An interesting French composer once put aside


Nos compatriotes lorrains, y compris les plus mélomanes, oublient volontiers que leur région fut une pépinière de compositeurs importants aux XIXe et XXe siècles. Les plus érudits se souviennent des messins [**Ambroise Thomas*] (1811-1896) et [**Gabriel Pierné*] (1963-1937). Les mordus d’opéra savent, peut-être, que le Montmartrois [**Gustave Charpentier,*] père de la célèbre «Louise», est né à Dieuze en 1860.
En revanche, il faut bien admettre que le Meurthe-et-Mosellan [**Florent Schmitt*], né à Blamont en 1870 et disparu à Paris en 1958, est en grande partie marginalisé dans notre mémoire artistique régionale, en dépit de tentatives louables pour le sortir de l’oubli.

Ainsi, un site Internet consacré au compositeur a été créé dans sa commune natale. Des enregistrements récents, réalisés par l’Orchestre National de Lorraine et son chef, [**Jacques Mercier*], ont été distingués par plusieurs Diapasons d’Or. Ce même orchestre a donné des interprétations remarquables du fameux Psaume XLVII avec le concours d’un chœur coréen exceptionnel, aussi bien à Sarrebruck et à la Chaise-Dieu, en août 2016, que lors d’une mémorable tournée en Corée du Sud, à l’automne de la même année. Pourtant, pour de bonnes et de mauvaises raisons, Florent Schmitt continue de trainer une réputation sulfureuse. Qu’en est-il exactement ?

Avant de rappeler la carrière et l’œuvre d’un des compositeurs importants du premier XXe siècle français, établissons d’abord le bilan des éléments « à charge ». En 1968, la commune de Saint-Cloud, où vécut le musicien, décida de donner son nom à un des grands lycées de la ville. Vingt-sept ans plus tard, un groupe de professeurs et d’élèves de l’établissement découvrirent plusieurs éléments du comportement politique discutables de l’intéressé dans les années 30 et sous l’Occupation. Après plusieurs années de polémiques, le lycée fut finalement rebaptisé « Alexandre Dumas ».|center>

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Les préventions des membres de cet établissement contre Florent Schmitt n’étaient pas, hélas, dénuées de fondement. A l’occasion d’un concert d’œuvres de [**Kurt Weil*], salle Pleyel à Paris, le 26 novembre 1933, le musicien avait cru devoir s’exclamer : « Vive Hitler ! Nous avons déjà assez de mauvais musiciens pour avoir à accueillir les Juifs allemands ». Il interrompait ainsi bruyamment la cantatrice [**Madeleine Grey*] qui interprétait trois chansons du compositeur allemand écrites sur des textes de [**Berthold Brecht*]. Cet incident, peu étonnant de la part d’un provocateur-né, allait être rapidement exploité dans la presse d’extrême-droite antisémite, notamment dans l’Action Française, sous la plume du sulfureux et répugnant[** Lucien Rebatet*], futur collaborateur notoire sous l’Occupation. Les défenseurs de Florent Schmitt font remarquer que la véritable nature du régime hitlérien n’était pas, alors, perçue à sa juste mesure par la majorité de l’opinion. Cette assertion est plus que discutable dans la mesure où Mein Kampf était déjà traduit en français, une personnalité aussi considérable que le [**Maréchal Lyautey*] en ayant recommandé, à titre préventif, la lecture.

En 1935, Florent Schmitt adhérera au Comité France-Allemagne. En 1941, en pleine Occupation, il acceptera d’être le co-président d’honneur de la section musicale du groupe Collaboration. Au même moment, il participera au voyage organisé à Vienne par les services de [**Goebbels*] à l’occasion du 150ème anniversaire de la mort de Mozart. Remarquons qu’il n’était pas le seul compositeur à se compromettre de la sorte puisque figuraient parmi ces « touristes » d’un genre particulier des personnalités aussi considérables qu’[**Arthur Honegger*]. Faisons également remarquer que les déplacements d’intellectuels et d’artistes français sans états d’âme dans l’Allemagne nazie étaient alors très « tendance ». Dans le seul domaine littéraire, invités à Weimar, [**Pierre Drieu La Rochelle, Robert Brasillach, Jacques Chardonne, Marcel Jouhandeau*], pour ne citer qu’eux, en surent quelque chose ! Au même moment, le grand pianiste [**Alfred Cortot*] allait très loin dans la compromission avec le régime de Vichy. Quant au cinéma, il déléguait à Berlin, parmi d’autres acteurs, [**Albert Préjean, Suzy Delair*] et [**Viviane Romance*]…

Florent Schmitt ne se compromit pas d’avantage avec l’Occupant. À la Libération, il ne fut arrêté que quelques jours et son œuvre fut écartée des salles de concert durant une année. Sa réhabilitation fut rapide et spectaculaire puisqu’il fut promu Commandeur dans l’Ordre de la Légion d’Honneur en 1952, avant de recevoir le Grand Prix musical de la ville de Paris en 1957, un an avant sa disparition.

