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Le Rijksmuseum d’Amsterdam s’expose à l’aéroport de Schiphol

par Pierre-Alain Lévy

Les musées du monde entier ne sont pas en manque d’idées pour communiquer et conquérir de nouveaux publics. Le musée hors du musée, le musée un lieu de vie familier et accueillant pour tous, c’est un peu ce que chaque conservateur cherche à faire pour donner à découvrir tous les patrimoines artistiques qu’il a pour mission avec leur protection, et de célébrer et de faire partager, et bien sûr aimer !

Ainsi et tous récemment dans les colonnes du WUKALI, nous avons pu découvrir en nous en amusant les visites faites au musée d’archéologie de Barcelone pour des publics dédiés, à savoir en l’occurence le club de naturistes de Catalogne. Décloisonner, tel est le mot, un peu de légèreté dans ce monde de brutes !

A cet égard force est de constater que nous vivons à n’en pas douter une époque paradoxale, en effet nous observons tous une accélération sans précédent du savoir et son corollaire, la vitesse de la communication sous-jacente qui se joue des frontières et plus encore des hiérarchies sociales, et en même temps, une destructuration sociologique et éthique inquiétante. En bref, une définition ontologique de notre société.

Alors, et les musées dans tout cela ?

Les musées s’affichent, et dans tous les sens du terme, les musées sortent de leurs coquilles. Quel plaisir par exemple de circuler dans les couloirs du métro de Paris et de voir toutes ces affiches invitant les voyageurs à visiter une exposition ou à assister à un spectacle. Le sous-sol métropolitain de la capitale française, lui, grouille d’invitations à la vie et à la beauté.

Olécio partenaire de Wukali

La culture, ce que nous appelons comme telle dans notre beau pays, la soif d’apprendre, de découvrir, de hisser notre sensibilité toujours plus vers le haut, d’aiguiser tout simplement notre curiosité et notre libre arbitre. Ce qui nous semble normal, voire même peut apparaître comme indifférent au regard de certains, est bien au contraire l’exception. Quiconque a eu la chance de voyager sur notre planète sait qu’il n’en est pas toujours ainsi. Certaines grandes capitales ou villes du monde et pas des moindres, et pour certaines largement plus grandes et plus peuplées que Paris, leurs habitants n’ont pas la chance, que dis-je, le privilège, de pouvoir à domicile admirer les chefs d’oeuvre de l’art. Ce qui explique entre autres raisons la course en tête de Paris dans le tourisme international ainsi que bien sûr la renommée de la France dans la sphère culturelle. France mère des arts, des armes et des lois disait déjà le poète Joachim du Bellay**.

Le Rijksmuseum hors-les-murs

Si jadis tout honnête homme se devait de faire le voyage à Rome, les grandes capitales européennes constituaient aussi un objectif pour asseoir et approfondir sa maturité intellectuelle et sensible. Il en est de même aujourd’hui et Amsterdam, est l’une d’elle. L’admirateur révérencieux que je suis de Rembrandt ne saurait y redire.

Maraîcher à la porte d’une maison avec une femme assise et un enfant, David Teniers (II), vers 1650-1655.
Prêté par la ville d’Amsterdam (legs A. van der Hoop).

Nous aimons bien les Pays-Bas, pays de tolérance, qui eut à connaître au-travers de son histoire de cruels déchirements, un pays qui incarne aussi une certaine idée de l’Europe, cette Flandre du Nord qui nous est aussi bien connue grâce à ces peintres qui tout à la fois rendaient compte d’un certain climat, de ses ciels bas, de ses lumières crues et froides d’hiver, mais aussi et surtout de ce sens du rapport à l’autre, de cette qualité d’un vie linéaire urbaine ou villageoise au quotidien et de la maîtrise de la nature par l’homme. Une nature ainsi retenue calme et tranquille, comme à l’abri des mouvements du monde, ainsi de Ruysdael à Seghers ou Hobbema.

Cette Europe, et j’y reviens, loin des stéréotypes wokistes ineptes qui circulent dans nos médias, c’est aussi d’évidence un certain art de vivre, et d’exister. C’est un rapport avec le quotidien le plus simple, le plus basique, le plus naturel, tout simplement la nourriture et les aliments, et tel est le sujet de l’exposition que présente le Rijksmuseum. Un moment de vie apaisé, familier et serein.

Hors-les-murs donc, et à l’aéroport de Schiphol, le Rijskmuseum prend ses aises et entre deux avions permet aux voyageurs de s’évader un peu plus, histoire de prendre l’air probablement, histoire aussi de retrouver des racines dans un monde agité et excité. Une exposition qui a pour nom, XVII century dining culture, soit la convivialité de la table au XVIIème siècle

Carte d’Amsterdam par Frederik de Wit (1688). Collections de la bibliothèque royale nationale des Pays-Bas
©Bibliothèque royale, La Haye

C’est ainsi que huit peintures appartenant au Rijksmuseum peuvent être actuellement vues dans l’un des salons de l’aéroport*, leur thème commun, l’art de la table et de se nourrir au XVIème siècle par les peintres: Gabriël Metsu, Abraham Mignonet Cornelis Dusart.

