modifier la loi. C’est alors que Lesseps fit appel à des financiers, au nombre desquels le[** baron de Reinach*] et [**Cornelius Hertz*].

[**« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose »*]

Le[** baron de Reinach*] était un des rois de la finance de l’époque. Juif d’origine allemande, il avait fondé en 1863 la[** banque Kohn-Reinach*], et possédait un superbe hôtel particulier Parc Monceau, où se réunissait le Tout-Paris. Le baron s’était lié d’amitié avec [**Cornelius Hertz*], juif allemand ayant fait fortune aux Etats-Unis, et, en 1886, les deux hommes devinrent responsables de la publicité de la Compagnie. |right>

Passons sur les détails sordides, mais Reinach et Hertz distribuèrent largement des fonds de la Compagnie à la presse afin qu’elle promeuve le Canal envers et contre tout, puis ils entreprirent de corrompre les députés afin de les aider dans leur entreprise de levée de fonds; à titre d’exemple, le Ministre des Travaux Publics, [**Charles Baïhaut*], reçut un million de francs. En fait, il s’agissait de rien moins que de corrompre la presse et tout le personnel politique afin de lever des fonds auprès de petits épargnants en les trompant, dans le but stupide de poursuivre une entreprise colossale de toute façon vouée à l’échec. Finalement, l’inévitable se produisit en 1889 : en dépit d’une dernière levée de fonds en 1888, la Compagnie du canal fit faillite, entraînant la ruine de 85.000 petits épargnants.

C’est [**Edouard Drumont*], antisémite patenté, qui révélera l’affaire en 1892 dans son journal, « La libre Parole ». Le scandale prit de l’ampleur, chaque jour apportant son lot de révélations : le nom de multiples hommes politiques fut jeté en pâture à la presse, tel celui de [**Charles Floquet*], président de le Chambre. Le baron de Reinach fut retrouvé mort, Cornelius Herz s’enfuit en Grande-Bretagne, une commission d’enquête fut créée, le ministre de l’intérieur, [**Emile Loubet*], dut démissionner, [**Georges Clemenceau*] fut éclaboussé et perdit son siège de député du Var ( c’est en cette occasion qu’il s’écria « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose »), bref, il apparut que 104 députés, pas moins, avaient touché entre 1.000 et 30.000 francs, l’ancien ministre des travaux publics, [**Charles Baïhaut*] fut condamné à 5 ans de prison, [**Ferdinand de Lesseps,*] son fils [**Charles*], ainsi que [**Gustave Eiffel*] écopèrent également de 5 ans de prison, etc…etc… Morts violentes, vies brisés, carrières terminées, honneur bafoué, tel fut le prix a payer pour la sous-évaluation du coût de ce projet pharaonique. Incompétence ou calcul ? Les deux sans doute. Ferdinand de Lesseps ne fera pas de prison en raison de son grand âge, et Gustave Eiffel sera finalement réhabilité. Mais le pire fut sans doute la perte de confiance du public dans la démocratie et dans le personnel politique :« tous pourris», en somme, voilà un concept qui n’est pas bien nouveau…

Ce sont les Etats-Unis qui rachetèrent la concession à la Compagnie nouvelle du Canal de Panama, par le [**traité Hay-Bunau-Varilla*] de novembre 1903, et ils finirent le travail avec un modeste surcoût de 40 millions de dollars. Le canal fut inauguré le 15 aout 1914, alors que commençait la Première Guerre mondiale. Voilà pourquoi le canal de Panama s’est retrouvé entre les mains des Etats-Unis, jusqu’à ce qu’il soit finalement récupéré par les Panaméens en 1999.

[**Jacques Trauman*]|right>


Illustration de l’entête: caricature représentant Ferdinand de Lesseps ouvrant montagnes et rapprochant les océans.


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Contact : redaction@wukali.com

WUKALI Article mis en ligne le 27/12/2019 et initialement le 18/07/2019

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