Les attaques perpétrées par les terroristes de Daech à Paris ont surpris par leur ampleur et non par leur déroulement. Au point où nous en sommes, nul ne peut désormais s’étonner d’une action terroriste où qu’elle se produise.
Il y a quatorze ans, les Etats-Unis ont subi la plus terrible attaque terroriste de leur histoire un certain 11 septembre 2001. Depuis, l’armée américaine n’a pas arrêté de mener sa « guerre contre le terrorisme ». Après toutes ces années, non seulement le terrorisme est loin d’être vaincu, mais plusieurs pays ont subi, à l’instar des Etats-Unis, la plus grande attaque de leur histoire : l’Espagne et le Maroc en 2004, la Grande-Bretagne, l’Australie et l’Indonésie en 2005, la Tunisie, la Russie et la France en 2015, sans parler de l’Irak, de la Syrie et de la Libye devenus, notamment à cause des erreurs des politiques occidentales, de véritables usines de production de la terreur à très grande échelle.
Les interventions militaires, quant elles sont circonscrites, avec un objectif ciblé, limité, peuvent être efficaces et font partie de l’arsenal que toute démocratie doit être capable d’utiliser dans certaines circonstances avec raison et de la façon la plus maitrisée possible.
Dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le chef de l’Etat déclare : « Nous sommes en guerre, et nous mènerons une guerre sans répit contre le terrorisme ». La guerre contre le terrorisme ne peut pas être gagnée. L’échec est annoncé. Parce que le terrorisme est une main invisible, mutante, changeante, opportuniste. On ne se bat pas contre une main invisible avec les armes de la guerre. Il faut être capable d’employer la force de l’esprit, la ruse, les moyens de la paix pour désolidariser des forces qui s’agglutinent autour de ces forces terroristes. Il faut une stratégie politique, une vision politique et une capacité à penser l’action très au-delà des bombes et de l’action militaire stricto sensus.
Tout ce que nous savons de ce type de guerre menées depuis des décennies – et en particulier depuis l’Afghanistan – a conduit à l’échec. Il n’y a pas d’exemple aujourd’hui, Afghanistan, Irak, Lybie, qui ne conduise pas à d’avantage de guerre, d’avantage de chaos. Nous sommes donc dans une situation où par la guerre nous voulons faire mieux que lors de la précédente guerre que nous avons menée. Cette politique, sans vision, sans stratégie à long terme, est d’ores-et-déjà vouée au fiasco.<doc2872|center></doc2872|center>
Ayons conscience que l’état islamique, nous l’avons nous même, en grande partie, enfanté. De guerre en guerre. De l’invasion de l’Irak en 2003, du départ de 2011, du lâchage des rebelles syriens. Il y a un cercle vicieux dans lequel nous nous sommes enfermés. Et non seulement c’est inefficace, mais c’est dangereux. La région du Moyen-Orient – et l’on pourrait prendre l’ensemble du monde arabo-musulman – est traversée de crises, meurtrie et elle est, en plus, en profonde crise de modernisation avec en son cœur une profonde crise sociale qui frappe violement les plus défavorisés et les classes moyennes. Du fait de la corruption, du fait de la rente pétrolière qui est marquée de profondes inégalités. Une grande partie des djihadistes viennent de ces classes moyennes. Par les destructions causées lors de nos bombardements, nous alimentons le cycle de la surenchère. Et c’est ainsi que cette « guerre contre le terrorisme » s’est transformée progressivement et inéluctablement en menace du terrorisme, pour le monde entier.
