Décidément, à Aix-en-Provence, la musique classique est à l’honneur toute l’année et pas seulement pendant les grands festivals. Rappelons que l’édition 2025 du Festival de Pâques se déroulera du 11 au 27 avril, au GTP, mais aussi au Théâtre du Jeu de Paume, au conservatoire Darius Milhaud, à la cathédrale Saint-Sauveur et dans tant d’autres lieux en région Sud.
Le programme était réjouissant ce samedi 15 mars, avec le Concerto pour violon en ré majeur de Johannes Brahms en première partie, suivi après l’entracte de la Suite n°3 en sol majeur de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Et pour servir ces grandes œuvres, l’Orchestre philharmonique de la NDR de Hanovre, sous la baguette du chef russe Stanislav Kochanovsky, considéré, à 40 ans, comme l’un des plus brillants de sa génération. Le violoniste Gil Shaham aura marqué les esprits en ce début de soirée avec l’un des plus grands chefs-d’œuvre jamais écrits pour le violon, une œuvre d’une quarantaine de minutes en trois mouvements.
On n’a aucun mal à se plonger dans ce concerto. Dès les premières mesures, on entend tout, notamment dans cette introduction qui capte et hypnotise l’auditeur. L’orchestre nous livre les thèmes dans une première et longue exposition. On reconnaît les grandes phrases brahmsiennes, tout y est incarné, c’est chantant et poétique. L’orchestre subjugue par cette recherche de longueur justement, ses phrasés qui s’étirent, jusqu’à ce que l’on entende cette flûte merveilleuse qui double la mélodie des violons et illumine tout. Quand le violon de l’Américano-Israélien Gil Shaham fait son entrée et se glisse dans le fondu brahmsien, on est d’emblée séduit par la beauté du timbre, juste incroyable, les effets poétiques, le son concentré. C’est un violon de charme, au phrasé subtil, un violon de caractère qui fonctionne bien avec l’orchestre. La complicité entre le violoniste et le chef, deux musiciens vraiment charismatiques, fait plaisir à voir. Gil Shaham, tout sourire, échange avec Stanislav Kochanovsky, mais aussi avec nous, public. Grâce à tous les pupitres au diapason, le concerto se fait par moments intime, et on aime son chant « de l’intérieur ». Gil Shaham prend possession des thèmes de l’orchestre, les pare de toute sa virtuosité et se love dans cette texture lyrique.

©Simon Van Boxtel
La partition est d’une difficulté redoutable. De nombreux violonistes l’ont déclarée injouable, mais à l’écoute de cette proposition samedi, on se dit que c’est bien que de nombreux violonistes téméraires aient eu envie de s’y attaquer pour nous la présenter. Dans le deuxième mouvement, le hautbois est admirable. Il émerge de la brume, déroule sa partition, se livre dans la lumière. Tout devient comme immatériel et le temps est suspendu dans une douce atmosphère. On quitte cette quiétude pour entrer dans la fête. La musique hongroise fait son entrée, vertigineuse, endiablée, et le violon entraîne tout le monde ! Un finale exultant, emporté par une belle mélodie tzigane. Et dans cette version très enthousiaste, très puissante on s’étonne de l’approche du chef d’orchestre qui ne se laisse pas emporter même dans les moments les plus intenses et puissants de la partition. Sa direction reste sobre, précise, carrée : des haussements d’épaules, des signes discrets de la main, des mouvements de tête sont révélateurs de cette manière de communiquer avec les musiciens, sans aucune théâtralité, en se concentrant juste sur l’essentiel.
Le violoniste nous offre deux bis, dont une pièce de Bach, dans une forme de rondo aux défis techniques incroyables. On se souviendra de ces cadeaux de Gil Shaham alliant virtuosité et expressivité, nous donnant l’impression d’être « plusieurs sur scène »… alors qu’il joue seul.
Tchaïkovski est à l’honneur ! Il vient de Saint-Pétersbourg, tout comme Stanislav Kochanovsky. Et si les grands compositeurs et chefs d’orchestre sont par essence « internationaux », qui mieux que Tchaïkovski pour « introduire » la musique classique aux non-initiés et la faire aimer de tous ? Sa musique va droit au cœur. Il possède ce don pour la mélodie, et si on trouve parfois son lyrisme exacerbé, on peut l’aimer pour sa pureté, son indéniable authenticité. C’est ce que l’on retrouve dans cette œuvre orchestrale, pourtant beaucoup moins connue que ses symphonies. Tchaïkovski y déploie une orchestration fluide et colorée, avec une alternance entre lyrisme et vivacité rythmique. Chaque pupitre joue un rôle essentiel, et on ne les met pas souvent en lumière : les flûtes et piccolo avec leur timbre cristallin, les hautbois qui, ce soir-là, ont déployé une sonorité expressive, envoûtante, les cors toujours aussi majestueux, les clarinettes à la voix chaleureuse, les bassons qui nous séduisent dans de beaux graves, les trompettes éclatantes ; les trombones et le tuba, les cuivres séduisants, les percussions – timbales, grosse caisse, tambourin, triangle, cymbales – qui colorent et rythment l’ensemble, la harpe, délicate, aérienne, et bien sûr, l’épicentre de l’orchestre avec les violons, altos, violoncelles et contrebasses. Cette coordination parfaite de tous ces musiciens a fait la magie de ce magnifique concert.
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