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La Chronique littéraire d’Émile COUGUT.


L’humanité triomphera toujours sur la barbarie.

Voilà un livre dont je ne sais quel qualificatif je puis donner : beau, magnifique, dur, émouvant. Parfois au gré de nos lectures il nous arrive de trouver par hasard un petit bijou dont on a qu’une envie c’est de le partager avec notre entourage. La seule difficulté à laquelle on se heurte est que cette émotion que l’on a ressentie, il nous est presque impossible de trouver les mots pour la communiquer, on voudrait prendre le livre, le donner et dire : « lis et tu m’en parleras après ».

Olécio partenaire de Wukali

Cette sorte de syndrome de Florence, je l’ai eu il y a quelques jours quand j’ai fini de lire Fleurs de guerre de Geling Yan que vient d’éditer Flammarion. Avant de mettre ces émotions par écrit, il a fallu que je fasse un vrai travail pour pouvoir me remettre du coup que je venais de recevoir.

Cette chronique ne sera que le très pâle reflet de ce que j’ai pu ressentir, et je ne sais si je vais trouver les mots exacts qui pousseront tous les lecteurs de Wukali pour se précipiter pour aller l’acheter toute affaire cessante et le lire même dans la librairie.

L’histoire se déroule dans un même lieu : l’internat pour jeune fille de l’église américaine Sainte Marie Madeleine à Nankin et sur 7 jours. 13 décembre 1937, les troupes japonaises entrent dans la ville après la déroute de l’armée chinoise et se livrent à un pillage et à des massacres parmi les plus terribles de l’histoire. Une barbarie que l’on ne pensait plus imaginable. Des villes détruites rasées, des populations décimées, des prisonniers massacrés, les guerres dans le passé en engendrèrent des dizaines, hélas trop souvent oubliés, comme le massacre des prisonniers avant de lever le siège de Saint Jean d’Acre par le général Bonaparte. Mais au XX siècle, pour éviter ces exactions, furent signées les conventions de Genève sur la protection des prisonniers de guerre. Et on sait que, comme les nazis, les japonais ne les ont pas respectées, ce qui a valu la condamnation, en outre pour ce motif, des responsables aux procès de Tokyo et de Nuremberg. Les pages sur le massacre de plus de cinq mille soldats chinois sont difficiles à lire tant elles nous renvoient aux images que nous avons vues de la seconde guerre mondiale à Kating ou à Babi-Yar.

Dehors, dans la ville ce n’est que bruits des armes, incendies, cris des femmes violées, torturées. Dans l’enceinte, le père Engelman et son diacre essaient de protéger les 16 jeunes filles qui n’ont pu s’échapper de l’enfer.

Mais des prostituées viennent se réfugier. Des prostituées, la lie de la société, considérées comme des membres d’une race inférieure qui s’imposent, avec ils sont obligés de partager les rares aliments, le peu d’eau qui leur restent, au risque de mourir de soif ou de faim. En plus trois soldats blessés, dont deux rescapés miraculeux des fusillades viennent s’imposer. Le père Engelman est pris entre la charité chrétienne et le danger que représente leur présence car elle montrerait aux japonais que son église n’est pas neutre et mettrait en danger la vie des jeunes dont il a la garde.

Bien sur les japonais finissent vite par savoir qu’ils y sont, forcent le portail et les exécutent.

Mais ils reviennent comme des loups attirés par la chair fraiche pour prendre les filles. De fait se sont les représentantes de la lie de la société qui vont prendre leur place et une seule survivra…

Les filles arriveront à se sauver, les cheveux rasés, en pyjama de garçons.

Au-delà de l’histoire, se sont les portraits des principaux protagonistes qui sont magnifiques, le père Engelman, le diacre Fabio Adornato, Cardomone la prostituée de 15 ans qui entrevoit sa rédemption, Dai Tao le commandant qui veut sauver l’honneur de l’armée chinoise, Zhao Yumo la prostituée pleine d’humanité et bien sur Meng Shjan, la tante de la narratrice qui a vécu ces quelques jours et qui comme toute rescapée se pose la question : pourquoi elles, pourquoi pas moi ?

Ces personnages sont restitués dans toute leur humanité, leurs réactions face à des circonstances terribles montrent que même dans les pires circonstances l’homme (et la femme) peut ne pas se laisser guider par la peur et l’égoïsme mais par des sentiments que les barbares et les bourreaux ne peuvent leur supprimer.

Tous nous posent la question que nous espérons ne jamais avoir à répondre : « dans les mêmes circonstances qu’est-ce que j’aurais fait ? »

Tous, toutes les victimes de la barbarie de la seconde guerre mondiale qu’elles soient d’origine nazie ou japonaise nous placent dans la même position que l’auteur quand elle écrit devant une photo trouvée sur un soldat japonais, et que nous devons avoir devant n’importe quel cliché inscrivant la barbarie pour l’éternité : tout en contemplant la photographie, je réfléchissais à ces hommes capables de forfaits aussi abjects. En violant et en déshonorant ainsi une femme d’une autre nation, c’était l’honneur d’un peuple entier qu’ils avaient profané. Et, s’ils considéraient de tels clichés comme des trophées de guerre, c’était pour blesser profondément l’âme d’un peuple humilié. Depuis je ne cesse de me poser cette question : combien de siècles faudra-t-il pour guérir ces blessures morales ? Combien de générations devront-elles passer pour que ces faits inscrits profondément dans les mémoires puissent être oubliés ?

Avec des œuvres comme Fleurs de guerre, le travail de mémoire s’effectue, tout en espérant que jamais nous n’oublierons

Émile Cougut


Fleurs de guerre

Geling Yan

Flammarion. 19€


Geling Yan est une romancière et scénariste chinoise plusieurs fois récompensée. Née à Shanghaï, elle publie son premier livre en 1985. Depuis, elle a écrit de nombreux romans ainsi que des nouvelles, des essais et des scénarios. Plusieurs de ses oeuvres ont été portées à l’écran : c’est le cas de Fleurs de guerre, adapté au cinéma par le célèbre réalisateur chinois Zhang Yimou sous le titre « The Flowers of war« , qui sort prochainement en France, avec Christian Bale dans le rôle principal. Geling Yan partage aujourd’hui son temps entre Berlin et la Chine.


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