Remettre en cause nos politiques intérieures et extérieures
Nous devons demander à ceux qui nous gouvernent d’aller aux racines de ce mal qui tue des milliers de personnes innocentes à travers le monde, au moins 130 (et plus de 300 blessés), vendredi 13 novembre à Paris. Elles sont nombreuses, il ne s’agit pas ici, d’en faire un inventaire exhaustif mais soulevons tout de même sur le plan intérieur d’abord :
L’abandon des banlieues
Les terroristes qui ont frappé Paris sont français, une nouvelle fois (après ceux de janvier, après Mohamed Merrah), ils ont grandi dans nos villes et dans nos cités. Interrogeons-nous aujourd’hui sur les territoires où la République a tant reculé qu’elle a laissé les siens se tourner vers la folie, vers la barbarie, vers le fanatisme. Dans ces territoires, où le taux de pauvreté est trois fois supérieur au reste du pays, où les enfants ont une scolarité plus courte d’un an en moyenne, où les tissus associatifs et civiques n’ont plus les moyens de mener leurs actions en faveur de la solidarité. Nos valeurs ne restent que des mots au perron de nos bâtiments. Dans ce contexte, ce n’est plus l’Etat qui organise la solidarité, mais, comme dans la France d’avant les lois Ferry, c’est l’affaire des réseaux familiaux et religieux. Dans ces villes où le message de la République ne porte plus, dans ces quartiers où rien de ce qui représente nos valeurs et notre attachement à la liberté, à l’égalité, à la fraternité, à la laïcité, ne trouve écho, ce sont les fanatiques, les fondamentalistes, les extrémistes qui parviennent à ce que leur voix de haine s’entende.
L’abandon de l’école
Voilà plus de vingt ans que nous connaissons un désengagement, parfois total, de l’Etat dans l’école. Après avoir déserté ses missions éducatives en baissant continuellement le nombre d’enseignants, les réformes sur leurs formations les ont vidées de leurs substances. En abandonnant les missions éducatives se sont aussi les missions culturelle et sociale de l’école auxquelles nous avons renoncées. La disparition de la carte scolaire s’ajoute à la vacuité des programmes. Tout cela contribuant à une ségrégation sociale, à créer une forme d’apartheid culturel tout à fait inadmissible. La carte scolaire est un outil indispensable à la recherche d’une meilleure équité à l’école. Tous ces abandons confirment le désengagement de l’Etat, qui ne joue plus les arbitres, et livre l’école à la loi du plus fort et à l’arbitraire.<doc2874|left></doc2874|left>
Et ça empire encore, oui c’est possible ! A chaque nouvelle réforme, on phosphore en secret, consulte en public et finalement le résultat est toujours le même : on recule, encore un peu plus ! Que c’est-il passé, qu’avons-nous fait ou laisser faire pour que dans le langage pédagogique une piscine s’appelle un « milieu aquatique profond standardisé », un ballon devient un « référentiel bondissant ». On pourrait croire que ce vocabulaire – authentique – que l’on retrouve dans les différents bulletins officiels du ministère est le fruit de linguistes qui se sont échappés de l’asile. Hélas non ! Hier quant un élève apprenait à écrire aujourd’hui il doit apprendre « à maitriser le geste graphomoteur » et il « automatisera le tracé normé des lettres ». N’imaginer plus qu’à l’école les élèves font des dictées. Non, bien trop simple, aujourd’hui l’élève « exercera sa vigilance orthographique soutenu par l’enseignant qui apportera son soutien au moment où l’élève en a besoin ». Oui madame ! A croire que les rédacteurs des programmes ont tous sombré dans une sorte de folie moliéresque. Après tout, Magdelon, dans Les Précieuses Ridicules demande qu’on lui « voiture ici les commodités de la conversation », c’est-à-dire qu’on lui apporte un fauteuil. Comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose à son insu, les rédacteurs des programmes scolaires font du Molière sans le savoir. Le talent et l’intelligence en moins.
Car, à la fin, il n’y a que l’hôtellerie qui gagne. Et les stations de sports d’hiver. Pour acheter la paix scolaire, la plupart des ministres de l’« Education Nationale » rajoutent à la dérobée quelques jours de vacances. Ce sont les seules réformes qui réussissent vraiment, à bas bruit, transformant la France en nation à roulettes, dans un va-et-vient pendulaire Nord-Sud qui, compte tenu des quatre saisons et des trois zones, s’étale sur 12 mois, du 1er janvier au 31 décembre. L’abandon de l’intelligence est total !