Ces beaux légumes, ces choux grassouillets aux feuilles vertes et charnues que l’on peut admirer, ces fruits, ces raisins gonflés de jus comme ces citrons, parfaits exemples du dynamisme économique des Pays-Bas et d’échanges lointains générés par un commerce dynamique donnent déjà envie. Ici donc une nature abondante et riche offerte au plaisir de la vue et de la dégustation. Ce ne sont plus des natures mortes, des vies au repos comme l’on dit en anglais, c’est bien davantage, ce sont à la différence des peintures des maîtres des Flandres du sud, une structuration, ou plus exactement l’expression d’un élan vital de la société hollandaise du temps, et de la symbiose des êtres et des choses rassemblés dans une unité humaniste et généreuse.

Quels en sont les sujets, quels en sont les thèmes, allons-y voir !

Nature morte avec fruits. Pieter Gallis, 1673. Leg D. Franken, Le Vésinet

L’abondance

La croissance rapide du commerce au XVIIe siècle a entraîné des changements majeurs dans la culture gastronomique néerlandaise : les citoyens aisés ont commencé à utiliser des objets en porcelaine chinoise comme centres de table sur des tables richement décorées, et à compléter les produits locaux par des denrées alimentaires provenant du monde entier. Les natures mortes témoignent clairement de cette évolution. La nature morte de 1651 avec un verre à vin Roemer, verre à flûte, cruche en terre cuite et pipes de Jan Jansz van de Velde III, par exemple, présente également du tabac et du sel apportés aux Pays-Bas par la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (WIC). La Nature morte aux fruits de Pieter Gallis (1673) présente quant à elle, une série de fruits provenant de Chine et de Perse.
Rappelons par exemple et par hommage que Rembrandt, pour ne pas le citer, lors de son mariage richement doté avec Saskia van Uylenburgh, en profita pour s’acheter de nombreux biens luxueux ( porcelaines, objets de table, fourrures, tapis) que l’on retrouve au demeurant représentés dans ses tableaux.

Nature morte avec un roemer soit un verre à vin ainsi qu’une flûte à vin aussi, une cruche en terre cuite et des pipes, Jan Jansz. van de Velde (III), 1651.

Ne nous y trompons point, ces exquises peintures, ces représentations raffinées d’une société industrieuse et active, possèdent intrinsèquement les codes symboliques des maîtres plus anciens. Par delà la vision adamique des produits de la terre et de ces aliments, fruits et légumes, offerts au regard et à la contemplation, perce aussi le message de la fragilité des choses et de la limitation du temps. Cette nature morte de Jan Jansz van de Velde (III) présente dans l’exposition de l’aéroport de Schiphol, possède tous les codes, et les pipes en terre que l’on aperçoit au premier plan à droite en position instable (les church warden en anglais, référence au fumeur de tabacs aromatisés hollandais que je fus), sont bien plus qu’un élément anonyme de décor, elles représentent la fragilité de la vie.

Du pain, du fromage et du jambon

À cette époque, les familles ordinaires devaient se contenter pour vivre d’un menu peu varié, ainsi le petit-déjeuner se composait principalement de pain, de fromage et de jambon, comme on peut le voir dans Homme et femme au repos, de Gabriël Metsu (1650-1660). Dans ce même tableau, on voit la femme remplir un verre à flûte de bière. Et oui, à cette époque, on ne buvait que rarement de l’eau plate, mais l’on consommait de la bière tout au long de la journée.

Les artichauts

ll est frappant de constater la présence d’artichauts à côté des carottes et des choux représentés dans Le laboureur à la porte d’une maison avec une femme assise et un enfant de David Teniers II (vers 1650-1655). À cette époque en effet, les artichauts constituent une nouveauté aux Pays-Bas. Ils poussaient à l’origine dans la région méditerranéenne et ont été introduits dans le nord de l’Europe seulement au XVIème siècle.

Marché aux poissons. Cornelis Dusart. 1683

Les étalages de poissons

Le tableau Marché aux poissons de Cornelis Dusart, peint en 1683, montre un étal de poissons fraîchement pêchés derrière lequel une femme s’active pour la vente. À cette époque, il était assez courant pour les femmes de la classe moyenne de vendre de la nourriture et d’autres articles pour gagner leur vie. Les femmes étaient même majoritaires dans le cas du commerce du poisson, où elles exerçaient une variété de professions. Au demeurant, quelle belle matière technique et picturale pour rendre compte de la fraîcheur des marées.

Exposition du Rijksmuseum à l’aéroport de Schiphol
XVII century Dining culture, de novembre 2023 à novembre 2024
*L’exposition se situe entre Lounge 2 et 3, après avoir passé la sécurité de l’aéroport
** Joachim du Bellay, poète français (1522-1560)

Illustration de l’entête: Homme et femme. Gabriel Metsu. 1650-1660

Cet article est accessible en traduction anglaise: Cliquer

 

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