A psychoanalytical approach of Xavier Dolan’ last movie applauded in France and dispised in America


Par Jean-Pierre Vidit / Il est deux images, apparemment anodines et secondaires, dans le film de Xavier Dolan,[** The Death and Life of J.F.Donavan,*] curieusement rebaptisé, [**Ma vie avec J.F.Donavan*], dans la version française. Elles serviront de guide aux deux temps de mon écrit. Elles n’épuisent en rien la complexité et la richesse d’un film qui dépasse le cadre étroit de ce commentaire.

Je n’en tirerais ici que deux fils issus des deux images qui ne sont pas les plus clinquantes ou les plus importantes du film. Elles sont deux parmi d’autres. Xavier Dolan dépasse, selon moi, la finesse psychologique qui a fait la marque de ses précédentes œuvres pour atteindre ce qui, dans nos sociétés, au travers de la psychologie d’un sujet, révèle aussi une souffrance plus globale à ne plus trouver sa place et être soi-même.
Se dessinent dans ce film deux principes antagonistes comme finalement dans la vie : l’un mortifère : celui de Donavan qui se consume à petit feu de n’être pas lui-même et l’autre vivifère : celui de Rupert qui, grâce à l’énergie que lui insuffle le premier, trouve peu à peu sa place. Ils aboutissent, comme le dit le vieil homme à la fin du film, à mourir/vivre vivant ! Donovan ayant enfin trouvée la sienne – il a été lui-même en accompagnant l’enfant – et, pour Rupert devenu adulte, être ce qu’il est et trouver son style.


Précisons auparavant que c’est le huitième film du réalisateur québéquois, qui en moins d’une décennie, a imprimé un style et un propos d’une grande intensité. Sa fulgurante et brillante réussite de film en film lui a valu et lui vaut encore de multiples admirateurs qui veulent « du » Dolan. Mais elle a, probablement aussi, drainé, au regard de cette rapide ascension, pas mal d’envieux attendant le faux pas puis la chute…comme celle, redoutée mais prévisible, de J.F.Donavan dans le film.

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Remarquons que le nom du héros «[** Donovan*] » dessine une homonymie approximative d’avec celui du cinéaste « [**Dolan*] ». Elle confère, du coup, à l’œuvre un caractère tout aussi profond et intime que ses précédents opus mais dans une syntaxe différente. Sauf qu’en plus elle interroge subtilement le processus même de la création qui s’appuie sur « les cendre de son cœur » dont on aperçoit les traces vécues dans les nombreux flash-backs. Processus créateur que la célébrité risque de brider et dévier dans la réduplication mortifère du même à laquelle est condamné Donavan.

L’enfermement dans la célébrité auquel est astreint Donavan/Dolan conduit-il au choix d’un immobilisme dans la création ? En subvertissant son style devenu habituel de metteur en scène original au profit d’un dispositif plus classiquement hollywoodien, Xavier Doilan risque de déchaîner ses admirateurs déçus d’un film apparemment moins réussi. Comme le sont, dans le film, les admirateurs de Donavan après la révélation de sa relation avec le jeune Rupert… Si [**Picasso*] n’avait pas, lui aussi, subverti ses périodes bleue et rose : nous n’aurions jamais connu le cubisme !
L’accueil négatif – jusqu’à la non diffusion commerciale du film – aux USA mérite lui aussi d’être interrogé.

La première image n’en est, à proprement parler, pas une puisqu’il s’agit de celles, apparemment fonctionnelles, qui permettent au générique du film de se déployer. Elles passent donc forcément au second plan étant un prétexte plus qu’un texte en soi dont le propos reste allusif. Notre attention est forcément captée donc détournée par les noms – célèbres – qui défilent avant d’apparaître sur l’écran. Le vernis cache ainsi les fissures.
Un avion volant rapidement, à basse altitude au-dessus de la mer, fonce sur l’île de Manhattan et sa Skyline. Cela fait penser immédiatement à un avion furtif venant, par surprise, semer le feu, la désolation et l’horreur lors d’une attaque hostile qui, vu le lieu, n’est pas sans rappeler quelques souvenirs traumatiques. La catastrophe a déjà eu lieu semble-t-il !

Or, ce qui est dans le viseur du pilote – c’est-à-dire directement dans sa ligne de mire – n’est rien moins que le symbole et l’archétype de l’Amérique triomphante : la Skyline de Manhattan. Et, par le lieu même une trace. Celui du « rêve américain » porté par les milliers de migrants qui espéraient y trouver la richesse et la gloire en empruntant, sur l’eau cette fois, le même trajet. L’absence des deux Twins-Towers – que l’on cherche évidement des yeux – vient rappeler aussi qu’il n’est pas de forteresses imprenables ni de symboles qui ne puissent être écornés, abattus.

