Chess game thesaurus
Voici la première d’une nouvelle rubrique que nous avons voulue sur WUKALI , consacrée au jeu d’échec et quelle meilleure manière de l’inaugurer que d’évoquer la mémoire de Bobby Fischer, ce fabuleux joueur devenu légende.
Bienvenue aussi à Raphaël Fischer ( étonnante homonymie) qui animera dans notre magazine cette chronique
Chroniques en noir et blanc
Il m’est impensable d’entamer une série de chroniques sur cette forme d’art unique que sont les échecs sans tout d’abord dresser le portrait et une brève biographie de l’un de ses joueurs les plus talentueux, si ce n’est le plus talentueux, l’un des plus connus et reconnus, et ce bien au-delà des frontières de ce monde en noir et blanc. Je parle bien sûr de Bobby Fischer de son vrai nom Robert James Fischer.
En 1949 à New-York il vit avec sa mère et sa grande sœur, Joan, qui lui offre son premier contact avec les échecs à l’âge de six ans en achetant un jeu et en apprenant les règles eux-mêmes en peu de temps. La lecture de livres spécialisés suivent rapidement et son intérêt grandissant pousse sa mère à l’inscrire au « Brooklyn Chess Club » dès l’année suivante. Il participe à plusieurs championnats dont il n’en sort pas vainqueur mais s’il n’est pas, à l’instar d’autres grands joueurs d’échecs, un enfant prodige, ses talents l’amènent tout de même au « Manhattan Chess Club » en 1955 où il côtoie les joueurs les plus doués du pays. Ses progrès sont fulgurants, Fischer fait preuve d’une immense créativité, casse un à un les dogmes théoriques et à 14 ans il décroche le titre de champion des États-Unis puis obtient dès l’année suivante le titre de Grand Maître International, titre qui n’avait alors jamais été remis à un aussi jeune joueur. La célébrité soudaine va alors exacerber sa personnalité extravagante et arrogante mais également son génie et son travail acharné qui tourne en véritable obsession.
Dès lors Bobby abandonne ses études et participent à des tournois internationaux, essuyant de nombreux revers avant d’établir le record unique de 20 victoires consécutives contre des Grands Maîtres Internationaux et de remporter plusieurs parties contre certains des meilleurs joueurs russes. Il réussit finalement à se hisser en finale du championnat du monde en 1972.
Cette finale se déroula en Islande à Reykjavik où Fischer affronta le russe Boris Spassky, champion du monde en titre, en 24 matchs étalés du 11 juillet au 1er septembre 1972.
Surnommé « le match du siècle », haletant de bout en bout, il fut une succession de coups psychologiques et rebondissements de dernière minute. En pleine Guerre Froide l’enjeu de cette partie dépassait le cadre des échecs et 24 années de domination soviétique dans ce domaine semblait tout d’un coup bien friable aux yeux des États-Unis et du reste du monde. A cette époque l’URSS élevait sa maîtrise des échecs en symbole de supériorité intellectuelle et accordait en ce sens de larges privilèges à ses joueurs les plus doués. Fischer se vit alors transformer en pion pour casser cet outil de propagande et compris très vite la position délicate dans laquelle il allait se retrouver. En premier lieu il a d’ailleurs refusé de se rendre en Islande, prétextant des gains financiers trop faibles, avant de se raviser suite à un appel d’Henry Kissinger, alors conseiller à la Défense nationale de l’administration Nixon. La première partie démarra sur un retard de Fischer et se poursuivit sur des plaintes de sa part aux organisateurs concernant le bruit provenant des caméras. Ces derniers refusant de les retirer il ne se présenta pas à la deuxième partie et Spassky menait alors 2 à 0. La suite tient encore une fois de l’intervention de Kissinger qui somma Fischer de se reprendre, ce qu’il fit brillamment en alternant victoires et matchs nuls 8 rondes durant, surprenant son adversaire à plusieurs reprises en brisant volontairement la constance indéfectible qu’on lui prêté dans l’ouverture de ses parties.
