Les lecteurs de Wukali ont dernièrement découvert un article sur le salon du livre de Casablanca où le best seller de cette manifestation littéraire fut un livre écrit en 1923 dans une prison : Mein Kampf

Champs histoire, collection de Flammarion, vient de rééditer le livre d’Antoine Vitkine : Mein Kampf, histoire d’un livre. A sa lecture, nous ne sommes pas étonnés du succès que ce livre a pu avoir, quatre vingt dix ans après son écriture, au royaume chérifien, mais pas que dans ce pays… Hélas…

Antoine Vitkine est un journaliste, pas un historien, mais il nous livre un vrai travail d’historien, par le sérieux de ses sources, de ses analyses, de ses notes. Tout au plus les puristes regretteront-ils l’absence de bibliographie.

L’auteur a un style clair, limpide qui nous change du ton parfois quelque peu pontifiant de certains historiens dont les ouvrages ne sont que le prétexte de pouvoir étaler leurs connaissances sur le sujet abordé qu’ils daignent livrer à un petit cercle d’initiés, ce qui fait que même si le contenu de leur travail est intéressant, il n’est pas accessible à un large public. Antoine Vitkine n’est pas tombé dans ce piège. Son travail d’érudition devrait être lu non seulement dans toutes les écoles de journalisme pour apprendre à faire de l’investigation, mais aussi dans toutes les facultés de droit et surtout dans les Instituts d’Etudes Politiques, pour que nos futurs technocrates apprennent concrètement la force des idées, de l’écrit et la nécessité de prendre en compte tout ce qui ce dit, même si les pensées peuvent être considérées comme « loufoques » car irréalistes. Car même l’inimaginable qui est devenu réalité, se trouve dans Mein Kampf, pas explicitement (il n’y a aucune référence à une quelconque solution finale), mais de façon détournée (« il faut résoudre définitivement le problème juif »).

Olécio partenaire de Wukali

Il est certain que la lecture de Mein Kampf a eu de quoi dérouter plus d’un lecteur de cette époque : gros livre, plutôt mal écrit, malgré quelques nègres dont le plus connu est Rudolph Hess, s’il est très précis quant à ses intentions il est particulièrement vague quant aux moyens à mettre en ouvre pour y parvenir. Mais, un lecteur attentif remarquera que le terme « juif » est cité 373 fois, que les explications sur la « décadence » allemande, sur tous les maux de la société, sur les problèmes financiers, enfin sur tout ce qui ne va pas pour l’auteur, n’a qu’une seule et unique cause : les juifs. Et par un raccourci qui avec du recul fait plus que froid dans le dos, la solution pour que tout s’arrange, c’est de « régler définitivement ce problème »…

Le même lecteur, appréciera la hargne d’Hitler contre les communistes, s’érigeant comme le seul à pouvoir combattre la pensée de Marx, et contre la France, pays on ne peut plus dégénéré à cause du métissage avec les juifs et les noirs et surtout parce que c’est la France et que l’Allemagne ne peut devenir ce qu’elle doit être que par l’anéantissement de son voisin.

Tout était dit, peu ont su lire… A cette époque, il fallait avoir la clairvoyance d’un François-Poncet, ambassadeur de France en Allemagne pour comprendre que Mein Kampfn’était pas le résultat des élucubrations d’un peintre raté, ni un programme électoral, plein de promesses oubliées dès l’accession au pouvoir (une accession démocratique obtenue par un vote « libre et sincère » pas par une sorte de coup d’état comme en Italie avec Mussolini ou grâce à une guerre civile comme Franco en Espagne), mais un vrai projet de société. Projet de société qu’Hitler voulait réaliser, et que pour y arriver tous les moyens lui étaient bons, même et surtout le mensonge : avec le recul de l’histoire, on a oublié que durant les années 30, il se présentait comme le champion de la paix…

Mein Kampf est de fait la fusion de deux livres : l’un écrit en prison et l’autre après sa libération, pour être rassemblés en un seul, avec le succès qu’on lui connait. Jusqu’en 1945, plus de 11,5 millions d’exemplaires ont été distribués rien qu’en Allemagne. Il était conseillé et non obligé (d’ailleurs la ville de Leipzig s’y était refusée) de donner un exemplaire du livre à tous les nouveaux mariés…

Grace à son succès, très rapide en libraire, l’écrivain Hitler est devenu un homme riche, très riche, et le solde des comptes qu’il a ouvert en Suisse à l’Union des Banques Suisses, est là pour, encore, en témoigner…

Antoine Vitkine ne se cantonne pas au succès de Mein Kampf en Allemagne, mais aussi de sa diffusion hors de son pays. En Italie, en Grande Bretagne, aux Etats-Unis d’Amérique. Il nous montre un Hitler très attentif aux droits d’auteur, non pour des raisons financières, mais à cause des problèmes de traduction. Car Hitler a compris très vite le danger d’une lecture de son livre à l’extérieur de l’Allemagne : si on le croit sincère, alors la communauté internationale ne lui permettra pas de mettre son programme à l’œuvre.