Les bombes ne vont heureusement pas dynamiter à nouveau les tours de Manhattan ! Ce mouvement pénétrant va plutôt subrepticement faire voler en éclats les codes d’un genre de film où, au prix de larmes, de sang et de beaucoup d’efforts, une success-story se déploie sous nos yeux. Cette fois encore, dans le monde du show-business, usine à rêve dont on va nous révéler l’envers du décor. L’ascension puis la future réussite éclatante d’un acteur de série télévisée – J.F. Donavan – que les grands studios s’apprêtent à prendre sous leurs ailes pour propulser sa carrière au sommet.
Mais, au bout de cette saga, répétitivement mise en scène dans la filmographie hollywoodienne, d’une ascension semée d’embûches se trouve non la gloire, le bonheur et la richesse inéluctables mais la déchéance, la honte puis la mort. Là est la bombe puisqu’il n’y a pas de rédemption.

Le héros, J.F.Donavan, issu d’une famille de la classe moyenne devient, par son volontarisme et sa rigueur dans le travail, la célébrité d’une série américaine et fait la fierté de sa famille. Il marche d’ailleurs, d’un pas alerte, vers la gloire et le star-système pour peu qu’il en respecte les codes c’est-à-dire les cloisonnements. De sorte à montrer, à tout va, une vie tellement merveilleuse et excitante qu’elle en devient, pour lui, irréelle mais permet, en contrepartie, aux fans qui se ruent vers lui dans tous ses déplacements d’y rêver d’autant mieux qu’elle est objectivement inaccessible.|left>

Pris dans ce piège, J.F. Donavan est condamné à faire l’acteur à chaque minute de sa vie. Il doit toujours être faux pour avoir l’air vrai. Un peu à la manière des gratte-ciels magnifiques qui forment la barrière clinquante de Manhattan mais cachent, aussi, les immeubles décatis de Brooklyn, Harlem ou du Bronx.

L’avion qui fonce sur ces tours n’est donc pas, comme la pipe du tableau de [**Magritte*], simplement un avion. C’est aussi, sournoise et dangereuse, cette volonté secrète, cette ambivalence tapie au fond du personnage de J.F.Donavan. D’ailleurs, il peut la nuit et pour quelques brèves minutes prendre le risque de faire voler en éclat cette carapace qui l’étrangle pour respirer un peu. Certains, dont son propre agent, lui rappellent la contrainte : c’est le prix à payer pour les luxueux appartements, les beaux meubles, les riches vêtements et, finalement, une vie hors du commun.

Il y résiste une fois au nom de la rigueur – il doit être sur le plateau le lendemain à 7h – mais il y succombera la seconde pouvant enfin assumer le désir qui le porte vers ce jeune acteur…qui, soit dit en passant, ressemble fort au frère aîné que nous découvrirons peu après.

Mais l’avion du générique pourrait, pour l’alter égo de J.F. Donavan, Rupert Turner, 9 ans, prendre, en un virage radical, la direction opposée. Le jeune garçon a quitté, subitement et contre son gré, les USA où un début de carrière d’enfant-acteur se dessinait assez positivement pour aller vivre avec sa mère en Angleterre en brisant l’ascension patiemment construite. Artistiquement, il y est inconnu et devra refranchir une à une les étapes des castings pour s’y faire une place. Sa mère, ancienne comédienne, n’est pas favorable à ce choix et n’en favorise pas la réalisation bien que la détermination de Rupert à embrasser cette carrière soit très forte. Il est, par ailleurs, coupé de son père qui a abandonné sa mère et ne le voit que très épisodiquement.|right>

Fasciné par l’acteur-super-héros d’une série télévisée américaine – J.F.Donavan – Rupert va établir avec lui une correspondance qui au fil des mois se régularise. L’acteur devient un modèle et un confident de l’enfant qui, peu à peu, se coupe de la réalité en focalisant son intérêt sur les moments où, sur le téléviseur, il peut apercevoir son idole sous le regard attendri de sa mère. Il est fasciné.
Car ce qui est important pour Rupert n’est pas uniquement l’intimité assez exceptionnelle qu’il peut avoir avec cette célébrité. Au travers d’elle, c’est le rapport émotionnel, le lien affectif qui se tisse entre eux où des résonnances se découvrent, des trajectoires se confondent, des idées se répondent, des conseils s’échangent sans qu’à aucun moment les deux personnages ne se rencontrent ni ne se parlent jamais vraiment.
Mais ce qui est intéressant c’est que cette relation possède double valence et sens identificatoire. Si elle aide Rupert, comme on le verra peu après, elle est aussi importante pour Donavan dont on découvre, bien sûr, la similitude de sa vie avec celle de l’enfant avant d’accéder à la notoriété.

