…Ici commence la grande nuit des mots
Ici le nom se détache de ce qu’il nomme
Ici le reflet décrit de sa fantastique écriture
Un monde où le mur n’est mur qu’autant
Que la tache de soleil s’y attache
Que le miroir lunaire a capté l’homme passant
Ici commence la jungle des jongleries
Et celui qui parle est dans la persuasion que sa parole
Est genèse et le premier jour
N’était qu’une bille de verre où les couleurs tordaient leur spirale
Mais au second jour il a dit
Que les ténèbres soient
Pour y faire monter l’éclat des feux d’artifice
Au troisième jour il s’est reconnu dans les nuages
Au quatrième il s’est reconnu dans les eaux
L’écho de sa voix lui est revenu dans la cinquième nuit
Un bouquet d’aubes a suffi pour que la parole de l’homme
Passe à ses propres yeux pour le principe de toute création
Et le samedi
Celui qui parle a créé les poissons et les oiseaux
À sa semblance
Et le dimanche il est sorti dans la rue avec ses beaux habits
Étonné des rires qui l’accompagnent des haussements d’épaules
Ici commence la grande nuit des mots
Ici le nom se détache de ce qu’il nomme
Ici le reflet décrit de sa fantastique écriture
Un monde où le mur n’est mur qu’autant
Que la tache de soleil s’y attache
Que le miroir lunaire a capté l’homme passant
Ici commence la jungle des jongleries
Et celui qui parle est dans la persuasion que sa parole
Est genèse et le premier jour
N’était qu’une bille de verre où les couleurs tordaient leur spirale
Mais au second jour il a dit
Que les ténèbres soient
Pour y faire monter l’éclat des feux d’artifice
Au troisième jour il s’est reconnu dans les nuages
Au quatrième il s’est reconnu dans les eaux
L’écho de sa voix lui est revenu dans la cinquième nuit
Un bouquet d’aubes a suffi pour que la parole de l’homme
Passe à ses propres yeux pour le principe de toute création
Et le samedi
Celui qui parle a créé les poissons et les oiseaux
À sa semblance
Et le dimanche il est sorti dans la rue avec ses beaux habits
Étonné des rires qui l’accompagnent des haussements d’épaules
On ne veut pas de vous
Romanichels
Qui payez votre part en marchant sur la tête
Les mots m’ont pris par la main
Où suis-je À quel petit matin d’égarement
Et qu’est-ce qu’il y a dans toutes ces voitures qui passent
Il faut les jurons des charretiers pour arriver aux
Halles
On suit une idée on s’emballe on ne sait plus ce qu’on dit
Voilà
Cela commence comme cela les mots vous mènent
On perd de vue les toits on perd de vue la terre
On suit
Inexplicablement le chemin des oiseaux
J’aurais voulu parler de cela sans image
Des amis des amours de ce qu’il en advint
Montrer ce monde et ses visages
Dans la couleur des années vingt
Et j’aurais retracé le vieil itinéraire
Refait patiemment dans le passé décrit
Les pas réels qui nous menèrent
D’un bout à l’autre de
Paris
D’un bout à l’autre de la nuit et de nous-mêmes
Les yeux perdus le cœur battant la tête en feu
Pris à notre propre système
Battus à notre propre jeu
Nous qui disions tout haut ce que les autres turent
L’outrage pour soleil et pour loi le défi
Opposant l’injure à l’injure
Et le rêve aux philosophies
Univers furieux de paille et de paroles
J’ai peine à démêler le délire et la vie
Il n’y a que des herbes folles
Sur le chemin que j’ai suivi
Je revois ce temps-là sans y plus rien comprendre
Pour qui ne brûle plus la flamme est sans objet
Le souvenir n’est qu’une cendre
Une ombre au mur qui me singeait
Si je tourne mes yeux vers ces heures premières
Je ne reconnais plus à leurs gestes déments
Dans l’affolement des lumières
Ceux que nous fûmes un moment
Malgré tout ce qui vint nous séparer ensemble Ô mes amis d’alors c’est vous que je revois
Et dans ma mémoire qui tremble
Vous gardez vos yeux d’autrefois
Nous avons comme un pain partagé notre aurore
Ce fut au bout du compte un merveilleux printemps
Toutes les raisons tous les torts
N’y font rien mes amis d’antan
Il faut bien accepter ce qui nous transfigure
Tout orage a son temps toute haine s’éteint
Le ciel toujours redevient pur
Toute nuit fait place au matin
Même si tout cela nous paraît dérisoire
Un avenir naissant nous unit à jamais
Où l’on raconte des histoires
Pleines de notre mois de mai
Louis Aragon
in Le Roman inachevé. éditions Gallimard
WUKALI 11/03/2016
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