– Cher Vladimir Vladimirovich, votre collation du soir, la prendrez-vous dans le grand salon Iossif Vissarionovitch Staline*, la suite Maréchal Gheorghi Joukov*, ou bien sur la terrasse-ouest du palais dominant** ce si beau cap de Guelendjika ? La Mer Noire est si belle ce soir, une légère brise venant du large apporte des parfums capiteux ?
–Nous avons aussi juste reçu, je suis très heureux de vous le dire, quelques très beaux poissons, vous allez aimer, Vladimir Vladimirovich. Si vous le souhaitez nous saurons les accommoder à votre goût, comme d’habitude. Vous nous direz quels vins vous souhaiteriez boire, un vin de Crimée peut-être, notre mère-patrie n’est-ce pas, ou un de ces fameux Blancs Corton Charlemagne de ces damnés Français?
Sous le soleil encore haut dans le ciel, le Palais de Poutine la résidence du Cap Idokopas ( Резиденция на мысе Идокопас) sur la Mer Noire, s’étage à flanc de colline près du village de Praskoveevka (Праскове́евка), non loin de Sotchi. Un néo-Versailles pour mégalomane. C’est là que l’autocrate se ressource et se repose pour oublier l’offensive en Ukraine, cette aventure folle, ce délire avorté que lui seul a décidé, avec ces dizaines de milliers de jeunes soldats russes et ukrainiens que son hystérie impérialiste et conquérante a envoyés à la mort. Qui plus est une force armée contre toute attente disloquée, des armements détruits, une mise à nu humiliante. Les états-majors russes pourront-ils l’accepter sans ciller ?
Le ton obséquieux du maître d’hôtel, ne fait pas illusion. Poutine réussit dans les situations difficiles à faire bonne figure. On lui a appris cela il y a bien longtemps quand il était encore jeune officier du KGB, c’est d’ailleurs un pré-requis ! Il sait que le sol est désormais meuble sous ses pieds, et que tous ceux qui se courbent sous son regard seraient prêt à faire volte-face et le trahir. Même l’Armée, si çà se trouve certains généraux sont gangrainés par la CIA!
Plus rien ne va, la propagande a beau attiser son venin et les émissions de télévision à sa dévotion exalter un nationalisme inepte et inquiétant, tout se dégrade dans le pays, il le sait et cela le taraude. L’économie s’effondre, les élites intellectuelles quittent la Mère-Patrie, et la confiance qu’il peut avoir avec Xi Jinping, le voisin chinois, pour le soutenir, n’est qu’une attitude de façade.
Ses alliés politiques, plus un gang de mafieux, de corrompus du pétrole, d’affidés comme le tchétchène Ramzan Kadyrov, ou de clients comme la ridicule Marine Le Pen en France (cliquer) et le populiste et idéologue Mélenchon !
« Peu importe qu’un chat soit blanc ou gris, l’importance c’est qu’il rapporte des souris » disait Deng Xiao Ping (希贤 ), ah ces maudits Chinois, toujours eux !
Dans le pays profond, des milliers de familles russes pleurent le fils, le frère, le mari, qui ne reviendra plus. La tragédie russe par excellence qui se renouvelle. Le désespoir lentement s’étend, lentement, mais encore silencieux et froid comme une lame il s’étale désormais comme une flaque de sang. Fiasco d’une mise sous tutelle de l’opinion près de laquelle on vantait un nationalisme et l’où réinventait l’histoire, la grande, celle avec un grand H. « Le régiment des Immortels » et les familles sortaient et défilaient dans la rue en exhibant la photo d’un défunt, tué durant la Seconde Guerre mondiale contre les Allemands, contre Hitler, contre le nazisme, naguère, avec Poutine, encore lui, en tête de cortège.
Sous son règne, jamais, non jamais un mot pour condamner les crimes de l’URSS, du régime communiste ! Silence sur les Zeks, les déportés du Goulag, les prisonniers construisant dans des conditions inhumaines et dans des températures sibériennes largement au-dessous du 0°, le Canal de la Mer Blanche (Беломо́рско-Балти́йский кана́л), ou tous ceux qui furent arrêtés puis torturés à la prison de la Lubianka. Silence! Nulle repentance comme l’on dit en français, nul courage de la responsabilité. Effondrement du modèle russe.
Le massacre de Katyń sur ordre de Staline, pas un mot dans les manuels d’histoire. Des milliers d’officiers et d’intellectuels polonais tués d’une balle dans la tête. Longtemps, on fera passer ce crime imprescriptible pour un crime nazi. Ah la glorieuse Armée Rouge, celle de la bataille de Koursk ( Курск), (Koursk, vous avez dit ?), la guerre patriotique ! « Plus le mensonge est gros, plus il a de la chance d’être cru …! » disait voilà un temps Goebbels, on a les références qu’on peut !