Des soupçons de triches abracadabrantesques et d’autres événements mineurs ponctuèrent les rondes suivantes avant que Spassky n’abandonne finalement à la 21ème partie, concédant le titre de champion du monde avec 4 points de retard.
Malheureusement cette arrivée au sommet à l’âge de 29 ans pour Fischer sonne aussi la fin de sa carrière. Après 1972 il jouera très peu et restera loin de toute vie publique et médiatique, se repliant sur lui même et perdant son titre de champion du monde en déclarant forfait face au joueur russe Anatoli Karpov. Son génie équivalant sa folie il sombrera rapidement dans une intense paranoïa ressentant selon ses dires un antisémitisme virulent, la mémoire de la shoa était très prégnante et ressentie douloureusement par lui-même et sa famille d’origine juive allemande. Sous l’impulsion d’une jeune joueuse hongroise dont il s’éprit un moment il rejouera une partie en demi-teinte contre Spassky en Yougoslavie en 1992 qui lui vaudra une inculpation des États-Unis pour violation d’embargo l’obligeant à s’expatrier au Japon.
Psychologiquement détruit par la mort de sa sœur puis de sa mère il poursuit sa longue et douloureuse descente toute en fracas et est arrêté à Tokyo en 2001 pour des déclarations équivoques sur les attentats du 11 septembre. L’Islande lui offrira finalement l’asile la même année où il décédera en 2008 après avoir refusé de se faire soigner.
Raphaël Fischer
Prologue en noir et blanc
« Celui qui prend des risques peut perdre, celui qui n’en prend pas perd toujours. » Xavier Tartacover
Les deux adversaires sont prêts et le premier désigné entame les hostilités. D’une main sûre il porte le premier coup et avance son brave soldat de deux pas. L’adversaire réplique et fait face d’une manière bien Cavalière. La réponse ne se fait pas prier et le Fou, gardien de son Roi, prend la tangente, s’invite dans la bataille. Et ainsi, tour à tour, chaque esprit dispose ses forces, restant sur la défensive, à l’affût de la moindre erreur, de la plus petite des failles. Et si dans un moment d’inattention, d’orgueil ou par péché de gourmandise celle ci se présente, la sanction est immédiate.
L’affrontement atteint son milieu et la tension palpable annonce le début des choses sérieuses. Les déplacements se font plus lents. Le moindre faux pas peut suffire à s’assurer une défaite cuisante et les possibilités sont infinies. De l’extérieur on ne voit que deux statues daignant faire un mouvement de temps à autre. Ils se font face dans un silence glacial que seul le son lourd et étouffé des pièces se déplaçant sur l’échiquier vient perturber. Mais à l’intérieur de ce microcosme unique, n’existant que dans l’instant, une énergie folle déborde de toute part, l’adrénaline joue aux montagnes russes et plus rien d’autre n’a d’égale importance que ce duel à mort.
Et voilà qu’un Cavalier à l’étendard sombre saute d’un bon précis, se jetant droit dans la gueule du loup. C’est pourtant avec une assurance certaine qu’il se dresse devant des conséquences dramatiques. La grande Dame blanche, fière et puissante,s’empare sans réfléchir de cette occasion inespérée de prendre l’avantage et il est déjà trop tard. Le piège se referme. Elle a laissé derrière elle son Roi, seul, désormais sans défense aucune. Profitant de cette brèche le Fou adverse s’invite pour venir semer la confusion, lui même étant confus, et derrière lui s’engouffre dans ce trou de souris ses compagnons d’armes que plus rien ne peut arrêter. Le goût du sang dans la bouche réveille leur véritable nature. Un à un les figurants de cette dramatique mise en scène font leurs adieux, sacrifiés sur l’autel des vanités. Le Roi est perdu. Il tombe et sa tête vient heurter avec fracas l’échiquier désormais entre les mains du vainqueur.
La plupart parlent d’un jeu. Certains du Roi des jeux. D’autres encore d’un art à part entière. Pour ceux qui y ont consacré suffisamment de temps pour en explorer, au moins en surface, les nuances et les subtilités ils sont à la fois tout ça et bien plus encore.
R F
Illustration de l’entête: Bobby Fischer. Photo Life magazine
WUKALI 06/03/2005