Contemporary music in Metz


Un concert de musique « contemporaine » ( non ce n ‘est pas un gros mot je vous l’assure) qui choisit de célébrer Salieri, cela pourrait sembler de prime abord quelque peu surprenant, c’est pourtant la gageure réalisée par Alexandros Markéas, qui a composé une oeuvre pour flûte, clarinette, violon, violoncelle, percussions et piano sur un livret écrit par Claire Legendre. Ces deux là, il se sont connus à Rome en 1999 où ils sont devenus amis, ils étaient l’un et l’autre pensionnaires à la Villa Médicis. Claire Legendre est romancière et aujourd’hui professeur de littérature comparée à l’université de Montréal. Alexandros Markéas est actuellement compositeur en résidence auprès de L’Arsenal de Metz

Nous étions à Metz dans cette nuit du 2 février 2016 dans la salle de l’Esplanade de L’Arsenal, 93 spectateurs ( la jauge de cette petite salle est de 350), à assister à ce concert donné par l’Ensemble Stravinsky sous la direction musicale de Jean-Pierre Pinet.

La récitante, Claire Cahen, joue un texte où ce cher Saliéri que tout le monde villipende, «ne pouvons nous oublier ce que disaient parents, journalistes, et Miloš Forman !» tient le rôle du bouc émissaire, «on ne joue plus sa musique, pourtant on la hait», « c’est quoi la musique contemporaine, la musique d’aujourd’hui, Mozart a été en son temps contemporain», «Salaud de Salieri, dénué de talent !» . Le parallélisme entre ce musicien si mal connu et le quand dira-t-on inepte et vide sur la musique d’aujourd’hui ( vous avez dit contemporain ?) est excellent. Contemporain? il est vrai que le mot commence bien mal, je n ‘ajouterai pas ce qu’en disait Brassens … C’est d’ailleurs comme le mot consensus tant décrié dans notre beau pays et qui au demeurant fait la réputation des moeurs politiques anglaises, je ne répéterai pas, par bienséance, ce qu’un fin politicien français disait de ce mot sur chacune de ces trois syllabes, je ne voudrais certes pas choquer un lectorat peut-être particulièrement sensible …(vous pouvez toujours utiliser pour le savoir le courrier des lecteurs, je vous répondrai !)

Olécio partenaire de Wukali

Contemporain, la musique contemporaine euh… Debussy ? La peinture contemporaine… Picasso …? Passons…! Plus d’un siècle s’est écoulé ( Picasso arrive à Paris en 1901) et nos contemporains ( en combien de syllabes s’il vous plait, une ou deux ?) pataugent toujours dans l’ignorance la plus crasse, et les approximations culturelles les plus hasardeuses ! Il est vrai que dans les manuels scolaires il y a belle lurette que l’on étudie plus l’histoire selon la chronologie !

La contemporéanité ( quel horrible mot ) c’est tout bonnement l’installation dans le moment présent du locuteur, du créateur, de l’artiste, c’est maintenant, ensuite la marche du temps fait son oeuvre comme une mode succède à une autre mode ou que tout bonnement vous changiez chez vous les papiers peints à petites fleurs de l’appartement héritée de la tante Rose, et qui franchement ne vont pas bien du tout avec les fauteuils design que vous souhaitez vous offrir !

Plus simplement encore et revenons à nos moutons, la musique contemporaine, c’est tout simplement aussi celle qui sonorise les films que nous allons voir, qui nous fait vibrer, stimule nos sens, illustre l’action ou provoque chez nous des sentiments exacerbés par les sonorités ou des effets acoustiques. Cette musique que nous n’entendons pas, elle est l’éphémère qui nous transporte et qui nous émeut, l’oxygène qui nous rend compte de la vie et que nous ne sentons pas !

