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Vassili Grossman au coeur du roman de Jean Winiger

par Émile Cougut

Il est certain que Vassili Grossman est un très grand écrivain russe du XX siècle, connu essentiellement pour son célèbre diptyque : Pour une juste cause, qui décrit de façon réaliste la bataille de Stalingrad et surtout, Vie et destin qui lui valut bien des déboires de la part des autorités soviétiques. Une pensée riche, basée sur la bonté humaine, et sur l’humanisme pan slave de Tchekhov.  Il est certain que même aujourd’hui, sa pensée à quelque chose de sulfureux, voire de déplaisant pour le pouvoir en place en Russie. Il est trop individualiste, trop libéral pour un système politique où la Nation et le culte de la personnalité du chef sont au centre de l’idéologie politique.

Pierre est un acteur-metteur en scène de la région grenobloise qui vient à Saint-Pétersbourg pour jouer le monologue qu’il a écrit à partir de la vie et de l’œuvre de Grossman sous le patronage de l’Alliance française. La responsable de sa venue est Assia, petite fille d’un des principaux généraux de la victoire de Stalingrad et qui croit encore dans le communisme. Malgré de bonnes critiques le spectacle est vite supprimé car ne plaisant pas aux autorités. Assia essaie alors de trouver de nouvelles salles à Saint-Pétersbourg et à Moscou pour que la pensée de Grossman trouve un public plus nombreux.

Bien sûr, Pierre le désabusé affectif et Assia la passionnée sont attirés l’un vers l’autre, mais de façon plus intellectuelle que physique.

Voilà le fond de l’histoire. C’est essentiellement un prétexte pour l’auteur, Jean Winiger, de développer la pensée de Grossman. Pierre pense rarement en homme libre, mais face à une situation, il récite un passage de son auteur fétiche, c’est Grossman qui parle, pas lui, il n’est qu’un porte-parole sans grande profondeur intellectuelle et morale. Il se réfugie dans un auteur, peut-être parce qu’il refuse (par peur ?, par Incapacité?) d’avoir une pensée propre et originale face aux situations qui se présentent à lui. Il n’y a pas Grossman mais aussi Tchekhov, Boulgakov et quelques autres grands écrivains russes.

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Pierre et Assia (pour elle c’est assez paradoxal, voire incompréhensible) sont de fervents partisans de l’opposant Navalny, quasi symbole de la parole bâillonnée par le pouvoir. Soit Navalny est un vrai opposant au pouvoir de Poutine. C’est certain. Mais en faire un héros de la liberté, c’est un peu outré, (il ne faut pas oublier qu’il a développé dans le passé des thèmes d’extrême extrême-droite, et fait montre d’un racisme et d’un antisémitisme totalement assumés). Je ne suis pas certain qu’il puisse passer pour un modèle de démocrate dont la Russie a besoin pour sortir de l’impasse démocratique dans laquelle elle est plongée.

Au-delà de ça, les descriptions dignes d’un très bon guide touristique des villes traversées et de la nature russe sont particulièrement réussies. J’avoue avoir eu parfois du mal à suivre le fils du récit dans lequel on passe du présent au passé, de la première personne du singulier à la troisième quasiment dans le même paragraphe. Mais il y a Grossman et sa pensée, et il est certain qu’Un amour aveugle et muet nous incite fortement à nous replonger dans son œuvre.

Un amour aveugle et muet
Jean Winiger
éditions L’Harmatttan.
Collection Rue des Écoles. 23€

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