Le point faible des tyrans, leur incapacité et leur refus violent d’établir un dialogue avec l’autre
Faut-il encore détailler toutes les atteintes à la liberté, la répression contre les journalistes, les artistes, (cliquer) contre tous ceux qui s’opposent à ce cher Vladimir. Nous y avons consacré de nombreux articles. Rappelons tous ces assassinats mystérieux d’opposants et de journalistes, l’utilisation du poison, l’anomie sur le sujet, et la censure désormais présente partout. Jusqu’au vocabulaire qui est censuré, le mot « guerre« , en russe война quand il s’agit de la Guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, est tout bonnement interdit d’usage ! « Le nez » de Gogol reprend du service.
Décidément l’image de Vladimir Poutine est fidèle à ce qu’il est, c’est-à dire le fruit d’une certaine tradition russe. Une certaine tradition, pas celle de toute la Russie, fort heureusement !
Une tradition terrienne, continentale (toute résumée dans la pensée de Fernand Braudel -Cliquer- ), c’est à dire tournée vers le conservatisme, le repli sur soi-même, la pensée nationaliste, la mystique de la terre. Effectivement, la Russie est avant tout un pays continent qui s’étend de l’ouest de l’Oural jusqu’à la taïga sibérienne de l’extrême-Orient, et la forêt est au coeur de l’âme russe. La tradition maritime est hors-propos. Comment peut-on alors se dépêtrer de cette imprégnation quand la seule ouverture sur le monde n’a été qu’une formation au KGB à Léningrad dans un poste au demeurant subalterne.
Tel est bien le drame de la Russie d’aujourd’hui, Vladimir Poutine et ses acolytes se sont montrés incapables d’analyser l’évolution du monde contemporain après la chute du communisme, soit une absence de pensée économique et prospective pour le développement de leur pays. Tout aussi grave, leur impuissance matricielle et d’ouverture au monde, les a rendus opaques à la révolution en cours de l’information et de la communication. Ils n’en ont vu que les défauts mais ont été incapables d’en mesurer les facteurs de progrès pourtant, et de loin, plus importants. Ils n’ont pas compris cette formidable dynamique d’entraînement, cette synergie, que représentent précisément la liberté de la communication et de l’information, notamment incarnée par l’Internet. Leur monde est un monde obsidionale, celui de la forteresse assiégée, comme au temps de la Guerre froide. Quant à la Liberté, et celle de penser notamment, c’est de la nourriture avariée pour ces freluquets de Français !
Comment se fait-il qu’un pays aussi vaste que la Russie, riche de ressources minières et doté d’ institutions académiques de qualité, se trouve-t-il au 12ème rang mondial et cela bien avant la guerre de la Russie contre l’Ukraine ! L’élan, la dynamique managériale, l’esprit d’entreprise, les perpectives d’émancipation personnelle et l’absence de liberté et oui, sont tout bonnement absents de l’univers russe sous la férule de Poutine. Les garajniki, ces petits entrepreneurs, ces inventeurs de bout de ficelle, ont perdu tout espoir!
Il ne fait pas le moindre doute que les conséquences pour la Russie de cette folle marche en avant militaire, de la guerre, puisqu’il faut bien appeler les choses par leur nom malgré les censeurs (Bonjour Anastasie !) seront catastrophiques pour la Russie.
Emmanuel Macron avait bien raison dans une conversation rendue publique avec Vladimir Poutine, de souligner et dénoncer, non seulement ses tromperies et manipulations, mais surtout son absence de vision historique pour son propre pays, et c’est bien là le drame ! Ainsi la Russie par sa faute et sa volonté impériale et totalitaire, entame un processus de perte de puissance et de désagrégation dans son développement (aggravé qui plus est par une érosion démographique catastrophique) et dont nul ne peut mesurer encore les conséquences. Son image est pour longtemps amoindrie et la Chine sourit.
–Vladimir Vladimirovich, vous prendrez bien de ces petits gâteaux au sucre que vous aimez tant…?
-Mais pourquoi les faire goûter d’abord par un garde de votre protection…?
* Nous ignorons les noms donnés à ces fastueuses salles de réception de la demeure de Vladimir Poutine. Leur dénomination choisie nous semblant pouvoir être conforme à une certaine réalité…
** Lire l’article sur l’architecte du Palais de Poutine (cliquer)
Cet article est accessible en traduction anglaise, à cette fin, cliquer sur le drapeau en haut de page
Illustration de l’entête: Vladimir à table, sur sa droite son fidèle Evgueni Prigozhin, maître des banquets.
Photo: The Oboe New Times