En mars dernier, un artiste sud-africain avait défrayé la chronique en se présentant dans une tenue excentrique, le sexe enrubanné relié à un coq sur la place du Trocadero à Paris (voir l’article de Wukali). Accusé d’exhibition sexuelle il vient de passer devant le tribunal correctionnel de Paris


Lu dans la presse/ Le Figaro

Il a dansé le sexe enrubanné, relié à un coq sur la place du Trocadéro à Paris: l’artiste d’origine sud-africaine Steven Cohen, 51 ans, a comparu lundi 24 mars, devant le tribunal correctionnel de Paris pour exhibition sexuelle après une de ses performances. Les faits remontent au mardi 10 septembre 2013. Vers 9h30, l’artiste performeur, connu pour son apparence excentrique, est apparu sur le parvis du Trocadéro, perché sur de hautes chaussures et vêtu d’un costume d’oiseau dansant avec le volatile pendant une dizaine de minutes, avant d’être arrêté par la police.

Le Figaro. Vous avez comparu lundi dernier devant le tribunal correctionnel de Paris pour exhibition sexuelle. Comment avez-vous vécu cette comparution devant la justice française?

Olécio partenaire de Wukali

Steven Cohen. – C’était très étrange. Je suis Sud-Africain, je vis en France depuis dix ans, mais mon français ne dépasse pas le stade de la boulangerie. Je me suis donc retrouvé avec un traducteur devant le juge. Quand j’ai entendu qu’il traduisait «work of art» par «travail de l’art» et non «œuvre d’art», j’ai compris qu’il ne parlerait pas pour moi. Cela a donné lieu à des malentendus et à des quiproquos. Quand le juge m’a demandé si j’étais conscient d’avoir exhibé mon appareil génital, je lui ai dit en anglais que ce n’était qu’un «fragment de mon corps». La traduction a transformé en un «un morceau microscopique» de mon corps. Il en a été ainsi pendant mon interrogatoire qui a duré près de 40 minutes. On m’a demandé 3000 choses et j’ai ressenti une incompréhension de ce qu’est l’art, la performance
.
N’aviez-vous pas le sentiment de transgresser la loi en produisant cette performance plus qu’osée dans l’espace public?

Je me sens confus devant tous ces discours. En Afrique du Sud, le langage est brutal. On dit quelque chose, un point c’est tout. En France, le langage est si poli, si faux, si hypocrite au final qu’il est impossible pour moi de comprendre et d’appliquer tous ses codes. Je suis arrivé en France en 2002, un peu par hasard. De six mois en six mois, me voilà ici toujours à la recherche de mon art.

Dans la vie, je suis quelqu’un d’extrêmement normal, presque de façon terrifiante. Je n’ai rien de la grande folle excentrique ni du travesti déguisé à l’excès.

Tout le sens de ma performance est d’affirmer ce que je suis, par le biais de ce «fragment» que les violeurs dissocient toujours d’eux pour se dégager de toute responsabilité. Moi, au contraire, j’ai voulu montrer les évidences, revendiquer ma responsabilité d’être humain dans un monde de plus en plus homophobe, de plus en plus xénophobe, de plus en plus antisémite et d’ailleurs de plus en plus anti-tout. Et dire, en dévoilant le plus intime de ma personne: «Je suis mâle, je suis juif, je suis «queer», je suis blanc». J’entends de plus en plus souvent en France attaquer en règle les pédés, les juifs, les artistes. Je vis à Lille. Cette ville, la vraie. Elle est fort différente de ce que la presse en dit quand elle en fait «la ville idéale de l’art»: la pauvreté, la misère même, poussent les gens vers des attitudes de rejet et de violence. Je ne suis pas un exhibitionniste. Je ne vais jamais sur une plage. Les plages pour nudistes me font horreur.

Pourquoi ne pas avoir réservé votre performance – forcément problématique dans l’espace public où se trouvent des enfants et des mineurs – à un lieu dédié à l’art, biennale ou musée?

Parce qu’une performance a du sens quand elle est opérée dans un lieu inattendu, quand elle est en contact avec le public. J’avais choisi d’agir tôt le matin vers 9 h lorsque la place était vide de touristes. J’avais choisi le Trocadéro car en Afrique du Sud, il est associé à l’image d’Adolf Hitler et d’Arno Breker, rêvant là d’y restaurer un grand monument fasciste. J’ai pensé aussi à Saartjie Baartman, la «Vénus hottentote», qui fut exhibée ici comme une chose et dont le sexe fut découpé et plongé dans du formol. Honnêtement, si l’on regarde les sculptures du Trocadéro, il y a déjà quantité de sexes masculins et féminins en marbre, en bronze… C’est le sex shop de la culture!

Tutu, crâne rasé, maquillage extrême, chaussures monstrueuses, cul nu, n’est-ce pas la tenue parfaite du «freak»?

Dans la vie, je suis quelqu’un d’extrêmement normal, presque de façon terrifiante. Je n’ai rien de la grande folle excentrique ni du travesti déguisé à l’excès. Pour moi, un «freak», c’est quelqu’un d’exceptionnel, de rare, de précieux dont l’apparition permet un changement des consciences. C’est exactement le rôle de l’art que de semer ce doute. Les enfants comprennent très bien les «freaks», ce sont les parents qui sont bien en peine d’en parler. D’ailleurs, personne ne s’est plaint. C’est l’Etat, via le Parquet, qui a choisi de porter plainte contre moi.

Vous vous êtes attaché le sexe via un ruban à un coq vivant. Pas de plainte de la SPA?

J’ai choisi le coq car c’est l’emblème de la France. Un coq vivant parce qu’un performance vise la réalité du monde. J’y ai fait très attention et ma performance a été préparée avec l’aide d’un vétérinaire. Elle m’a délivré un certificat pour Franck (le coq). Je ne me sens pas coupable vis à vis des animaux: je suis végétarien depuis bien des années.

Redoutez-vous le verdict attendu pour le 5 mai?

Si je suis condamné, même symboliquement à 1€, je le ressentirai comme une défaite de la justice française. Beaucoup de mes performances ont déjà été annulées en France depuis cette affaire. Je dois me produire à Rio, à Bruxelles, en Angleterre, au Canada. Je ne sais pas si j’arriverai à poursuivre mon art. Hier, je n’ai pas réussi à faire ma performance «Chandeliers» que j’ai pourtant réalisée plus de 70 fois! [celle que montrait sa vidéo projetée dans le cadre de l’exposition sud-africaine à La maison rouge, l’été dernier]. Je n’attends pas le verdict, je le subis déjà. Certains me disent: «Fuck off! Back to South Africa!». Rentrer chez moi? Où est-ce? La Lituanie et la Lettonie de mes grands-parents? Je ne voyais pas la France comme ça.

Valérie Duponchelle / Le Figaro


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