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Quand l’Amérique pousse la France à devenir elle-même. La chronique de Jean-Yves Autexier

par Jean-Yves Autexier

Quand l’Amérique pousse la France à devenir elle-même….

L’annulation de la commande de douze sous-marins à l’industriel français Naval Group a soulevé une tempête. On pourrait se consoler en songeant qu’il s’agit d’un des multiples épisodes des confrontations entre une culture marchande anglo-saxonne et une culture étatiste française. Entre ceux qui voient la vente de sous-marins comme une relation commerciale et ceux qui privilégient sa dimension stratégique.

Et sans doute y a-t-il un peu de cela au fondement de l’étonnement de Washington, Canberra, et Londres devant la vivacité de la protestation française : (mensonges ! duplicité ! rupture de confiance !) Pour beaucoup, aux Etats-Unis comme en Grande Bretagne ou en Australie, les affaires sont les affaires et le commerce comporte des risques… Ces indignations leur paraissent donc surfaites.

Dans la tenaille Chine – Amérique

Mais à l’évidence cette explication serait bien courte. Le retrait américain d’Afghanistan, le mépris à l’égard des partenaires de l’OTAN et des Européens, s’expliquent surtout par la vigueur des tensions qui opposent les Etats-Unis et la Chine.

contrat sous-marins Australie France
Le président Xi Jinping, secrétaire général du Comité central du Parti communiste chinois (PCC) et président de la Commission militaire centrale (CMC), assiste au défilé naval de l’Armée populaire de libération en mer de Chine méridionale. 13-04-2018. Photo China-org.cn

Poursuivant la réorientation de la politique étrangère vers le Pacifique, initiée par Barack Obama, l’actuel président américain, Joe Biden, veut aller vite. Se sortir du bourbier afghan était une exigence pour s’atteler au vrai défi posé par la montée en puissance de la Chine. Là est le vrai enjeu.

De la même manière que le général de Gaulle avait hâte d’en finir avec la guerre d’Algérie, pour se tourner vers l’essentiel, Joe Biden ne prend pas de gants pour aller vers l’objectif principal : le containment de la Chine. Et la protestation française ne vise pas tant la désinvolture commerciale au sujet d’un contrat, que la constitution d’une alliance resserrée face à la Chine, excluant de fait la France qui compte pourtant dans la région, du fait de sa présence en Nouvelle Calédonie, ou en Polynésie, des 7000 hommes déployés ou pré-positionnés dans la zone indo-pacifique, et de ses capacités maritimes. 

Et si l’administration américaine avait raison de ne pas compter sur la France pour son alliance anti-chinoise ? Et si la France refusait de se laisser enfermer dans les tenailles des deux nouveaux blocs, Etats-Unis et Chine ? Aux temps du gaullisme souverain, elle refusait la logique des blocs et prônait « détente, entente et coopération » ; n’aurait-elle pas meilleur compte aujourd’hui à soutenir une politique plus indépendante ?

Quand on mesure l’attitude de nos « alliés », on peut s’interroger sur la valeur de l’OTAN : nous y sommes associés à la Turquie, qui ne manque pas de multiplier les actes d’hostilité à notre égard (soutien aux Frères musulmans dans le monde arabe comme en France), et aux Anglo-saxons qui viennent de montrer en quelle estime ils nous tenaient. 

« L’état de mort cérébrale de l’OTAN » constaté par le président Emmanuel Macron est avéré. Si l’Alliance atlantique n’est pas en cause, le retour français à son commandement intégré décidé par Nicolas Sarkozy s’avère vraiment improductif. Notre influence y est dérisoire. Notre sortie serait une vraie réponse et un chemin d’avenir.

L’Europe et l’indépendance

Car la désinvolture américaine est méditée en Europe. Ceux qui comptent sur l’Amérique pour assurer leur sécurité ont de quoi être inquiets. Certes, ils demeurent d’indécrottables atlantistes. On se souvient des débats à propos du projet de Constitution européenne puis du Traité de Lisbonne, qui avaient abouti à inscrire dans le marbre « l’OTAN reste pour les Etats qui en sont membres le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre ». 

Mais ces certitudes s’effritent. Il n’y a plus que les pays d’Europe centrale et orientale qui s’y raccrochent, du fait de leurs mauvais souvenirs. Les autres s’inquiètent à bon droit. C’est pourquoi à l’heure actuelle il serait naïf et sot de répondre au mépris américain : « défense européenne ». Car nos voisins européens n’ont pas encore fait le chemin d’une indépendance stratégique européenne. Une « défense européenne » aujourd’hui, ce serait encore une défense intégrée et dirigée par le Etats-Unis. C’est donc en tenant le cap d’une autonomie de défense française que nous favoriserons les évolutions en cours.

Or c’est notre indépendance et notre suffisance nucléaire qui permettront l’émergence d’une Europe stratégiquement autonome. Cette crise des sous-marins nous rappelle qu’il est un domaine où Français et Anglo-saxons s’entendent : « L’Angleterre, écrivait Lors Palmerstonn’a pas d’amis ou d’ennemis permanents ; elle n’a que des intérêt permanents ». A quoi acquiesçait Charles de Gaulle : « Les Etats n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des intérêts ». Le meilleur état d’esprit pour demeurer « bons amis »….

Olécio partenaire de Wukali

Illustration de l’entête: Visite en 2018 du président Emmanuel Macron à Sydney avec à ses côtés le Premier Ministre australien d’alors Malcolm Turnbull, à bord d’un sous-marin de la Royal Australian Navy. Photo Ludovic Marin/Agence France-Presse — Getty Images- The New-York Times

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