Accueil Livres, Arts, ScènesLivres Maryse Burgot :  du terrain aux mots, le récit d’une vie de reporter

Maryse Burgot :  du terrain aux mots, le récit d’une vie de reporter

par Pétra Wauters

Maryse Burgot était l’invitée du château de Sannes près d’Aix-en-Provence le vendredi 7 mars, pour une rencontre littéraire très attendue, organisée par la famille Gattaz. Une conférence passionnante suivie d’une séance de dédicaces de son livre : Loin de chez moi, Grand reporter et fille de paysans, paru aux éditions Fayard.

Avant de prendre la parole, Maryse Burgot fait le tour de la salle, pour saluer quelques amis. Sa silhouette est fine, son visage est illuminé d’un sourire avec fossette, regard pétillant aux yeux malicieux, elle fait vraiment très jeune. Sylvie Rostain, directrice artistique de différents salons du livre en France, mène l’interview.

Dès les premières paroles, on retrouve cette voix singulière, grave, légèrement voilée, qui constitue presque sa signature sonore. À l’opposé des intonations standardisées et du phrasé calibré que l’on entend souvent chez les journalistes, Maryse Burgot impose un ton bien à elle : direct, sans artifices. Si elle sait traduire l’émotion, elle ne tombe jamais dans le pathos. Il y a de la cohérence entre sa voix et son approche du métier : un véritable sens de l’éthique. On est séduit par sa sobriété, une certaine pudeur perceptible dans son regard et ses expressions. Ici, devant un auditoire conquis, elle est comme en reportage, concentrée sur l’essentiel. Elle ne cède jamais à la théâtralisation – qui n’aurait vraiment pas sa place en zone de conflit.

Et pourtant, cette voix a bien failli lui « couper » la parole au début de sa carrière. « Mais tu entends ta voix ? » lui disait-on. « Tu devrais laisser un autre journaliste commenter le reportage ! » Heureusement, elle n’a pas cédé au doute. Au contraire, elle a relevé le défi : réussir avec cette voix, même si elle dérange encore certains.

Olécio partenaire de Wukali

Dans son livre, et encore ce vendredi soir, elle l’affirme : rien ne la prédestinait à devenir grand reporter. Rien n’était écrit. Originaire d’un milieu rural, née à Combourg et ayant grandi à Bazouges-la-Pérouse, elle n’avait aucun modèle journalistique dans sa famille. Rien ne garantissait non plus qu’elle réussirait les concours des écoles de journalisme. Il a fallu beaucoup de travail et de persévérance. On découvre qu’elle a financé ses études de lettres modernes, un choix moins conventionnel que les sciences politiques, souvent privilégiées par ceux qui se destinent au journalisme. 

À ses yeux, c’est le plus beau métier du monde, un privilège. Arriver à la rédaction et, quelques heures plus tard, prendre un avion vers l’inconnu : une expérience unique. Maryse Burgot aime passionnément découvrir d’autres horizons, rencontrer d’autres gens. Son livre porte aussi un message : dire aux plus jeunes que oui, tout est possible. Partie loin de chez elle, elle sillonne depuis plus de trente ans les zones sensibles du globe. Des Balkans à l’Ukraine, en passant par l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie et le conflit israélo-palestinien, elle a couvert les plus grands conflits de notre époque. Il y a bien sûr l’insoutenable, et même si ce n’est pas son rôle, il lui est arrivé d’intervenir pour sauver la vie d’un enfant. Si les reportages de Maryse Burgot ne durent que quelques minutes à l’antenne, son magnifique livre nous plonge dans les coulisses de la mission, là où les investigations s’étirent sur des jours et des jours, au plus près des dangers et des drames. C’est un regard de l’intérieur, immersif et captivant, rempli d’humanité. Entrée à France 2 dans les années 1990, elle s’est rapidement distinguée par ses reportages. Bien sûr, d’autres femmes journalistes admirables, comme elle, ont su s’imposer dans un milieu longtemps dominé par les hommes. Parmi elles, Isabelle Staes, grand reporter elle aussi, présente à Sannes ce soir-là. Lorsqu’elle et Maryse Burgot se retrouvent, elles s’étreignent chaleureusement. « C’est elle l’héroïne, ce n’est pas moi », déclare alors Maryse Burgot. « Elle a été grièvement blessée à la jambe et sur le corps. »                   

L’amie répond qu’elle a eu beaucoup de chance. « Nous faisons un métier d’engagement. Je suis tombée en embuscade sur le front. Mais ce soir, il est question de toi et de ton magnifique livre. 