Après avoir abordé ces zones d’ombre, il est permis de revenir à la carrière et à l’œuvre du musicien. Florent Schmitt naquit à Blamont le 28 septembre 1870, en pleine guerre franco-allemande. Ses études le menèrent d’abord au conservatoire de Nancy, puis au Conservatoire National de Musique de Paris où il eut comme maîtres [**Théodore Dubois, Jules Massenet*] et [**Gabriel Fauré*]. Plus jeune de quelques années que [**Claude Debussy*], aîné de cinq ans de [**Maurice Ravel*], le jeune Schmitt, au caractère déjà affirmé, fut rapidement surnommé « le sanglier des Ardennes ». En 1900, il devança Ravel en remportant le Grand Prix de Rome avec la Cantate Sémiramis, ce qui lui valut de pouvoir séjourner à la Villa Médicis.|left>

C’est en 1906 et en 1907 que Florent Schmitt produisit ses deux grands chefs-d’œuvre : le Psaume XLVII, pour soprano, chœur, orgue et orchestre et le ballet La Tragédie de Salomé.

Le Psaume XLVII, son opus 38, occupa le compositeur durant deux années. Il est écrit sur un fragment du psautier, numéroté 46 dans la tradition chrétienne et 47 dans la tradition hébraïque. Il s’agit d’une exaltation de la gloire de Dieu, chantée ici dans une traduction française de Port-Royal, réalisée par Lemaistre de Sacy : « Gloire au Seigneur. Vous tous, peuples, battez des mains. Poussez vers Dieu des cris de joie… » D’une écriture vocale et instrumentale particulièrement complexe, cette œuvre fut considérée par certains comme étant l’évènement musical le plus important depuis Pelléas et Mélisande qui avait vu le jour à l’Opéra-Comique, en 1902. D’une popularité relativement réduite, et peu donnée en concert, faute de pouvoir réunir des effectifs suffisants, cette grande fresque chorale et symphonique fut créée à Paris le 27 décembre 1906 sous la direction de [**Désiré-Émile Inghelbrecht*], grand ami de Claude Debussy. Parmi la petite dizaine de versions discographiques disponibles, signalons celle, particulièrement remarquable, dirigée [**Jean Martinon*] avec les forces de l’Orchestre National de France et, en soliste, la soprano [**Andrea Guiot*].


La Tragédie de Salomé est le second chef d’œuvre de [**Florent Schmitt*], inégalement resté au répertoire depuis sa création à Paris, le 9 novembre 1907, de nouveau sous la baguette d’Inghelbrecht. La mode était alors à l’orientalisme et [**Richard Strauss*], lui-même, avait fait scandale avec son fameux opéra sur le même sujet, représenté à Dresde, deux années auparavant. Cette Salomé de Strauss fut rapidement donnée dans sa version française au Théâtre du Châtelet et cela enthousiasma le poète [**Robert d’Humières*], directeur du Théâtre des Arts, connu par ailleurs pour ses traductions de [**Kipling*]. Humières avait été fortement impressionné par le Psaume XLVII, il sollicita donc Florent Schmitt pour une musique de ballet écrite sur le même thème. La danseuse américaine [**Loïe Fuller*], une des pionnières de la danse moderne, fut choisie pour incarner la fille du Roi Hérode. Schmitt produisit une partition d’environ une heure. Au cours de son séjour à la Villa Médicis, il avait eu le temps de s’initier aux musiques de l’espace ottoman oriental. Le succès fut tel que le musicien en réalisa rapidement une Suite d’orchestre en réduisant la durée de l’œuvre de moitié. Mais il conserva un effectif instrumental très fourni avec l’adjonction éventuelle d’un chœur féminin. La partition fut ainsi structurée en deux parties et cinq sous-parties. C’est sous cette forme que l’œuvre fit son entrée dans le répertoire symphonique avec une recréation aux Concerts Colonne, le 8 janvier 1911, sous la direction de [**Gabriel Pierné*]. [**Igor Stravinski*] était le dédicataire de cette nouvelle mouture. De plus en plus présent à Paris avec les Ballets russes de[** Serge de Diaghilev*], le compositeur pétersbourgeois venait d’être révélé par L’Oiseau de Feu. Il s’apprêtait à présenter Petrouchka moins de six mois plus tard, avant de se lancer dans la composition du Sacre du Printemps dont on connait la création houleuse au nouveau Théâtre des Champs-Elysées, le 29 mai 1913. Évoquer [**Stravinski*] à propos de [**Florent Schmitt*] n’est pas anodin. Les deux artistes furent des amis proches même si le Français éclipsa le Russe pour l’élection à l’Académie de Beaux-Arts en 1936. Ils devaient se rencontrer une dernière fois à Paris en 1957, quelques mois avant la disparition de Schmitt. Sur un plan strictement musical, la richesse et la complexité rythmique de la Tragédie de Salomé annonce à bien des égards Le Sacre du Printemps, en particulier dans la dernière partie, La Danse de l’Effroi. Fin 1912, depuis la Riviera vaudoise où il s’était installé, Igor Stravinski devait écrire à Florent Schmitt : « Cher et très cher ami, quand est-ce que votre géniale Salomé paraîtra afin que je puisse passer d’heureuses heures en la jouant d’un bout à l’autre à la folie. Je dois avouer que c’est la plus grande joie qu’une œuvre d’art m’ait causée depuis longtemps. Et c’est sans flatterie ! Croyez-moi ! Je suis fier qu’elle me soit dédiée. Votre Igor Stravinsky. » Précisons enfin que la plupart des grands chefs français du siècle passé, [**Paray, Munch, Dervaux, Martinon*], ont laissé des enregistrements de référence de La Tragédie de Salomé. Très récemment, [**Yan-Pascal Tortelier*] vient de prendre, très brillamment, le relais.|left>