La reproduction endogamique d’élites hexagonales incapables de lire la complexité du monde
A la fois cause et conséquence de l’abandon des banlieues, de l’abandon de l’école, et de bien d’autres maux… l’exclusivité de la haute fonction publique réservée à certains d’une certaine grande école. Ces mêmes grandes écoles où les anciens élèves seront les futurs professeurs et directeurs. Ces sphères de décisions pourtant stratégiques où l’on passe sans difficultés d’un poste de haut fonctionnaire dans l’administration centrale, à un cabinet ministériel. D’un cabinet ministériel à une inspection générale. D’une inspection générale à l’Elysée. De l’Elysée à un poste de Préfet. Ceux qui sont encartés dans l’un ou l’autre des partis politiques seront probablement ministres ou secrétaires d’Etat avant ou après avoir été parachutés dans une circonscription législative gagnée d’avance. Il ne faudrait pas non plus qu’ils connaissent l’insécurité ni même le risque… Dans ce cercle l’on se coopte entre gens de bonnes familles et avec des bonnes manières. Le système de vases-clos empêche toute initiative, toute créativité, toute innovation, toute inventivité et il se referme chaque jour un peu plus sur lui-même. Incapable, par son essence même, de s’ouvrir sur le monde, de comprendre sa complexité. D’être, simplement, à l’écoute d’idées qui ne proviennent pas de leur cercle. Ceux qui s’en échappent sont affectueusement appelés des « pantouflards ». Voilà qui en dit long !
Il faut mesurer la multiplicité des causes qui conduise à l’islamisme radical. Il ne s’agit pas de simplifier le problème mais nous savons à quel point l’étroitesse des rapports entretenus dans tout le monde arabe entre les sphères politiques et religieuses a pu faciliter son émergence.
Aujourd’hui, c’est la politique étrangère d’une France blessée, et de tout le monde occidental, que nous devons interroger.
On veut croire, que les images d’horreur que nous voyions, malheureusement, de ce côté-ci sont des repoussoirs mais ce sont aussi des phénomènes d’aimantation pour certains. On ne voit pas les mêmes images de l’autre côté de la Méditerranée, on ne voit pas le même spectacle, on interprète pas de la même façon, parce qu’il y a des identités blessées. Et ce qui est vrai là-bas et malheureusement aussi vrai chez nous. C’est-à-dire que la surenchère a des conséquences dans le recrutement des djihadistes là-bas, et elle a des conséquences ici.
Par ailleurs, nous frappons en Syrie et en Irak depuis plusieurs années. Nous frappons un ennemi terroriste. Et quel est le résultat ? L’horreur que nous connaissons pour notre compatriote Hervé Gourdel qui est, lui, lâchement assassiné dans les montagnes d’Algérie, l’horreur des attentats de Paris commis par des Français et des Belges. C’est dire que demain, toutes ces minorités qui brandissent l’étendard de l’Islam, agissent au nom de l’Islam – ce n’est évidemment pas l’Islam le problème c’est le drapeau de l’Islam qui est brandi – et bien toutes ces minorités qui existent aussi bien en Birmanie, en Malaisie, en Thaïlande, en Indonésie, dans l’ensemble du monde arabe, de la même façon qu’au Maghreb ou en Afrique et même en Europe, et bien partout ces minorités peuvent se solidariser.
Nous assistons, par cette guerre contre le terrorisme à une cristallisation de l’ensemble de ces groupes, qui établissement des passerelles entre eux. Une surenchère pour savoir qui sera le plus cruel, le plus meurtrier, le plus violent ; parce que c’est leur façon d’attirer les djihadistes, d’attirer de l’argent. Et, au-delà de ça, il y a une course vers la mort, vers d’avantage de djihadistes, qui est effroyablement dangereuse pour nous. Il faut prendre conscience de cette complexité.<doc2873|center></doc2873|center>
Depuis le début de la montée en puissance de l’islamisme – tout à fait fortuitement lié aux chocs pétroliers des années 70 bien sûr – les dirigeants occidentaux se sont convaincus qu’il devenait la force politique dominante du monde arabo-musulman. Addiction au pétrole aidant, ils ont renforcé le pacte faustien les liant aux Etats qui en sont la matrice idéologique, qui l’ont propagé, financé et armé. Ils ont, pour tenter de se justifier, inventé l’oxymore d’un « islamisme modéré » avec lequel ils pouvaient faire alliance.