Toutes deux ont couvert des conflits majeurs, affronté les dangers des zones de guerre, tout en relevant un autre défi, bien réel lui aussi : concilier cette profession exigeante avec leur vie personnelle. Il a fallu du courage et des sacrifices pour se frayer un chemin dans le grand reportage. Maryse Burgot nous touche par son immense humilité. « J’ai toujours le sentiment que je ne sais jamais assez de choses, l’impression de ne pas tout connaître assez bien. Je travaille, je veux tout lire, avoir le sentiment de tout maîtriser. Dans ce métier, il est essentiel d’avoir une expertise et de savoir de quoi on parle. » Et si Maryse Burgot doute toujours, elle ajoute : C’est bien de douter, c’est aussi ma force ! 

Être grand reporter est un métier difficile, et les femmes doivent souvent faire face à des obstacles supplémentaires. Dans certaines régions très conservatrices, leur accès aux témoins ou à certaines zones peut être restreint. Pourtant, leur présence inspire souvent confiance aux femmes locales, qui se livrent plus volontiers à elles, offrant ainsi des témoignages précieux que des hommes n’obtiendraient pas forcément. 

Maryse Burgot a su concilier son rôle de grand reporter avec sa vie de mère. Et ce n’est pas rien. Elle raconte une anecdote savoureuse qui a failli tourner au drame. Sous le feu des obus dans le Donbass, elle fonce pour échapper à une nouvelle attaque quand son téléphone, coincé sous son gilet pare-balles, se met à sonner. C’est son fils. Un problème urgent… de cuisson du riz. Sans élever la voix, pour ne pas sembler folle devant son équipe, elle lui explique la recette. Ce soir-là, elle s’est dit que, quoi qu’il arrive, le riz serait bon à la maison. « Être grand reporter est la chance de ma vie, après celle, plus extraordinaire encore, d’avoir pu fonder une famille et avoir des enfants. » Aujourd’hui, ils sont grands. « Un de mes fils souhaite devenir grand reporter ! Et comme je comprends que l’on ait envie d’aller vers ces zones où il se passe des choses puissantes… » De toute évidence, elle est fière de lui et ajoute avec malice : « Mon fils n’a pas été traumatisé. »

Cette correspondante de France Télévisions, qui parvient à concilier ses aspirations familiales et professionnelles, possède ce petit quelque chose en plus. Elle réussit à nous arracher de l’horreur pour nous montrer l’espoir qui subsiste, même au cœur des catastrophes. Son regard affûté et son expérience du terrain lui permettent de décrypter avec précision les enjeux géopolitiques de notre époque.

Comment oublier l’événement de juillet 2000 ? Elle avait 36 ans lorsqu’elle s’est rendue aux Philippines avec son équipe pour interviewer des otages. Mais c’est elle qui s’est retrouvée captive, prise en otage par le groupe terroriste Abu Sayyaf. Libérée le 27 août 2000, elle confie avoir cru vieillir dans cette jungle. Une expérience effroyable. À ce moment-là, elle pensait aux choses essentielles de la vie… Mais elle est retournée sur le terrain. Il était hors de question d’offrir cette victoire aux terroristes.

Maryse Burgot incarne une journaliste d’exception, passionnée et engagée, dont le parcours force l’admiration. Au moment de se quitter, elle nous confie, avec un sourire, qu’elle est en quelque sorte en « vacances » pour présenter son livre. Mais qui sait ? Peut-être que dès lundi, l’actualité l’appellera à repartir sur le terrain

Loin de chez moi
Grand reporter et fille de paysans
Maryse Burgot

éditions Fayard. 20€90

Illustration de l’entête: Pétra Wauters

WUKALI est un magazine d’art et de culture gratuit et librement accessible sur internet
Vous pouvez vous y connecter quand vous le voulez

Pour relayer sur les réseaux sociaux, voir leurs icônes en haut ou en contrebas de cette page
Contact ➽ : redaction@wukali.com

Ces articles peuvent aussi vous intéresser