C’est un ouvrage méconnu, Iolanta, le dernier opéra qu’a écrit Piotr Ilyitch Tchaîkowski, que présentent en co-production l’Opéra national de Lorraine à Nancy et l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, et cette redécouverte d’un oeuvre rarement jouée sur la scène lyrique constituera sans aucun doute un événement qui fera date.

Événement musical tout d’abord, et musicologique bien entendu, mais surtout un événement par la mise en scène de David Hermann qui indubitablement se pose aujourd’hui comme un des grands créateurs de la scène lyrique.


Iolanta a été créé au théâtre Marinski à Saint Petersbourg le 6 décembre 1892 conjointement avec Casse-Noisette. c’est la gageure que devenait tenir Tchaïkowski, celle de réaliser pour une même soirée de spectacle un opéra suivi d’un ballet, ce qui explique sa courte durée quatre vingt dix minutes pour un opéra en un acte et un seul tableau.

Si Iolanta ne possède pas le caractère grandiose d’un Eugène Onéguine, il représente néanmoins toutes les caractéristiques distinctives de la musique et de l’esprit de Tchaïkovski, un mélange tout à la fois de musique savante et de musique populaire, de cette spiritualité du chant de l’église russe orthodoxe, mélodies simples et angéliques et par ailleurs ces chants de paysans, de cette pureté candide et sublime magnifiée par cette langue russe aux intonations chaudes, éthérées ou nasillardes mais aussi de ce caractère instrumental fait du choix des instruments, de cette inventivité harmonique où excelle Tchaïkovski, par exemple dès l’ouverture de Iolanta, la présence curieuse du cor anglais suivi bien plus tard par le chant des harpes.

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Le sujet

L’histoire inspirée du dramaturge danois Henrik Hertz, sur un livret rédigé par le frère de Tchaikovski, se déroule au XVème siècle. Iolanta, la fille du Roi René, est aveugle, mais elle ne le sait pas. Elle vit recluse dans le palais de son père qui en a interdit l’accès à toute personne étrangère, de peur qu’on ne lui révèle son infirmité. Un médecin maure déclare qu’il peut la guérir à condition qu’on lui révèle qu’elle est aveugle et qu’elle veuille ne plus l’être. Grâce à lui, Iolanta va passer de l’ombre à la lumière et découvrir l’amour.

Dans le livret écrit par Modeste Tchaikovski, le frère du compositeur, la trame est linéaire et sans aspérité; les antagonismes et les conflits entre les personnages qui forment la base même de l’intrigue de la plupart des sujets d’opéra sont délibérément réduits à leur simple formulation.


La mise en scène

David Hermann, le metteur en scène, s’inscrit dans l’art d’aujourd’hui, déjà lors de la saison dernière, il avait monté dans les deux maisons d’opéra lorraines, Une Italienne à Alger résolument moderne et originale qui fut bien reçue par le public comme par la critique.

David Hermann possède ce rare talent de mettre en valeur un opéra appartenant au patrimoine musical et de le sublimer avec un imaginaire, des techniques d’imagerie numérique et une créativité artistique contemporaine puisés dans ce que l’on fait de mieux. Son souci esthétique demeure toujours respectueux de l’identité même de l’œuvre et de la musique. Nulle faute de goût dans la libre fantaisie adaptée.

Dans Iolanda, il n’hésite cependant pas à faire preuve d’un certain courage en ajoutant au livret, dès les dernières mesures de l’ouverture, une séquence visuelle présentée par un récitant, et qui fait la part belle à l’imagerie numérique et aux images laser. Certains peuvent s’en offusquer, il est cependant dans son rôle de médiateur, de messager, de transmetteur entre ce qu’a voulu le compositeur et la sensibilité d’aujourd’hui. On est peut être à mille lieues de la Cour du Roi René où se déroule l’action mais l’esprit s’envole vers des contrées infinitésimales qui construisent l’apparence des choses, tel un préambule d’une métaphysique des sens et de la sensation, en quelque sorte une métaphore de l’obscur et de la clarté, de l’altérité et de l’universel, une montée fusionnelle vers la vie, la lumière et l’amour.

Un syncrétisme s’opère, une métamorphose, une transfiguration, un bouleversement entre celui qui voit et celui qui est plongé dans les ténèbres, entre celui qui connaît le monde et celui qui n’en possède que l’idée.
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Dans cette mise en scène, la lumière dans son énergie cosmique rayonnant dans l’empyrée de mille soleils, vibre au diapason de la musique apportant au coeur de la vie, des êtres et des choses ce que d’aucuns appellent l’âme et le sentiment et d’autres nomment énergie ou big bang. Quintessenciée tout au long de ce travail de mise en scène, sa matérialisation technique est tout bonnement magnifique, juste et parfaite, cristalline et intense.

De toutes les archives existantes de la représentation de Iolanta sur une scène d’opéra que l’on peut aujourd’hui retrouver en DVD, la mise en scène de David Hermann est sans l’ombre d’un doute (sans jeu de mots!) la meilleure, très loin devant celle créée par Peter Sellars pour le Téatro Réal de Madrid (2012), voire même de celle du Bolchoï (1982) qui du coup apparait terriblement poussiéreuse ( hors les voix magnifiques évidemment !).

La distribution vocale est superbe, le rôle titre est tenu par Gelena Gascarova, son interprétation de Iolanta est parfaitement crédible, elle apparaît sur scène dans un univers technique médicalisé, Le Comte Vaudémont, l’amoureux de Iolanta, est interprété par Georgy Vasiliev et lors de l’interprétation de la romance, un des moments et un des airs les plus forts de l’opéra, l’émotion dans la salle est sensible et bouleverse. Le roi René est joué par Mischa Schelomianski, très belle voix de baryton-basse, Evgueny Liberman tient le rôle du médecin maure Ibn-Hakia, celui de la gouvernante et amie de Iolanta, Marta, est tenu par Svetlana Lifar.

L’Orchestre national de Lorraine dirigé par Jacques Mercier a su trouver le charme et la touche russes et les chœurs rassemblés des opéras de Metz et de Nancy installés dans les loges d’avant- scène (hélas !) inscrivent la partition dans son essence terrienne et céleste. L’ensemble instrumental et choral est dirigé avec énergie, la musique vibre magnifique et émouvante.

Pierre-Alain Lévy


IOLANTA de Piotr Ilyitch Tchaïchowski

Représentations

à l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole

Vendredi 12 avril à 20h–Dimanche 14 avril à 15h– Mardi 16 avril 2013 à 20h

à l’Opéra National de Lorraine à Nancy

30 avril 2013 à 20h, 2, 7 et 9 mai 2013 à 20h, 5 mai 2013 à 15h


Illustration de l’entête; Photographie Wukali.

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