Cet échange de lettres permet à Rupert de supporter la dure réalité des quolibets et des insultes de ses camarades, les vexations et les mauvais traitements, le décalage entre leurs attentes et les siennes et conforte le mépris qu’il a, au fond, pour leurs vies et leurs intérêts. Car contre toute attente et grâce à l’appui sur Donavan, même s’il prend des coups et essuie les insultes, il leur tient tête et fait face ! En ce sens, il est aussi, à sa manière, identifié à un super-héros !
Jusqu’au jour, où à l’instigation de son professeure, Rupert, au cours d’un exposé, ne découvre le secret de sa vie et le lien avec J.F.Donavan. Au lieu de calmer le jeu et intéresser ses congénères, cette révélation va déclencher leur agressivité, des torrents d’injures et, surtout, le vol des lettres qu’il a imprudemment apportées que son persécuteur lui a dérobé. Elles seront révélées à la presse avec les conséquences qu’on devine tant pour Rupert que pour J.F.Donavan qui niera publiquement les faits.
Tout bascule alors qui précipite la chute du mentor et sème la désolation chez le modèle…

La seconde image de ce film est, en réalité, une courte scène assez banale sans lien direct apparent avec l’histoire sauf qu’elle concerne le persécuteur de Rupert. Et fait le lien avec ce qui précède. On y voit ce garçon sortir de sa maison avec un ballon de foot qu’il exhibe fièrement. Il est suivi, peu après, de son père qui, apparemment, n’est plus prêt d’échanger des balles avec son fils comme promis. Il est concentré sur une conversation apparemment importante sur son téléphone portable. Il suggère par un geste sans grande équivoque à son fils qu’il n’est plus disponible. Le foot est reporté sine die. Cela entraîne une réaction assez compréhensible chez le jeune garçon qui dépasse, selon moi, la simple déception. Il est soudain confronté au vide de sa vie et à la souffrance de ce rejet à peine dissimulé.
Cette scène anodine est à mon avis capitale. Elle donne au propos de Xavier Dolan une dimension qui, soudain, dépasse le simple fil narratif et subvertit la seule dimension psychologique réduite à un destin individuel.
Car ce basculement va, à la fois, concerner la trajectoire de Rupert et de son persécuteur – c’est une dynamique psychologique et relationnelle – puis va dessiner, peu à peu, un problème plus global. L’image d’un père qui n’a plus de temps à consacrer à son enfant ni plus de place dans sa tête pour les engagements et les devoirs qu’il a contractés vis-à-vis de lui en le concevant. On touche alors au sociétal, presqu’à l’anthropologique.
Cette image va, soudain, braquer le projecteur sur les racines de la haine de ce garçon à l’égard de Rupert qui devient du même coup beaucoup plus compréhensible. Elle rend, paradoxalement, le personnage moins antipathique, plus humain même si son comportement est, bien sûr, inacceptable.
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Son attitude agressive répétitive confirme l’intuition d’ [**A.S.Neil,*] auteur d’un livre célèbre , qui écrit, parlant d’enfants perturbés dont il avait la charge : « Toute haine est haine de soi ». Cet axiome visait à expliquer les désordres identitaires causés à des enfants finalement livrés à eux-mêmes sans « re-pères ». J’utilise à dessein ce jeu de mot pour décrire ce qui va se passer entre Donavan et Rupert : le repère constitué par l’acteur mute peu à peu en père ! Le lien épistolaire devient une métaphore du lien filial d’où l’homosexualité sublimée n’est pas absente. Aimer son père, c’est aimer un homme…

Ces enfants de Summerhill trouvaient, dans cet exutoire qu’est la haine, une fausse solution qui, au final, masquait le peu d’estime qu’ils avaient d’eux-mêmes ainsi que la peur qu’ils sentaient d’en découvrir les causes. Ce thème est d’ailleurs traité de façon transparente dans un autre film de[** Xavier Dolan*] où le héros est en proie aux brimades du fils de famille qui combat, au travers d’elles, son attirance irrépressible pour le héros et, au travers de lui, pour son frère.

