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Armel Job, le Covid et la peur

par Armel Job

Toujours sur le qui-vive

La pandémie du Covid-19 nous a introduits dans un tunnel obscur. Nous pensions le traverser en quelques semaines, mais nous n’apercevons toujours pas la lumière de l’autre côté. L’incertitude nous plonge dans une angoisse exacerbée par les informations que nous recevons.  Les divergences entre scientifiques et les palinodies des responsables politiques sèment la confusion. Les médias versent de l’huile sur le feu. À peine un mieux semble-t-il se dessiner qu’ils nous renvoient le boomerang d’une nouvelle épreuve en pleine figure. Le vaccin n’est pas fiable, le nouveau confinement ne sera pas le dernier, et même si ça s’arrête, on peut s’attendre à ce que ça revienne dans un an ou deux !

Nous vivons donc dans un climat de peur permanente qui nous sape le moral. Nous avons beau nous exhorter à nous secouer, la crainte reste là comme si elle exerçait sur nous une certaine fascination. Rien de plus normal selon les anthropologues. Ils nous expliquent que, dès les premières incursions de nos lointains ancêtres dans la nature, notre cerveau a été conditionné pour être réceptif à la peur. En effet, une frayeur, même exagérée, même finalement sans objet, pouvait sauver la vie des premiers humains dans leur environnement hostile, alors qu’ils auraient payé cash bien souvent une confiance excessive. Avoir peur s’est donc révélé une tactique très performante contre les aléas de l’existence. 

Notre cerveau l’a enregistré et il nous envoie un signal positif quand nous sommes saisis par la crainte. La frayeur procure un certain plaisir. C’est ce que savent les forains qui vous proposent un tour sur les montagnes russes ou les réalisateurs qui tournent des films d’horreur. Nous frémissons d’effroi devant les informations quotidiennes qui fichent la panique, mais c’est tout de même un frisson et le frisson, malgré tout, c’est agréable.

Si notre instinct a créé en nous un terrain réceptif à la défiance, loin de nous en préserver, nos comportements culturels pourraient encore le favoriser. Au début de ses Histoires, Tacite décrit en ces mots le dilemme auquel s’expose l’observateur des décisions politiques : « A qui les approuve, on fait honte de sa servilité, à qui les dénigre s’attache un air fallacieux de liberté[1]. »

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Nous pensons à juste titre qu’une personne éduquée doit faire preuve d’esprit critique. Rien ne nous semblerait pire que de passer pour un béni-oui-oui. De ce fait, nous risquons de préférer systématiquement ce qui va à rebrousse-poil de la voix officielle, dont nous tenons à nous distinguer. Pour autant, nous n’avons garde de nous rallier aux complotistes, autre alignement, sur la bêtise, celui-ci. Afin de passer pour un esprit libre, nous restons donc sur la corde raide, le cœur et l’esprit en alarme.

Le problème avec la situation actuelle qui perdure, c’est que si nous n’en voyons pas le bout, nous n’en sommes pas moins à bout. Quand un plaisantin vient dans notre dos nous crier « Hou ! » à l’oreille, la première fois, nous sursautons, mais s’il recommence tous les jours, bientôt nous en avons assez. La peur instinctive, la défiance de l’intelligence, c’est bien un certain temps, mais trop, c’est trop. Nous aspirons à un retour à la sérénité.

De guerre lasse, certains seraient prêts désormais à accepter toutes les concessions pour retrouver la paix. Beaucoup d’atteintes ont déjà été portées aux libertés publiques. Sans doute sommes-nous donc  condamnés à rester sur le qui-vive pour que le retour à la norme ne favorise pas d’autres normes qui mineraient nos sociétés démocratiques.


[1] Quippe adulationi foedum crimen servitutis, malignitati falsa species libertatis inest. (Histoires, I,I, .3) 

Illustration de l’entête: Guernica(détail). Picasso

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