Our presentation of Leonard’s paintings.


Nous poursuivons l’étude des peintures de Léonard de Vinci avec deux oeuvres : un portrait connu sous le nom de Ginevra Benci et aujourd’hui exposé à la National Gallery de Washington, Fondation Ailsa Mellon Bruce et la Vierge à l’enfant connue aussi sous le nom de la Dame à l’oeillet de l’Alte Pinakothek de Munich. Nous avons déjà présenté dans des articles précédents La Joconde (Mona Lisa), La Vierge aux rochers, Saint Jean Baptiste


GINEVRA BENCI

Il s’agit d’une huile sur bois peinte vers 1474 de 42cmx37cm. Giorgio Vasari (1511-1574) fait état de ce portrait et indique qu’il s’agit de la fille d’un de ses amis, Amerigo di Giovanni Benci. La vie de Ginevra Benci est parfaitement documentée, on sait qu’en 1474, à l’âge de dix-sept ans, elle épouse un certain Luigi Bernadi di Lapo Nicolini, que son mariage ne semble pas avoir été très heureux et que les affaires de son mari n’ont pas été très prospères. Elle connait des ennuis de santé en 1480. Il semblerait qu’elle ait eu une liaison avec un ambassadeur de Venise, Bernado Bembo, père de l’écrivain humaniste Pietro Bembo. Elle meurt sans enfant.

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Dans l’art du portrait, l’œuvre réalisée par l’artiste est, numériquement, minuscule. Les inventions picturales y sont quasi-infinies. De la recherche exaspérée d’analyse de Ginevra Benci à l’ambiguïté divinisée de Mona Lisa, l’artiste pousse la science du portrait à son maximum d’intensité. Sa créativité visuelle est une nouveauté pour l’époque. Elle modifie en permanence l’idée de mouvement.

Ginevra Benci est une jeune femme peu souriante aux yeux légèrement bridés, aux pommettes hautes. Elle tourne la tête sur un cou vu de trois-quarts. C’est l’instant où le visage se bloque, interrogatif, en regardant le spectateur. Léonard n’embellit pas son modèle : yeux bridés, nez épais, joues flasques, lèvres minces, menton fuyant. Pourtant une vie intense flambe dans le regard : sous la glace se cache un vrai feu intérieur. Les pupilles sont claires.

Le front, haut et délicat, est d’une grande pureté. Les boucles de cheveux virevoltent dans l’espace, aspect typique de la peinture du maître. Le visage est vu de face, encadré par les épaules de trois-quarts. Le modèle porte un châle noir. La robe est rouge, d’un rouge exquis et suave à son maximum d’expressivité. Visage et cou apparaissent jaune paille. La fermeture du corsage en lanière est riche, descriptive. Ce genre de détails accentue l’aspect réaliste du portrait.

Ni l’atelier de Verrocchio, ni les élèves de Léonard n’atteindront cette perfection. Une vague ressemblance existe avec la « Dame au bouquet », le marbre de Verrocchio. Preuve que le tableau appartient encore à la première période florentine de l’artiste.
La recherche exaspérée d’analyse, par la tentative de Léonard de pénétrer la réalité psychologique du modèle en décryptant ses caractères physiques, est certaine. Il veut dégager tout ce qui est beauté intérieure, beauté psychologique si l’on veut, en lieu et place d’une beauté physique inexistante. Il en profite pour insérer le portrait dans l’espace environnant car la figure se détache sur le fond, formant avant-plan. Cet autre aspect lui aussi est typique, Mona Lisa nous le rappelle. Cette organisation stricte de l’espace aboutit à faire de ce panneau une démonstration de beauté plastique, chose impensable et irréalisable par un autre que lui. Du modèle se dégage son tempérament boudeur : le sourire est contrarié et figé. L’introspection analytique domine ce panneau. La capacité de l’artiste à rendre l’expression d’impassibilité troublante du sujet lui appartient en propre.

Le fond de paysage, sombre dans son ensemble, ne parait être là que pour faire ressortir l’intensité lumineuse qui éclaire le portrait. Le paysage met en valeur le visage comme personne n’avait réussi à le faire. Le sens suraigu de la mise en scène qui aboutira à Mona Lisa est déjà bien présent et bien évident ici. Ce fond de paysage avec eaux et arbres, dominé par un grand conifère, contrepoint de la figure, possède les lointains bleutés, élément permanent de l’art du maître, que l’on retrouve depuis le « Baptême du christ  » et les transparences de couleurs dans le genre de celles de Van Eyck, autre élément léonardien, dues sans doute à l’utilisation d’un médium huileux du même type.
Regardons maintenant le buisson de gauche : c’est un genévrier. Au verso de la peinture, un rameau de cet arbre figure, entouré d’une feuille de laurier et d’une palme unies en guirlande. Un phylactère portant la devise : « virtutem forma decorat  » (la beauté orne la vertu) relie les trois branches.

Cette private joke est une caractéristique récurrente dans son œuvre : l’hermine de la Dame de Cracovie, les nœuds de corde de la salle del Asse au château Sforza, le sourire de la Joconde…

Comme nous l’avons vu, l’organisation de l’espace impressionne par sa rigueur mathématique. La puissance de l’analyse psychologique, les qualités de metteur en scène,  l’acuité intellectuelle, l’aptitude à rendre l’atmosphère, l’aspect sculptural de cette peinture sont les attraits principaux de l’art du Vinci dans ce panneau.