Ce garçon tortionnaire souffre, en vérité, du même mal que Rupert : la désaffection, le désintérêt et l’absence du père qui le conduisent à la vacuité de sa vie et à la perte des repères.

Mais, paradoxalement, sa situation est plus douloureuse encore que celle de Rupert. Pour ce dernier les choses sont claires : son père l’a clairement abandonné, il peut en faire le deuil et trouver, si les vents sont favorables, un père de substitution. Pour l’autre garçon, il est confronté à un paradoxe où son père est physiquement présent et psychiquement absent.

Rupert, quant à lui, va, au travers des lettres échangées avec Donavan, trouver un support. Ce dernier va lui faire découvrir qu’il compte pour quelqu’un sur lequel il peut s’appuyer pour se construire. En se construisant, il a la possibilité d’être un peu plus lui-même et, surtout, de pouvoir mettre un peu de distance avec un mère qui, au fond, a plus besoin de Rupert que Rupert n’a finalement besoin d’elle tant elle manque d’empathie à ses besoins. Cette nécessaire triangulation lui permet, peu à peu, d’affronter cette dernière, de lui désobéir, de faire une fugue pour aller au casting contre sa volonté. De donner corps et matière à son rêve qui ne s’épuise plus dans la stratosphère des projets velléitaires. En un mot, à son échelle, il ne veut rien céder sur son désir qui est d’être acteur comme il apparaît, au cours de l’histoire, lorsqu’il rencontre la journaliste du Times.

A la fin du film, un vieil homme apparaît qui, dans un dialogue poignant avec Donavan, lui fait comprendre que, s’il a aidé Rupert à grandir et trouver sa place, il n’est pas interdit de penser que Rupert l’a aussi aidé à trouver la sienne. Même si on comprend tragiquement que Donavan écrivant, dans l’arrière cuisine d’un restaurant miteux , sa dernière lettre à Rupert va, épuisé, avaler les cachets de l’overdose : il meurt en quelque sorte vivant c’est-à-dire conscient des enjeux. Il peut assumer ce qu’il a été et ce qu’il est au fond de lui-même qui va bien au-delà de son homosexualité refoulée qui n’était, au fond, qu’une des formes de sa recherche émotionnelle et sensuelle d’un père dont on a compris qu’il était, lui aussi, absent et pas totalement remplacé par le frère.


Le film de[** Xavier Dolan*], au-delà de la description psychologique de crises et de trajets individuels qui ont fait son succès, suggère, de fait, une autre problématique. Sans dénoncer avec violence, sans discours prétentieux, il dessine avec une grande finesse narrative les conséquences de modifications importantes auquel tout un chacun – père [**ET*] mère – doivent faire face dans l’étape de civilisation qui est la nôtre.

Si, dans ses précédents films, le cinéaste semble avoir plutôt centré ses propos sur la thématique maternelle et l’identité féminine prise dans ses heurts et impasses comme source narrative : il change manifestement de cap. Au profit de celui des conséquences du retrait plus ou moins volontaire, plus ou moins conscient des pères dessinant alors une autre problématique où l’errance des fils répond en miroir à celle des pères. Elle porterait en elle, comme le suggère l’image du générique, le risque inaperçu d’un possible choc suivi d’une destruction, surprenante car inattendue qui ferait voler en miettes les fiers et altiers modèles qui, à l’instar des gratte-ciels de Manhattan, semblent construits pour l’éternité en défiant le temps et ses outrages.

Il est évident que la figure de père qui se dessine en creux et en contours flous dans ce film n’est pas tout à fait celle que prônent certains discours outre-Atlantique. On comprend alors mieux le rejet du film qui ira jusque sa non-exploitation commerciale. On est prié de fermer les yeux ! La thématique faussement sexuelle choque probablement un machisme et un moralisme triomphants en même temps que le miroir qu’il tend à ceux qui le regarde se devait d’être obscurci car, à l’inverse du cinéaste, à l’impossible nul n’est tenu !

[**Jean Pierre Vidit*]|right>


The Death and Life of J.F.Donavan
traduit en français par Ma vie avec J.F.Donavan
un film de [**Xavier Dolan*]
avec [**Kit Harington, Jacob Tremblay, Natalie Portman, Susan Sarandon, Thandie Newton, Kit Harington, Nicholas Hoult, Bella Thorne, et Jessica Chastain*]
Musique : [**Gabriel Yared*]


Illustration de l’entête : Joel Ryan/AP/REX/Shutterstock


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Contact : redaction@wukali.com

WUKALI Article mis en ligne le 06/08/2019 et initialement publié le 15/04/2019

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