Le soutien apporté ces derniers mois au régime turc de M. Erdogan dont on connaît les accointances avec le djihadisme, et qui n’a pas peu contribué à sa réélection, en est une des preuves les plus récentes. La France, ces dernières années, a resserré à l’extrême ses liens avec le Qatar et l’Arabie Saoudite, fermant les yeux sur leurs responsabilités dans la mondialisation de l’extrémisme islamiste. Le djihadisme est en grande partie l’enfant des Saoud et autres émirs auxquels elle se félicite de vendre à tour de bras ses armements sophistiqués, faisant fi des « valeurs » qu’elle convoque un peu vite en d’autres occasions. Jamais les dirigeants français, occidentaux, ne se sont posés la question de savoir ce qui différencie la barbarie de Daesh de celle du royaume saoudien. On ne veut pas voir que la même idéologie les anime. La lourde facture de ces tragiques inconséquences est aujourd’hui payée par les citoyens innocents du cynisme à la fois naïf et intéressé de leurs gouvernants.
Et maintenant ?
J’aimerais être hâbleur, pouvoir dire que nous n’avons pas peur. Mais c’est faux. C’est faux parce que nous sommes, nous les Français, les Européens, une société démocratique qui n’a pas engagé de processus sécuritaire au point d’autres sociétés démocratiques. Comme la société américaine par exemple. Les communautés américaines à travers le monde sont barricadées, bunkarisées, il n’y a pas un cheveu qui dépasse. Le risque est infiniment moindre que pour les nôtres. C’est aussi le chemin qu’a emprunté Israël. Ce n’est pas la situation de la France, ni de l’Europe. Nous sommes exposés aux quatre vents, en particulier au Maghreb, au Moyen-Orient, en Asie et donc dans une situation de vulnérabilité. Et ce qui est vrai là-bas, l’est aussi chez nous.
Si nous nous décidons à prendre la tête d’une croisade, nous devons en mesurer les risques, et surtout savoir que cette croisade ne peut pas être gagnante. Nous alimentons un processus de destruction, un processus de haine. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien faire, il y a, évidemment, beaucoup à faire, mais dans une toute autre direction. Vers celle d’une stratégie politique, d’une stratégie d’accompagnement militaire en mettant en avant ceux qui d’abord doivent réagir : les pays de la région eux-mêmes. Il y a entre 500 et 600 avions de chasse, dans la région qui appartiennent aux pays du Golfe, ils sont parfaitement capables de mener la riposte.
Pour vaincre le terrorisme, on ne doit pas se contenter de traquer les pauvres bougres qui ont subi un lavage de cerveau en règle avec la lessive daéchienne. On n’arrivera jamais à les neutraliser entièrement si on ne va pas à la racine du mal. On ne peut pas tuer un arbre en se contentant de lui couper les branches qui ne tardent pas à repousser. Ce sont les racines qu’il faut arracher.
Pour le terrorisme, c’est la même chose ! La capacité de recrutement des organisations terroristes dépasse la capacité de tous les services de sécurité d’en éliminer les membres.
Tout d’abords nous devons arrêter de nous en prendre à des gouvernements établis sous prétexte qu’ils sont dictatoriaux ou qu’ils maltraitent leurs peuples, comme ce fut le cas pour l’Irak et la Libye, et comme on tente encore de le faire en Syrie. Le prétexte est fallacieux et d’une hypocrisie consternante. Car, enfin, en quoi l’Arabie Saoudite (notre « allié ») est plus démocratique et plus respectueuse des droits de l’homme que la Syrie de Bachar Al-Assad ? Et si les manifestations de mars 2011 contre le président syrien s’étaient déroulées en Arabie Saoudite contre la royauté, comment aurait réagi les autorités saoudiennes ? La réponse est évidente. Et, chaque chose en son temps, les puissances occidentales durant la seconde guerre mondiale étaient toutes alliées avec l’URSS de Staline contre le nazisme.
