To steal for sake of Rembrandt !


Les lecteurs de WUKALI se souviennent sûrement d’une chronique de Pierre-Alain Lévy portant sur un fait divers très original : 15 ans après avoir volé un Rembrandt dans un musée, l’auteur du forfait l’a rendu en parfait état. Le livre de Sylvie Matton : L’Homme à la bulle de savon nous raconte cette histoire.

Son livre se divise en deux parties, différentes l’une de l’autre.
La première nous amène le 13 juillet 1999 quand Patrick, au moment le plus bruyant du défilé commémorant la fête nationale à Draguignan, dérobe dans le musée un petit tableau de Rembrandt : L’Homme à la bulle de savon. On assiste presque minute par minute au déroulement de l’action du départ de Patrick de son domicile à son retour avec la toile. Mais surtout, ces moments sont entrecoupés par des réminiscences du passé du personnage, une sorte d’essai d’étude psychologique pour expliquer son geste, pour expliquer le lien qu’il a tissé avec cette toile qu’il n’a vu que 4 fois à 11, 17, 25 et 28 ans soit quelques jours avant son acte. Patrick apparait comme un être profondément solitaire, dépressif se droguant aux anxiolytiques et autre antidépresseurs, marqué par un père alcoolique, suicidaire, violent qui ne sait tisser des liens d’amour avec son fils qui en a besoin. Devant l’œuvre de Rembrandt, il ressent un vrai symptôme de Florence et cette toile, son personnage qu’il surnomme « l’Enfant » devient son confident, le seul ami qu’il a, avec qui il peut partager son mal être. En étudiant la vie de Rembrandt il se crée avec le peintre un vrai père de substitution. Ce lien le pousse à considérer que cette toile représente, outre un vrai plaisir toujours renouvelé, le moyen d’assouvir sa vengeance contre la société en général et la ville de Draguignan en particulier qui l’ont rejeté, mais aussi comme la vengeance posthume du comte de Valbelle à qui le tableau fut pris sous la Terreur, de son père mais aussi de Rembrandt « harcelé et dépouillé par les notables de son temps. »

La seconde partie est la vie de Patrick après le vol : son mariage, son fils, son secret. Car il ne dit jamais à son épouse quel est véritablement le tableau qu’il range, enveloppé, dans la garde robe, et elle ne cherche pas à le voir. On assiste, parfois de façon répétitive, à tout le cérémonial qu’il emploie pour « aérer » la toile, aux extases qu’il ressent. Mais Patrick se veut le gardien du tableau, un gardien plus responsable que les employés du musée, aussi vit il dans la peur d’un vol, de l’humidité, des termites, du feu. Il déménage régulièrement pour trouver un cadre adapté à sa conservation dans les meilleures conditions. Petit à petit son rapport avec l’Enfant change, évolue pour finir de s’apercevoir qu’il « voulait le protéger mais ne lui a offert qu’un tombeau ». Le roman finit sur sa décision ferme de le ramener au musée.

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Sylvie Matton nous donne une étude de la vie et l’œuvre de Rembrandt ainsi qu’un aperçu de la peinture hollandaise du XVII siècle, sans pour autant être pédante ou condescendante. Au contraire, c’est aussi à partir de cette étude qu’elle donne au lecteur des éléments de la grille permettant de comprendre le geste de Patrick. L’originalité de ce vol est qu’il est en quelque sorte « gratuit », il ne veut aucune rançon, il ne connait aucun collectionneur prêt à le payer une fortune pour garder cette toile dans un coffre. Non, il veut cette toile pour lui, que pour lui, pour le bien qu’elle lui fait, pour le lien qu’il a bâti entre lui et « l’Enfant ». Et c’est justement parce que c’est un acte en soit égoïste, parce que s’il n’avait pas compris le boulet qu’il se mettait et qui l’empêchait de vivre pleinement, que jamais on aurait pu voir cette œuvre dans un musée.

Sylvie Matton, avec une écriture « clinique », essaie de comprendre ce vol par la personnalité de Patrick. Elle ne le juge pas, elle ne juge personne, elle livre des éléments pour comprendre, à chacun de faire son opinion.

Emile Cougut

WUKALI


L’Homme à la bulle de savon

Sylvie Matton

Éditions Don Quichotte. 17€90


WUKALI 21/10/2014


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