Le véto le plus absolu a été pour une traduction en français, l’ennemi pourrait se prémunir. Mais une traduction totalement interdite est parue en 1934, mais que quelques semaines, car la justice dans un « grand moment de lucidité » et d’application littérale de la loi sur les droits d’auteur a ordonné la saisie et la destruction de cette traduction. Pour autant, une vente « sous le manteau » a continué. Un des premiers lecteurs ne fut autre que le colonel et futur général Charles de Gaulle…

Cette traduction est du à un petit éditeur, Jacques Sorlot, directeur des Nouvelles éditions latines, proche de l’idéologie fasciste, antisémite, car il veut montrer le danger pour la France de l’idéologie nazie. Il est le symbole des paradoxes de son époque : anticommuniste, antisémite, de droite, mais nationaliste se battant pour la grandeur et le rayonnement de la France. Un colonel de la Roque ne fut-il pas déporté car refusant de collaborer ?

Mais surtout Jacques Sorlot a trouvé un financement inattendu pour couvrir les risques d’une telle publication : la ligue internationale contre l’antisémitisme, l’ancêtre de la LICRA. Bien sur sa principale motivation était de montrer le danger de ce programme de société pour la population juive et accessoirement pour la France.

S’il existe une traduction fidèle et complète de Mein Kampf en français, c’est grâce à l’alliance d’un antisémite et d’une ligue contre l’antisémitisme !!!

Antoine Vitkine se pose bien sur la question de savoir si Mein Kampf a été lu et compris, mais il s’est heurté à un vrai mur du silence en Allemagne.

Antoine Vitkine finit son essai pour étudier le devenir de ce livre après la seconde guerre mondiale.

Il montre comment ce livre fut une pièce à charge contre les criminels nazis au procès de Nuremberg où il fut décidé de déchoir les ayant droits d’Hitler pour donner tous les droits (traductions, royalties) à l’Etat de Bavière, qui de fait, et encore plus avec Internet où des dizaines de sites le proposent, même en téléchargement libre, à bien du mal à faire respecter ses droits.

Car Mein Kampf est encore et toujours au niveau mondial, un vrai succès en librairie. Bien sur dans certains pays comme en Allemagne, il n’est plus édité (une édition critique devrait voir le jour sous peu sous l’égide de l’Institut d’Histoire Contemporaine de Munich), dans d’autres, comme en France, il ne se vend que « sous le manteau » (entre 2.500 et 3.000 à 36 euros), dans les pays anglo-saxons quelques milliers d’exemplaires se vendent chaque année.

Mais les plus fortes ventes ont lieu dans les pays musulmans : 15.000 en 2007 en Indonésie, 80.000 en 2005 en Turquie, etc. Il se vend plus dans ses pays d’exemplaires de Mein Kampf que de « Protocole des sages de Sion» , car tous savent que ce dernier pamphlet n’est qu’un faux grossier écrit par la police tsariste, alors que dans Mein Kampf, on trouve, selon eux, l’explication du mal être des musulmans et surtout la « façon de procéder » des juifs pour les humilier.

Mein Kampf fut considéré comme la Bible du nazisme. Il y a plus d’exemplaires vendus depuis 1923 qu’une autre bible, celle du communisme : le Capital de Karl Marx. Et ce succès n’est, hélas pas prêt de se démentir.

A lors, face à une telle déferlante, rien ne sert de l’interdire comme certains « bien pensants » le voudraient, à l’instar des lois dites « mémorielles » qui sont une insulte à la démocratie, à la liberté de pensée, à l’intelligence de l’homme.

La seule solution pour combattre les idées de Mein Kampf, pour démontrer que ce n’est qu’un ramassis d’aprioris, stupides, qui n’ont strictement eu et n’ont un rapport avec une quelconque vérité (la seule vérité étant qu’elles ne peuvent avoir écloses que dans un esprit très malade), est d’éduquer les peuples dans la tolérance et l’acceptation de l’autre, d’éduquer pour faire des hommes et non des marionnettes décervelées manipulées pour les intérêts personnels d’une élite autoproclamée.

Félix Delmas


Mein Kampf, histoire d’un livre

Antoine VITKINE

Editions Champs Historie. 9€


ÉCOUTER VOIR


Ces articles peuvent aussi vous intéresser