Ensuite exigeons que la France mette un terme à ses relations privilégiées avec, justement, l’Arabie Saoudite et le Qatar, les deux monarchies où l’islam wahhabite est la religion officielle, tant qu’elles n’auront pas coupé tout lien avec leurs épigones djihadistes. Les nouvelles générations extrémistes du monde dit « arabe » ne sont pas nées djihadistes. Elles ont été biberonnées par la « Fatwa Valley », espèce de Vatican islamiste avec une vaste industrie produisant théologiens, lois religieuses, livres et politiques éditoriales et médiatiques agressives. Mais non, comme aveuglé par des promesses d’argent, la France à peine l’accord sur le nucléaire iranien était signé, s’empresse déjà de vouloir vendre des centrales nucléaires à l’Arabie Saoudite, on marche sur la tête, on refuse de voir le danger que cela représente tant nos dirigeants sont éblouis par des promesses de rentrées financières à très court terme, sans vision, sans comprendre le risque que cela représente pour notre sécurité ! (voir en ligne).
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Puis, nous devons obliger les pays du Golfe à interdire les dizaines de chaînes de télévision takfiristes qui empoisonnent les esprits de millions de jeunes gens à travers le monde. Et, clouer le bec à ces cheikhs écervelés pour qui l’humanité entière est impie tant qu’elle ne suit pas « la bonne voie » tracée par le wahhabisme. Il faut vivre dans le monde musulman pour comprendre l’immense pouvoir de transformation des chaines de télévision religieuses sur la société par le biais de ses maillons faibles : les ménages, les femmes, les milieux ruraux. La culture islamiste est aujourd’hui généralisée dans beaucoup de pays : Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Mali, Mauritanie, etc. On y retrouve des milliers de journaux et des chaines de télévision islamistes (comme Echourouk et Iqra), ainsi que des clergés qui imposent leur vision unique du monde, de la tradition et des vêtements à la fois dans l’espace public, sur les textes de lois et sur les rites d’une société qu’ils considèrent comme contaminée. Dans ces media, on y parle de l’Occident comme des « pays impies » ; les attentats sont la conséquence d’attaques contre l’Islam ; les musulmans et les arabes sont devenus les ennemis des laïcs et des juifs. On y joue sur l’affect de la question palestinienne, le viol de l’Irak et le souvenir du traumatisme colonial pour emballer les masses avec un discours messianique.
Alors que ce discours s’impose aux masses, en haut, les pouvoirs politiques présentent leurs condoléances à la France et dénoncent un crime contre l’humanité. Une situation de schizophrénie totale, parallèle au déni de l’Occident face à l’Arabie Saoudite.
Ces chaînes de télévision sont, pour certaines d’entre-elles, accessibles par satellite en Europe. Il est urgent que nous prenions toutes les dispositions nécessaires pour qu’une autorité unique européenne des médias soit créée et interdise la possibilité de réception de ces chaînes dans toute l’Union Européenne. Comme le terrorisme, les ondes ne connaissent pas les frontières.
Une autre chose à faire, est d’étouffer financièrement le terrorisme, en le privant de l’argent du pétrole qu’il exploite en Irak et en Syrie, et en le privant surtout de l’autre argent du pétrole généreusement et massivement offert par les milliardaires fanatiques d’Arabie Saoudite, du Qatar et du Koweït. De même il faut dévoiler à l’opinion publique internationale, qui s’en doute un peu d’ailleurs, le jeu à la fois fourbe et dangereux de certains Etats qui, pour se débarrasser du régime syrien, ont financé, armé et facilité l’expansion du terrorisme. A l’ouverture de la réunion du G20 à Antalya en Turquie le dimanche 15 novembre, nous avons assisté à une scène pathétique où le président turc Recep Tayyip Erdogan exhortait ses invités à faire « l’unanimité contre le terrorisme ». Tout le monde sait que pendant quatre ans, le chef islamiste de Turquie a été l’un des principaux obstacles à cette unanimité contre le terrorisme à laquelle il appelle aujourd’hui. Si M. Erdogan s’est enfin rendu compte de ses erreurs monumentales des quatre dernières années et veut œuvrer sincèrement contre le terrorisme, il doit commencer par fermer immédiatement sa frontière avec la Syrie, empêcher les terroristes d’y entrer et arrêter ceux qui la fuient et les livrer à ceux qui les réclament. Enfin, il doit prouver sa nouvelle ardeur antiterroriste en orientant ses bombes vers Daech plutôt que vers les Kurdes. Hélas, la destruction d’un avion russe par l’armée turque mardi 24 novembre (quatre jours après le G20 et ses déclarations d’unanimité contre le terrorisme) prouve que M. Erdogan n’a pas changé sa politique et reste un véritable problème diplomatique et militaire pour vaincre Daesh (voir en ligne).
