Chers Amis lecteurs, nous avons tous nos dadas, nos hobbies, nos violons d’Ingres, nos préférences, qu’il s’agisse de périodes de l’histoire de l’art ou bien d’artistes, et nous sommes, oui, émus ou touchés par telle ou telle peinture que nous redécouvrons à chaque fois que nous la voyions. Je vous propose les miens.
Comme telle musique qui fredonne à nos oreilles qui nous apporte un peu de bonheur, nos choix, comme les pommes sur le pommier, sont multiples et peu importe qu’ils soient bigarrés ou monochromes, nous n’avons aucun compte à rendre à quiconque et ce qui importe, c’est notre joie, plus encore c’est cette lente maturation, ce mûrissement qui s’opère en nous, comme une distillation de fruits pour obtenir l’alcool .
Tandis que je rédige, je me pose la question, quelle illustration in fine vais-je mettre en frontispice de cette article, quelle forme d’art, quel registre ? Envisageons ensemble plusieurs hypothèses et dans n’importe quel ordre, comme le sentiment vient !
Peut-être la légèreté et ce doux soupçon d’érotisme avec L’odalisque blonde de François Boucher ( La jeune-fille allongée) dont il existe plusieurs versions.
J’entends déjà les ligues de vertu (et dieu sait qu’elles prospèrent aujourd’hui ) me faire reproche et vociférer, héritières de Tartuffe et autres dévots ou wokistes mal embouchés.
Pourtant mademoiselle O’Murphy vous qui avez posé plusieurs fois à Versailles à l’hôtel du Grand cerf pour votre amant de peintre (il n’était pas le seul… Louis XV en personne y avait aussi ses…habitudes ), vous êtes si belle et désirable et ce cher François vous a sublimée !
Cédons à leurs criailleries et replions nous alors, comme dans Le meunier, son fils et l’âne de La Fontaine, vers un autre choix. (Ecoutez ou plutôt savourez Fabrice Lucchini dire ce très beau texte. CLIQUER )
Pourquoi pas alors le David de Michel-Ange ?
Comment, tant de nudité, quelle provocation, quel affront, cachez ce corps et ce pénis que je ne saurais voir !
On en est là… !
Choix difficile me direz vous, alors ne prenons aucun risque et allons vers le sublime du sublime, neutre probablement, la Dame de Brassempouy ( à prononcer «Brassempouille» comme nous le préciserait notre aquitain et gersois Emile Cougut avec le soleil du sud-ouest dans la voix).
Alors là non, c’est de l’élitisme, la préhistoire, mais vous n’y pensez pas, qui donc cela peut-il encore intéresser, non c’est non !
Faisons le gros dos et avançons collés à terre en rampant comme des sioux ! Proposons leur leur «calendrier des postes», ils vont adorer et pourquoi pas un Renoir, c’est dans l’air du temps et comme dirait l’autre, «çà ne mange pas de pain», soit une de ces charmantes jeunes-filles dans cette atmosphère de sérénité populaire qu’il excellait à peindre tel le Déjeuner des canotiers.
Je me rappelle encore la première fois où je me suis trouvé en face à face avec l’oeuvre, c’était au musée du Luxembourg à Paris qui exposait la collection Phillips, ma fille qui avait alors 16 ans était avec moi, moment de bonheur. Je ne m’attendais pas à cette rencontre bouleversante et puissante bien entendu dans cette petite salle du musée.
Tout d’un coup, les visages, les corps, le bonheur simple de ces gens du peuple de Paris venus en goguette probablement pour canoter sur les bords de Marne et partager un bon repas prenaient vie. Cette lumière incroyable qui jaillit en reflets sur les visages et les tissus, ce génie tout simplement «impressionniste». Un partage sensible père-fille aussi, un de ces moments ineffables gravés à jamais et qui a du sens. C’est aussi cela visiter une oeuvre, la fusion spirituelle, l’émotion transmise !