 
 
 

  LA MADONE A L’ŒILLET

Huile sur panneau en très mauvais état, 62cmx47,5cm (1473). Alte Pinakothek Munich. Les nombreux repeints ont altéré la craquelure originale.

La composition est classiquement pyramidale, la Vierge est située en avant d’un mur où l’on notera un ressaut bas et deux ouvertures en forme de baies doubles. La Madone s’inscrit dans l’intervalle entre les deux ouvertures du mur. Elle est légèrement décalée sur sa droite, sa chevelure débordant un peu sur la baie correspondante. Ce faisant Léonard accentue la profondeur de l’espace pictural et la distance entre Marie et le mur.

Par les baies, un paysage aux fonds à dominante bleutée est perdu dans l’espace qui l’entoure, avec des montagnes embrumées au lointain. Contrairement à l’habitude, l’eau est absente du paysage. Il fait jour et la végétation aux arbres feuillus se tient dans des teintes rousses. La scène se situe en automne, probablement courant octobre. Cette vision de la nature fait partie du vocabulaire pictural de l’artiste.

La densité volumétrique est si forte que l’aspect « sculpture peinte » saute aux yeux. Marie est indépendante du mur. Elle est vue légèrement de biais, en déplacement par rapport à l’enfant mais aussi avec lui. Un mouvement de rotation s’amorce. Cet effet est accentué par la qualité expressive des couleurs, les  drapés, le coussin où l’enfant s’enfonce. Ces détails n’appartiennent qu’à notre florentin.

Les tresses de la chevelure de la Madone sont centrées sur le milieu du front. Ses yeux aux pupilles baissées regardent son fils. Ils sont invisibles pour nous qui n’apercevons que les paupières. Le nez est fin et droit. La bouche aux lèvres étroites est bien dessinée. Le menton est arrondi. Les joues sont pleines comme celles de l’enfant. La pureté des arcades sourcilières de la mère est parfaite.

Le cou, un peu allongé, porte une tête dodelinant,  présentant un angle d’inclinaison, détail classique chez Léonard

De sa main droite elle maintient l’Enfant en place. De la gauche, elle lui montre l’œillet. Il est agité, turbulent. Les mouvements de ses jambes sont désordonnés alors que, de ses petites mains, il cherche à s’emparer de la fleur. Cette agitation accentue la sensation d’écoulement du temps.

La représentation de oeillet est fréquente dans de nombreuses oeuvres de la Renaissance dans différentes écoles, cette fleur incarne certes le sens olfactif mais c’ est aussi une fleur liée à la religion. Selon la légende les oeillets seraient nés des larmes de la Vierge Marie sur le chemin de croix.

Les vêtements de la Vierge sont d’une richesse décorative impressionnante : la robe d’un vert émeraude profond est doublée d’un tissu jaune paille éclatant que l’on voit sur l’épaule droite et dans le retour du drapé flottant en avant et vers le bas. Ce retour de drapé semble sortir du tableau à l’instar de la main de Marie dans « La Vierge aux rochers » de Paris, accentuant la profondeur et la perspective. Ce tissu jaune revenant au premier plan du panneau crée une symphonie de jaune orchestrée par le fond vert émeraude qui l’entoure. Le brun du coussin portant l’enfant est également très expressif. L’ensemble introduit la monumentalité léonardienne que nous connaissons. Le modelé sculptural des mains accentue l’effet de profondeur.

Le coussin qui reçoit le poids du petit Jésus s’enfonce alors que l’Enfant veut saisir la fleur. Ce qui  donne une grande spontanéité à la scène. La transparence de la carafe invite l’œil du spectateur à s’enfoncer à l’intérieur du tableau créant un autre plan de profondeur. Cette « sculpture peinte »  est prise en instantané dans le mouvement. Avec l’enfant, Marie esquisse une continuité dans l’action. Jésus est vu de profil, ce qui intensifie la perspective.

Si la Mère a les yeux baissés et ne laisse rien voir de son regard, lui apparaît suppliant tellement il veut s’emparer de l’œillet rouge, centre psychologique de la peinture.
La robe vert émeraude recouvre une chemise rouge vif. Elle  est fermée par un bijou dont la translucidité est apparente. La lumière découpe et souligne formes et couleurs. Le détail du bras gauche de Marie avec le parement de robe verte recouvrant la chemise rouge est exquis. On peut dire que les couleurs sont à leur intensité et à leur expressivité maximum, ce qui est digne de Léonard.

On retrouve les boucles de cheveux voletant autour du cou de la Vierge, détail que nous connaissons déjà. La composition est monumentale, les couleurs douces. La force du sentiment religieux s’enracine. Il y a approfondissement de la conquête de l’espace pictural et des volumes.

Toutes ces caractéristiques donnent une originalité particulière à la composition. La richesse du relief comme sa monumentalité sont à mettre au crédit de Léonard qui a acquis du métier et de la confiance. Ici s’exprime bien sa puissance spéculative. La ligne est associée à l’espace, le créant parfois : le retour jaune de la robe en avant et en bas du tableau.

Le sentiment de la vie devient philosophie et apologie de l’équilibre psychologique du peintre.

Le même sujet iconographique de la Dame à l’oeillet a pareillement été repris par Van Eyck, Raphaël et Dürer.

Jacques Tcharny


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WUKALI 14/12/ 2014


 

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