Dans les années suivantes, Florent Schmitt ne renonça pas à composer pour le théâtre (ballets, musiques de scène). Il se lança même dans de la musique pour le cinéma muet. A cet égard, il faut rendre un juste hommage au Maitre [**Jacques Mercier*] et à son Orchestre National de Lorraine pour nous avoir révélé, par de superbes gravures réalisées par la firme Timpani, ces chefs-d’œuvre oubliés que sont Antoine et Cléopâtre (1920), musique de scène pour la pièce éponyme de Shakespeare, encore imprégnée d’orientalisme ; et surtout, Le Petit Elfe Ferme-l’œil (1924), charmante musique de ballet d’après un conte d’Andersen. Ce magnifique CD, réalisé dans l’excellente acoustique de l’Arsenal de Metz, fut justement distingué par un « Diapason d’Or de l’Année », en 2013. Quelques années auparavant, alors qu’il dirigeait l’Orchestre National d’Ile de France, Jacques Mercier révéla au public la musique écrite en 1925 pour le film Salammbô de [**Pierre Marodon*]. Cela donna lieu à un CD paru sous le label RCA avec le concours des chœurs de l’Armée française. Cette gravure était le prolongement d’un concert donné au festival d’Avignon, assorti de la projection du film en plein air.

En parcourant ainsi l’œuvre de Florent Schmitt, nous avons évoqué moins d’une dizaine d’œuvres. Son catalogue comporte néanmoins plus de cent-trente numéros d’opus, survolant tous les genres, symphonique, vocal, œuvres pour piano, musique de chambre. Mais ce corpus peut apparaître dispersé et trop étalé dans le temps. On n’y trouve pas d’opéras ni aucun recueil de concertos. Ses trois symphonies, se succédant sur plusieurs décennies, sont dépourvus de cohérence stylistique. La dernière, l’opus 137, créée par [**Charles Munch*] à Strasbourg, l’année même de la mort du compositeur, ne fut qu’un succès d’estime. Cette relative dispersion créatrice n’est pas sans rapport avec l’oubli dans lequel est tombé Florent Schmitt. Ajoutons que les fonctions officielles qu’il a assumées, ont pu ralentir son travail de compositeur. Celles-ci furent particulièrement nombreuses : directeur du Conservatoire de Lyon, critique musical au Temps, membre de l’Institut, membre de l’Académie Royale de Belgique avec le soutien de la [**Reine Élisabeth*], veuve du Roi [**Albert Ier*]. Enfin, les errements politiques, précédemment évoqués, n’ont pu que brouiller la figure du personnage. Restent, cependant, une poignée de chefs-d’œuvre que l’on ne saurait négliger et qu’il est temps de redécouvrir et de réhabiliter. Félicitons de nouveau l’Orchestre National de Lorraine et son directeur musical de s’y employer.

Jean-Pierre Pister|right>


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WUKALI 22/06/2017

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