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En Europe
Nous devons immédiatement appeler à plus d’intégration européenne. A un renforcement des compétences de la Commission Européenne en matière de sécurité et de la Cour de Justice de l’Union Européenne comme véritable défenseur de nos libertés individuelles. A la création d’une agence européenne de renseignement et à un parquet européen antiterroriste. Les attaques de Paris nous ont montrées (ce que tout le monde savait au demeurant) que le terrorisme ne connait pas les frontières. C’est Paris qui est attaqué et Bruxelles qui est verrouillé !
Il est tout à fait hallucinant que les personnes fichées par les renseignements français ne soient pas connues des services de renseignements belges, et vice versa. Alors qu’un automobiliste belge flashé pour excès de vitesse en France reçoit son PV chez lui ! On est en droit, légitime, de se demander à quoi joue exactement les Etats membres et les ministres de l’intérieur des pays de l’Union Européenne. Seul décideur sur ces questions.
Nous ne pouvons pas demander à un pays de 11 millions d’habitants de mettre en œuvre les mêmes mesures et leur allouer le même budget qu’à un pays de 65 millions d’habitants ; et nous savons que ces mesures sont déjà trop faibles et incomparables à celles prises par les Etats-Unis, pays de 350 millions d’habitants qui dispose d’un budget très nettement supérieur à n’importe lequel des 28 budgets européens pris séparément, mais comparable au budget que 28 Etats pourrait mettre à disposition. Nous devons mettre en commun nos renseignements, et offrir aux citoyens les niveaux de protection que seul un pays de 550 millions d’habitants peut offrir. L’urgence à créer un service de renseignement européen n’est pas à démontrer. L’urgence à créer une justice antiterroriste européenne n’est pas à démontrer. Et soyons clair, ce n’est pas en votant pour les partis europhobes et extrémistes (comme le Front National) que ces mesures essentielles et obligatoires de sécurités seront prises. C’est dit !
Ces mesures, dont riront les tenants d’une realpolitik dont on ne compte plus les conséquences catastrophiques, n’élimineront pas en un instant la menace djihadiste, aujourd’hui partout enracinée. Mais elles auront l’immense mérite d’en assécher partiellement le terreau. Alors, et alors seulement, les mesures antiterroristes prises aujourd’hui en l’absence de toute vision politique pourraient commencer à devenir efficaces.
Nous suivons les Américains, qui comme toujours, cherchent un ennemi à travers la planète, engagés dans une sorte de messianiste universel. Nous Français, nous Européens, ce n’est pas notre rôle, ce n’est pas notre vocation. Nous sommes des faiseurs de paix, des chercheurs de dialogues, nous sommes des médiateurs. Nous sommes là à contre emploi et à contre sens entraînés dans une logique qui est sans issue car la guerre contre le terrorisme, c’est une guerre sans fin, c’est une guerre perpétuelle. Nous savons qu’elle ne peut pas s’arrêter. La haine entraine la haine, la guerre nourrie la guerre.
Pierre Roth
Pour aller plus loin :
- Interview de Federica Mogherini, Haute représentante de l’UE pour les affaires extérieures et de sécurité (Le Nouvel Obs, Le Soir, De Standaard, 19 novembre 2015), disponible ici =>
- « Saudi Arabia, an ISIS That Has Made It » opinion by Kamel Daoud (The New York Times, 20 novembre 2015) disponible ici =>
- Accord ou ce «sera la victoire de Daech» (La Presse de Tunisie, 24 novembre 2015), disponible ici =>
WUKALI 25/11/2015
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