Pendant des années de plomb il avait symbolisé la division de l’Allemagne et la Guerre froide. Pour tenter de le franchir et accéder à la liberté, des allemands de l’Est (comme on disait alors), tentaient l’impossible au péril de leur vie, les vopos

d’Honnecker tiraient à vue.

Et puis ce fut cette date du 9 novembre 1989, l’inimaginable. Des hommes et des femmes escaladant et franchissant l’enceinte en béton, flashes d’images, coups de pioche névrotiques d’une démolition commençante, fin d’un monde. Les gardes de la République démocratique allemande ou Allemagne de l’Est (autres appellations passées de mode) laissant faire. La presse du monde entier incrédule et les chefs d’état pris de court tandis que les Berlinois accueillaient les réfugiés venus de l’Est voisin.

Nuit froide de novembre. Mitslav Rostropovitch, arcbouté sur son violoncelle jouant des partitas de Bach. La foule grossissante à vue, ébahie, joyeuse, goguenarde, éberluée. Regards embués de larmes, les familles séparées des deux côtés de la muraille enfin réunies, l’impossible à envisager. Le mur était enfin « tombé ».

Le temps passa, Berlin vécut une nouvelle page de son histoire. Les architectes et les urbanistes re-visitèrent la ville et les chantiers jaillissaient à tous les carrefours. Du mur il ne restait que certaines sections, peu à peu sa longue cicatrice décorée, camouflée, colorée, et quasiment festive s’était transformée par mimétisme en oeuvre d’art. L’hideuse expression lapidaire d’une découpe de l’Europe et de l’Allemagne se mua en témoignage mémoriel, marque du temps, tel un musée ouvert sur la ville. Mieux le Mur était devenu monument et constituait un rendez-vous obligé pour tous les visiteurs de passage, « Ich bin ein Berliner« . L’effervescence artistique qui caractérise Berlin prenait aussi tout son sens sur ce long serpent de béton choisi comme support par les peintres venus du monde entier. Tout à la fois galerie d’art en plein air et cimaise à ciel ouvert, le mur est devenu un objet d’art monumental, une page de bande dessinée, un décor urbain. Près de 800.000 visiteurs par an. C’est un symbole dynamique de la création artistique de Berlin, un témoin aussi d’un passé pas très éloigné et toujours très douloureux

Mais voila, la partie restante du mur, l’East Side Gallery (près d’1,3km de long), entièrement décorée de fresques risque de tomber sous les coups de boutoir des élus et des urbanistes, pour répondre au cahier des charges d’un résidence immobilière haute de 63 m et composée de 36 appartements et bureaux. Le maire écologiste (Die Grünen) de ce secteur Franz Schulz a annoncé que cette décision est parfaitement légale et que des sections du mur devaient être enlevées, qu’en lieu et place on construirait des pistes cyclables et des voies d’accès pour le parc paysager le long de la Spree. Quoi qu’il en soit, le vent de la contestation se met à souffler et à défaut de voir le drapeau noir flotter sur la marmite, les artistes s’organisent. Thierry Noir, un artiste français qui a décoré le mur d’une multitude de personnages récurrents démultipliés et schématiques, identifiables par leur homogénéité (ils ont des lèvres charnues et sont très colorés) a rejoint le collectif d’artistes. Kani Alavi qui est tout à la fois un artiste iranien résidant à Berlin ( les personnages qu’il aime à peindre ont des regards bouleversants qui transpercent le monde) et Président de l’East Side Gallery et qui avait été il y a quelques années le maître d’oeuvre pour la restauration d’une partie du mur (coût €2.5m ) estime que cette fois ci c’est l’existence même du mur qui est menacée.

Le Mur c’est moins l’historial de l’Allemagne d’aujourd’hui, avec ses icônes peintes et ses légendes, sa Trabant témoin emblématique d’un pays disparu et le baiser goulu et étouffant de Brejnev et Honnecker que l’expression du « Street Art » comme propédeutique et signe de la liberté sans dieu ni maître, une façon libertaire et sans contrainte de s’exprimer et de diffuser pour le grand public.

Pierre de Maizières.



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