Gorgeous !


Avec Patrick Dieudonné, c’est un peu le vent et la lumière celtes et nordiques qui passent sur la photographie, un souffle vif de nature dans les ambiances du septentrion et boréales de ces contrées exceptionnellement bien conservées, une véritable invitation au voyage vers l’Islande, l’Ecosse, les Iles Féroé…

André Nitschke.
Chroniqueur de www.wukali.com


Patrick Dieudonné, pourriez-vous vous présenter un peu pour les lecteurs de WUKALI ?

Olécio partenaire de Wukali

Je suis photographe professionnel et représenté par une dizaine d’agences photo internationales dont Getty Images et Corbis, j’ai à 3 reprises exposé au festival international de Montiers en Der, référence européenne en photo nature et paysages. J’ai été primé dans divers concours de photo nature et animalière. Mes images ont fait l’objet de plusieurs publications dans le National Géographic, le Figaro, Notre Temps, le Times, The Guardian, El Pais, etc. Mes clients récents sont : Véolia, Zenith watches, Scotland Tourism. J’organise également mes propres stages et voyages photographiques dans des pays comme l’Italie, l’Ecosse, l’Islande, et en France.

Comment définiriez-vous votre démarche photographique ?

Je suis principalement intéressé par la photographie de nature et de faune, je pratique assez peu le reportage humain (parfois en travaux de commande), car la quête d’endroits naturels préservés baignés de belles lumières m’occupe beaucoup. C’est pour moi une expérience existentielle, je m’engage physiquement dans des lieux assez inhospitaliers parfois dans des conditions météo difficiles. Je recherche des moments intenses en nature, des lumières exceptionnelles dans des lieux aussi sauvages que possible. Pour y arriver, je pars plusieurs semaines d’affilée et je me déconnecte volontairement des rythmes imposés par notre société, pour retrouver une sensibilité, une ouverture au monde extérieur, qui devient parfois mon monde intérieur, dans un mélange original d’effort physique et de méditation.

Contrairement à pas mal de monde, je pense que la nature n’est pas en opposition avec la culture, ni un sous-produit de celle-ci, c’est-à-dire une représentation construite ou un espace de loisir, mais une force englobante, qui intègre et domine les diverses cultures et peut nous régénérer puissamment. Ce n’est pas une idée originale, car elle est à la base des pratiques traditionnelles ou magiques de bien des peuples dits premiers, et de beaucoup d’expériences spirituelles anciennes ou contemporaines, mais elle mérite d’être découverte personnellement et partagée. C’est quelque chose de cette force que j’essaie de faire passer dans la photographie de nature, et c’est une quête passionnante mais difficile.

En ce sens je me situe plutôt en-dehors des tendances principales de la photographie française, qui privilégie les rapports humains, les problèmes de civilisation, ou la nature vue dans une optique utilitaire ou récréative, etc. Pour moi la nature est première, même si elle est souvent subjuguée ou maltraitée en Europe occidentale. Je me sens plus proche de paysagistes américains ou anglais, comme Adams, Muench, Dykinga, Rowell ou Colin Prior, photographe panoramiste écossais, que des grands photographes français « historiques » (mais il y a bien sûr d’excellents photographes contemporains français de paysage ou de nature, comme O. Grünewald, V. Munier, etc). Et je travaille de préférence dans des pays où la marque humaine est moins forte, quoique très rarement totalement absente, des pays du nord comme l’Ecosse, l’Islande, par exemple, pour lesquels j’ai une vraie passion.

Mes photographies sont actuellement publiées en magazine et publicité, parfois par des marques de prestige (campagne internationale pour les montres suisses Zénith l’an dernier, en noir et blanc), et surtout à l’étranger – mais j’aimerais bien rassembler un peu tout cela, en dégager des perspectives, et je pense aussi à des réalisations plus globales (livre), pour bientôt.

Quelles techniques photographiques aimez-vous employer ?

J’ai une approche un peu duale et contradictoire sur le sujet. D’un côté il est certain que la technique pure est secondaire, que ce qui compte c’est l’instant et le lieu d’abord, ainsi que l’état de réceptivité et de créativité du photographe, sur lequel j’ai insisté précédemment. Cette réceptivité est un processus mental, non technique. J’anime des stages photo à l’étranger dans des lieux assez exceptionnels, et cela m’a amené à rencontrer certains photographes qui, pris dans des dilemmes techniques, ou enfermés dans leurs propres représentations mentales, se retrouvent parfois incapables de voir, et a fortiori de traduire le potentiel photographique qui s’offre à eux. Une bonne technique est nécessaire, mais l’essentiel vient des yeux et du coeur, d’une empathie envers son sujet. Aucune technique ne peut compenser ce manque d’engagement personnel, et j’insiste beaucoup là-dessus. On ne photographie bien que ce qu’on aime, ou qu’on apprend à aimer et respecter.