Ce soir à L’Arsenal à Metz, un très beau programme rassemblant des compositions d’Alexandros Markéas, Marc-André Dalbavie, et Aurélien Dumont

L’Hommage à Saliéri d’Alexandros Markéas a été composé en 1969 , le jeu des musiciens est subtil le violoncelle se prend au sérieux comme un maître d’école, interrompu par un trémolo de clarinette qui rappelle quelque peu la Rapsody in blue de Gershwin. Les musiciens sont concentrés, le thème principal rassemble le violoncelle et le violon, le piano en contrepoint projette quelques notes. La récitante, Claire Cahen, tient un rôle considérable et son discours scande par sa force, par les mots qui résonnent en chacun d’entre nous, la composition : «Une note c’est ce que vous y mettez , la musique c’est l’art de l’identification totale, la musique c’est le code universel», Vladimir Jankélévitch est cité bien sûr !

Deuxième oeuvre au programme, In Advance of the broken Time (1994) de Marc-André Dalbavie. On assiste à une métamorphose du son. La flûte plus la clarinette alternent, et les cordistes, violon et violoncelle, utilisent leurs archets de façon percussive
. L’on entend des gammes qui se mélangent et fusionnent et produisent des timbres irréels

Seconde oeuvre au programme d’Alexandros Markéas, 3 Clins d’oeil rythmés pour clarinette et bande (2009) . Le clarinettiste Jérôme Schmitt est époustouflant, si j’ose ainsi dire ! Pendant neuf minutes, seul ou en osmose avec l’électronique et l’informatique, il multiplie les sons, les formes, la clarinette pépie, résonne, l’unité de temps devient infinitésimale, imperceptible, on est dans le nanotemps, dans les surmultiplications des formes, la musique occupe l’espace, se répercute, fait écho, se réverbère, une matière musicale et formelle comme sortie d’une imprimante 3D. La musique se réfracte, scintille, pétille, cliquette, elle joue ! On croirait voir le tableau de Duchamp, Nu descendant un escalier. On retrouve là toute la patine du talent d’Alexandros Markéas qui à l’instar des musiciens qui l’ont influencé, notamment son compatriote Iannis Xenakis, considère la musique comme une architecture.

Berceuse et des poussières (2012) d’Aurélien Dumont est un petit bijou musical. C’est une oeuvre pour clarinette, violon, alto, violoncelle, piano et bande ( 13mn). C’est tout à la fois un regard sur deux univers musicaux. La partition commence sur le souffle étouffé de la flûte et de la clarinette, tel un long mugissement, un râle, une longue vibration, une respiration brutalement interrompue par un coup de piano. On entend alors la plainte de la clarinette qui se développe tel un thrène. On pense à celui écrit par Penderecki pour les victimes d’Hiroshima. Le coucou du violoncelle alterne avec la clarinette et répondent en écho l’alto et le piano. Par moment la pianiste se projette au-dessus de la table d’harmonie et caresse avec un pinceau les cordes. Des aspects stravinskiens, avec le piano notamment, inspirés du Sacre. Puis la clarinette beugle, le chef Jean-Pierre Pinet se retourne en direction du technicien au plateau technique et acoustique, c’est alors une nuit sonore étoilée, une aurore boréale musicale, un scintillement cristallin qui se font entendre.

Oneïron (1998- révision 2015- création) d’Alexandros Marchéas, clôt ce concert. Il s’agit d’une oeuvre pour six instrumentistes: Flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano et percussions. L’oeuvre a été créé à l’Ircam en 1998 ( Bonjour cher Pierre!)

Ce concert a sans l’ombre d’un doute été un grand moment musical, et il ne s’agit nullement sous ma plume de l’expression d’une courtoisie de bon aloi. L’immense qualité de chacun des instrumentistes se doit d’être soulignée. Chacun seul dominant sa partition et apportant le relief, la couleur et la vibration qu’exige une telle musique. Merci à Jean-Pierre Pinet à la direction, Sophie Deshayes à la flûte, Jérôme Schmitt à la clarinette, André Pons-Valdès au violon, Alain Cel à l’alto, Jean-Philippe Martignoni au violoncelle, Valérie Muthig au piano, Éric Chartier aux percussions, ainsi qu’à Claire Cahen comédienne.

Pierre-Alain Lévy


WUKALI 03/02/2016
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Illustration de l’entête: photo WUKALI


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