Mephistopheles Harnoncourt. A provocative very young genius !

Re-découvrir la 5è de Beethoven ?

Cela paraît plus qu’improbable, totalement incroyable.

Olécio partenaire de Wukali

Pourtant, c’est plus qu’un choc. Même si le programme du tout dernier enregistrement signé Nikolaus Harnoncourt est tout sauf original. Ce programme étonne car il prend le contre-pieds de ce que lui-même a coutume d’évoquer en trouvant que les 5 et 6 forment une paire chez Beethoven. Avec ce disque, il nous donne les symphonies 4 et 5. Dans cet ordre d’écoute. Avec un engagement qui ne faiblit jamais. Et des idées à chaque note – ou plutôt, simplement, juste une attention scrupuleuse à chaque détail de la partition. En totale liberté. Une lecture qui bouscule notre écoute.

Certains pourront trouver fatigants ces trop nombreux coups de boutoir jetés à la figure de l’auditeur. C’est un peu la marque de facture de cet immense chef et de son/sa geste musical(e). La 4è est magistrale, passionnante. Mais le choc absolu vient ensuite. Avec la plus célèbre symphonie du monde. Car là, on entend tout, absolument tout.
Bien sûr, il y a toujours, avec orchestres modernes, Furtwaengler ou Kleiber – et quelques autres ! –; et chez les « baroqueux », Brüggen (2011) ou plus encore Gardiner (en concert la même année), avec leur orchestre et leurs instruments baroques.

La précédente version du chef autrichien avait, quant à elle, fait sensation, au sein d’une intégrale, en 1990. Mais c’était sur instruments modernes, avec l’Orchestre de Chambre d’Europe. Cette fois, un quart de siècle après, c’est son Concentus Musicus qui brille de mille feux instrumentaux (avec une légère déception pour le basson pourtant confié à Sergio Azzolini – mais c’est peut-être le seul petit problème de prise de son, car son instrument, à la fin de l’andante, se la joue presque saxophone.) Les violoncelles et contrebasses mugissent. Pas dans le « beau son » à la Karajan de la fin des années 70. Mais avec la matière à vif : le bois, le boyau et le crin des instruments. Les clarinettes distillent des sonorités d’une suavité à se damner. Et les cors naturels ! Ça claque, vibre et nous transporte avec une énergie proprement tellurique. Après tout, rien de plus naturel, puisque c’est cette énergie même qui est le moteur de toute la symphonie. Mais là, il s’agit d’autre chose. Un moment brûlant, absolument unique.

Fermez les yeux, nous sommes le 22 décembre 1808. Le jour de la création.

Il y a des libertés incroyables dans certains ralentis ou certaines accélérations.
L’appel de cor qui ouvre le troisième mouvement, triomphant chez Gardiner, est coruscant chez Harnoncourt, qui ensuite brusque le tempo de façon angoissante. Il se fait maître des atmosphères, des couleurs, des climats et des surprises. Comme celle des tous derniers accords – qui réinventent et nous amènent à entendre autrement. « Too much », cette aspérité, cette violence du final ? Mais on entend les plans sonores, les dissonances, les stridences du piccolo. Et des cuivres (les trompettes qui percent !) qui évoquent ce que Berlioz en fit, vingt ans plus tard, dans sa « Fantastique ». La fin est ramassée, comme jetée en pâture. Hurlée. Jamais la violence de l’œuvre ne nous aura autant inquiété et remué.

La jeunesse d’une re-création totale, par un homme de 85 ans au moment de l’enregistrement. Harnoncourt ne ré-interprète pas. Il invente juste, sous nos yeux et nos oreilles qui n’en reviennent pas, la première lecture d’une nouvelle symphonie signée Beethoven. Quel destin que celui de cet homme !

A quand la suite, l’intégrale ? Il n’y en aura pas. La maladie et ses médecins en ont décidé autrement. Il n’est pas arrivé au bout du cycle et ne le terminera jamais. Manqueront pour toujours les 7, 8 et 9, qu’il devait diriger cette année au Musikverein (il devait aussi faire l’intégrale à Graz pendant le festival Styriarte 2016)

Le 6 décembre dernier, Nikolaus Harnoncourt fêtait ses 86 ans. Il annonçait que, malade, il devait annuler son concert. Par la même occasion, il annonçait également qu’il devait arrêter de diriger le Concentus Musicus. Et qu’il ne se produirait plus sur scène.

« Cher public, Mes forces physiques m’imposent de renoncer à mes futurs projets. De grandes pensées émergent alors: entre nous sur le podium et vous dans la salle il s’est construit une relation d’une profondeur inhabituelle, nous sommes devenus une heureuse équipe de découvreurs! De cela il restera beaucoup. Le cycle de concerts (de cette saison) sera conduit dans la continuité de ce que j’ai insufflé, restez-lui fidèle. Votre Nikolaus Harnoncourt. »

Une page essentielle de la musique se referme. Un géant se retire.

Je me souviens d’avoir le privilège d’un long entretien – qui dura deux grandes heures – avec lui ; c’était il y a tout juste quinze ans, en vue du concert du Nouvel An 2001 que j’allais présenter sur France 2 et France Musique. C’était dans la toute nouvelle « Haus der Musik », à Vienne. Ce qui me frappa lorsqu’il arriva, ce fut d’abord sa taille. Sa poignée de main et son regard, son fameux regard, droit, franc et perçant. J’ai ensuite pu passer les trois derniers jours de l’année à Vienne, à nouveau, cette fois dans le Musikverein, au coeur des Wiener Philharmoniker, les yeux rivés sur le chef, les oreilles grandes ouvertes pendant ces incroyables répétitions dans un climat mordoré.
L’interview était parue dans « Répertoire » et diffusée sur France Musique au cours d’un vrai marathon du 1er janvier (j’ai tenu l’antenne de 10h à 17h sans discontinuer). Sur France 2, en direct, j’avais même pu faire entendre la voix du chef, juste avant la deuxième partie de ce fabuleux et crépusculaire concert du Nouvel An. Il déclarait : « On me dit révolutionnaire, mais je ne suis pas un révolutionnaire. »

De son vrai nom Johann Nikolaus Comte de La Fontaine et d’Harnoncourt-Unverzagt, celui qui mena la danse du 1er janvier à deux reprises, en 2001 et 2003, est un grand aristocrate autrichien. « Unverzagt » signifie « celui qui ne se laisse jamais abattre. » Son père était un descendant de la famille de la Fontaine-d’Harnoncourt-Unverzagt, comtes de Luxembourg et de la Lorraine, dont l’arbre généalogique remonte au XIIIè siècle ; sa mère la grande-petite-fille de l’archiduc Johann de Styrie. Mais ces racines de haute noblesse ne préoccupent guère le chef. « Noblesse oblige ! »

Harnoncourt est juste un chercheur, jusqu’au bout – un créateur. Qui n’oublie jamais le contexte de l’œuvre. Pour la 5è, il insiste sur l’inspiration puisée par le compositeur dans la politique. Jamais le concept de retour aux sources n’a été plus signifiant qu’avec cette symphonie inconnue, la 5è de Beethoven.

Au vrai sens ; inouï !

Marc Dumont


WUKALI 03/02/2016
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