… ou alors toujours chez les Impressionnistes cet incroyable tableau d’Édouard Manet, Un bar aux Folies-Bergère, sublime du sublime, un régal pour les yeux, quel chef d’oeuvre, Manet bouleverse les codes de la peinture. Nature morte et portrait, scène de genre, couleurs et précision du trait à la fois. Il a atteint la plénitude du style, son style, son génie. Cette coupe de cristal aux oranges, cette fleur dans un verre de bistrot, ces bouteilles de champagne et de bière, ce portrait d’une tendre jeune-fille habillée d’une veste-corset en velours moiré, et dont l’image se détache sur un miroir réfléchissant les clients et spectateurs dans la salle qui lui font face alors qu’elle sert un client haut de forme vissé sur la tête, qui pourra inspirer un Ensor. Qui voit qui, qui regarde qui ? Il y a du Velasquez là dedans, un peu des Ménines et Manet connaissait très bien les peintres espagnols. Cette peinture est nimbée d’une infinie douceur, nul faux pas, tout y est tendresse. Cette scène pourtant est bavarde et bruisse des conversations de tout ce public rassemblé.
Comme Ducros*, je me décarcasse, et je passe en revue dans le plus absolu désordre, périodes, oeuvres et artistes. Peut être pourrions-nous aller vers ce que l’on nomme l’art sacré, Le retable d’Issenheim du musée des Unterlinden de Colmar par exemple, très récemment restauré et qui éclate dans ses couleurs qui touchent à l’âme et aux sens
C’est une visite d’émotion au Musée des Unterlinden, comme devenu à travers ses collections le conservatoire, le temple de l’art du retable. On connait peu de chose sur la vie de Matthias Grünewald l’auteur. Le Bénézit parle de lui comme du «peintre de Colmar», pourtant ce n’est pas tout à fait vrai, et si son retable est arrivé dans cette si jolie ville c’est pour échapper aux risques de saccage et de vandalisme barbare que faisaient peser sur cette oeuvre de caractère sacré conçue pour l’hôpital des Antonins dans le village d’Issenheim, les ultras-montagnards qui voulaient pendant la Révolution déchristianiser le pays.
Ce retable d’Issenheim soit un ensemble de peintures proprement fabuleux et dont l’exploration implique plusieurs registres (Cliquer), le fantastique d’ailleurs n’est pas le moindre, et les restaurateurs très récemment ont su à merveille restituer des couleurs incroyables, des jaunes soufre, des violets, nous ne tarissons pas d’éloges pour leur travail, et si les mots ont un sens, on atteint ici au sublime !
Au passage, vous pourrez remarquer que tout ces chefs-d’oeuvre qui donnent substance à mon article ont tous fait l’objets d’analyses et d’articles bien sûr dans WUKALI et que vous pourrez tous retrouver facilement.
Eurêka, j’ai trouvé ! Nos censeurs devraient probablement aimer le dépaysement, le lointain, tout du moins je l’imagine ! La Vague d’Hokusai va faire l’affaire, avec en plus ce petit côté écolo et exotique pour certains qui tombe à pic! Et je ne développerai pas dans cet article l’influence de la peinture japonaise sur la peinture française au 19ème siècle chez les Impressionnistes, ni ne mentionnerai un certain Radeau de la Méduse peint en 1818-1819…
Or cette Vague, dite aussi La grande vague de Kanagawa, a été réalisée par Hokusai 葛飾 北斎 en 1830 et il est piquant de penser que Hokusai ne devait certes point connaitre la peinture de Géricault ( le Japon ne s’ouvrira à l’influence occidentale qu’à partir de 1853 sous la pression des bateaux noirs américains commandés par le commodore Perry). Un certain mode de voir à l’identique partagé indépendamment des contingences. Une variante du battement d’ailes de papillon !
Nous sommes avec Hokusai dans le monde de l’ukiyo-e 浮世絵, le monde flottant, Hokusai, ce fou du dessin comme il se définissait lui-mème. Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur les grands peintres japonais de cette période dans un très prochain article en cours de rédaction, soyez vigilants.
Vous l’avez compris, choisir comporte toujours un risque, c’est d’ailleurs à cela que l’on remarque l’homme libre, mais poursuivons un peu pour le jeu… je pourrais donc vouloir sélectionner un Delacroix ( vous connaissez probablement mon affection pour ce peintre). Par exemple Les Femmes d’Alger dans leur appartement dont Matisse disait qu’il était le plus beau tableau de l’histoire de l’art. En 1832 Delacroix avait accompagné le comte de Mornay en ambassade au Maroc. Un voyage qui changera à tout jamais le regard de Delacroix. Oublié le néo-classicisme de Pierre-Narcisse Guérin (1774-1833) son maître, il découvre et la lumière et la vie qui rendent obsolète ce néo-classicisme aux personnages figés comme des statues comme chez Jacques-Louis David (1748-1825) par exemple.