Mais d’un autre côté je recherche l’émotion du grand tirage, et de l’image dans sa perfection, pour ne pas trahir la grandeur des paysages naturels que j’ai la chance de côtoyer. C’est pourquoi je suis très attentif au matériel que j’emploie et à plusieurs techniques photographiques traditionnelles et modernes, parfois assez complexes. En fait j’essaie d’utiliser le meilleur des deux mondes, analogique et numérique: j’emploie encore le film, et des appareils moyen ou grand format comme un panoramique Fuji 6×17 cm, deux appareils 6×7 cm (Pentax et Mamiya) et une chambre 4×5, à l’occasion. Je scanne ensuite les films (que je fais développer en Angleterre, car c’est de plus en plus difficile en France) sur un scanner Hasselblad X5. La qualité technique obtenue est incroyable, et il y a ce rendu du film, ce modelé et cette profondeur dans l’image, ce réalisme que je préfère toujours en photo de paysage. Mais le numérique a fait de grands progrès et j’utilise aussi beaucoup un Nikon D800E, très défini avec ses 36 millions de pixels, et un D3, plus rapide, pour l’animalier. Je n’ai hélas pas les revenus d’un photographe publicitaire ou de mode, et j’ai dû réfréner pour l’instant une pente naturelle pour le moyen format numérique (Phase One et Hasselblad), ou la chambre numérique, car l’obsolescence du matériel est presque aussi rapide qu’en 24×36 et se révèle très coûteuse au final.

Il faudrait donc arriver à un stade où la technique n’est plus qu’un outil (maîtrisé) au service de l’émotion et de la vision. Cela demande beaucoup de temps sur le terrain, et un esprit curieux des possibilités énormes qu’offrent les outils très divers dont nous disposons actuellement – sans oublier les plus anciens, même si les nouveaux appareils numériques sont pratiques et favorisent l’apprentissage.

Que penser des techniques modernes de l’image, de plus en plus présentes dans le résultat final, y compris en paysage ?

J’apprécie beaucoup nombre d’évolutions techniques récentes ou moins récentes et je les emploie ou les enseigne d’ailleurs (assemblage panoramique, filtres dégradés gris à la prise de vue, dans certains cas expositions multiples). Ce que j’apprécie moins, en photo de nature ou de paysage tout au moins, c’est que la « post-production », comme on l’appelle, prenne trop le pas sur la réalité vécue de la scène photographiée. L’on voit de plus en plus des paysages manifestement « photoshoppés« , avec collage de ciels et d’objets, ou d’animaux, des couleurs irréalistes, des rendus HDR (High Dynamic Range) caricaturaux, etc.

Alors qu’on cherche à montrer la beauté et la force brute des espaces naturels, et des êtres qui y vivent, de telles pratiques jettent souvent le doute dans l’esprit du public et instaurent un nouveau voile, un brouillage, un nouvel écran technologique qui nous empêche de nous projeter dans l’image sans arrière-pensée – et nous sépare une fois encore, au final, des scènes photographiées, de la nature…

Pour le photographe qui comme moi investit beaucoup de temps et de moyens pour essayer de témoigner, bien sûr avec ma sensibilité propre, de moments privilégiés, de lumières exceptionnelles en extérieur, dans des conditions souvent difficiles, il est très frustrant de voir que certains préfèrent simuler et reconstruire plutôt que de rechercher cela sur le terrain. Un regard averti perce assez rapidement ces manipulations excessives à jour mais le public est moins expert, d’où une dévaluation générale des images réalisées et un questionnement de celles-ci, qui en atténue la force de vérité et de beauté.

Or c’est de cette réalité, de cette force et cette beauté transcendante dont nous avons désespérément besoin dans une société techniciste, toute prête à nous faire croire que la nature, si proche et si loin de nous, n’est qu’un épiphénomène, une illusion de plus – alors qu’elle est, j’en suis persuadé, une dimension essentielle de notre être au monde.

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