Vous aviez mon coeur,
Moi, j’avais le vôtre :
Un coeur pour un coeur ;
Bonheur pour bonheur !
Le vôtre est rendu,
Je n’en ai plus d’autre,
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !
La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L’encens, la couleur :
Qu’en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu’en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?
Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,
Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !
Savez-vous qu’un jour
L’homme est seul au monde ?
Savez-vous qu’un jour
Il revoit l’amour ?
Vous appellerez,
Sans qu’on vous réponde ;
Vous appellerez,
Et vous songerez !…
Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.
Et l’on vous dira :
» Personne !… elle est morte. »
On vous le dira ;
Mais qui vous plaindra ?
Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859)
Illustration : Marceline Desbordes-Valmore. Copie anonyme d’un original d’Hilaire Le Dru
Douai, BMDV