Voici le romantisme qui comme un flot irrésistible bouscule toutes les traditions. C’est l’heure de Delacroix.
Quant à ce tableau il a ce qu’il faut pour être qualifié d’orientaliste, scène de harem, narguilé, mystère de la porte entrouverte, tenues vestimentaires locales, esclave noire, calligraphie arabe, objets de tradition. Soulignons que jamais Delacroix n’est entré dans une maison arabe, ni au Maroc, ni à Alger où il fera escale sur le chemin du retour. Nulle référence ni dans ses carnets, son Journal ou sa correspondance. Cependant il a été invité par son interprète au Maroc, un Juif du nom d ‘Abraham Benchimol avec qui il se lia d’amitié et rencontra sa famille dans la maison de ce dernier. Il écrivit ce qui suit dans sa correspondance: «Sa femme, sa fille, et en général toutes les juives sont les femmes les plus piquantes du monde et d’une beauté charmante. Sa fille, je crois, ou celle de sa sœur, avait des yeux très singuliers d’un jaune entouré d’un cercle bleuâtre et le bord des paupières teint en noir. Rien de plus piquant. Leur costume est charmant ».
Ces Femmes d’Alger dans leur appartement sont donc ces Femmes juives d’Alger dans leur appartement.
Je n’ai pas encore envisagé un artiste de notre temps, j’inclinerais par exemple pour une gravure de Pierre-Yves Trémois, chez lui tout est raffinement et distinction, un syncrétisme, un trait épuré et précis qui cisèle. On songe aux dessins à la pointe d’argent de Botticelli et surtout à Dürer qu’il portraitura d’ailleurs.
J’ai découvert la beauté des gravures et des dessins de Pierre-Yves Trémois il y a bien longtemps au début des années 60, une de mes premières grandes émotions picturales. Un grand éditeur français, Joseph Foret, avait sollicité différents artistes pour illustrer le livre de l’Apocalypse selon St Jean qu’il avait décidé de réaliser. Un livre de grande dimension au demeurant qui fut présenté dans de nombreuses villes de France. Parmi le cénacle d’artistes qui avaient collaboré à ce projet on y trouvait Fujita, Mathieu, Trémois bien sûr, Bernard Buffet, Salvador Dali, Ossip Zadkine, Léonor Fini. Quel Parnasse n’est-ce-pas, et qui ne dira jamais assez l’importance tant intellectuelle qu’artistique du rôle de l’éditeur !
J’oserais dans mes choix Georges Mathieu, cet ardent créateur de l’abstraction lyrique et dont le pinceau au bout d’un long manche laissait sur la toile comme des éclairs de peintures telle une calligraphie chinoise ou mieux japonaise, quasi un idéogramme.
Georges Mathieu avait un style très calligraphique et sa manière de peindre tout comme son style faisaient l’objet de mises en scènes très médiatisées un peu à la manière de Salvador Dali, son contemporain, ainé et quelque peu rival. Il fut un des premiers artistes à peindre des tableaux de grande dimension. Il connut une période de disgrâce en France où d’aucuns lui reprochaient ses prises de position monarchiques. Sa dernière exposition eu lieu à Paris aux Tuileries à la Galerie du Jeu de Paume en 2002.
L’article est désormais arrivé à sa fin, j’ai volontairement mélangé artistes et périodes, tordu le temps au temps et ce n’est pas une paresse d’écriture. Il sera suivi par d’autres, toujours en fantaisie et liberté.
N’hésitez pas à me contacter pour me proposer vos préférences : redaction@wukali.com
Nota. À propos vous l’avez vu, cette peinture enfin choisie en illustration de l’article, La Vierge aux rochers du Louvre de Léonard de Vinci (il en existe une autre toujours peinte par Léonard au British Museum), n’est-ce point sublime ?
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