Accueil Livres, Arts, ScènesLivres La ville de Metz au coeur du roman de Gérard Stell

La ville de Metz au coeur du roman de Gérard Stell

par Émile Cougut

Ce roman se situe en France, et plus exactement dans la belle ville de Metz au début des années 50. Les vestiges de la guerre sont encore très présents : maisons vides, bombardées, restrictions diverses et non moins variées. On se plaint de la vie chère, très chère, on rêve de pouvoir prendre des vacances ailleurs… Le rêve, ce n’est pas les Seychelles ou Ibiza, non, plutôt Biarritz, destination réservée aux très très riches. On est encore loin, très loin de la société de consommation, il y a moins d’un siècle, l’immense majorité de la population était plus en mode survie qu’en mode loisir. En bruit de fond, on parle de cette révolte en Indochine qui risque de mobiliser de jeunes combattants.

Nous sommes à Metz, dans la grande ville lorraine avec ses codes, sa culture teintée d’un certain mépris pour la campagne, symbole du passé et d’un certain passéisme. Soit, la grande majorité des habitants de la ville est issue de la campagne, mais inconsciemment veut oublier cette période de leur histoire. Pour autant, on reconnaît une qualité à la vie à la campagne : la nourriture. On sait qu’à la campagne il y a des potagers, des élevages de poules et de lapins, etc, ces denrées qui coûtent si cher. D’où un certain envie, mais aussi de la rancœur quand la famille à la campagne ne donne pas à celle de la ville des denrées fraîches. Sentiment de supériorité quelque peu condescendant de ceux qui pensent que tout leur est dû.

C’est àMetz, dans le quartier du Sablon, que vit Luc : 10 ans. Il habite dans un immeuble avec sa petite sœur Marion, sa mère et son beau-père. Il a un vague souvenir de son père qui vit dans le sud de la France avec ses deux frères aînés. Il n’a aucun contact avec eux. Luc est chef de bande, petite bande avec Jeanjean et son frère Pinpin et le petit Yvan qui lui est riche. Les garçons sont comme tous les jeunes de leur âge : ils s’amusent, parfois dangereusement, se créent un univers plein de cow-boys, de gangsters, d’espions dont ils sont les héros.

Pendant les grandes vacances, Luc part chez ses grands-parents maternels à la campagne, à quelques kilomètres de Metz : le grand-père ne parle qu’allemand, la grand-mère sert de traductrice, comme sa cousine Lucie qui a le même âge que lui. Moments de liberté que ces vacances où il commence à percevoir les tensions familiales : sa mère et ses deux tantes sont interdites car elles « vivent à la colle » avec d’autres hommes que leurs maris légitimes. Même si elles ont divorcé, « cela ne se fait pas ».

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A Metz, Luc, s’il est le chef dans la bande, est « l’homme à tout faire de la famille », c’est lui qui fait le petit déjeuner, les courses, va payer les factures, le loyer, fait le ménage, la vaisselle, etc. Sa mère est dépressive, toujours insatisfaite, frustrée, envieuse des autres. Son homme ne travaille pas assez, selon elle, pour qu’elle puisse se payer ce qu’elle a envie, ses enfants l’obligent à se sacrifier pour eux. Et elle s’exprime essentiellement par la violence qu’elle leur inflige : martinet, claques pour un oui ou pour un non, etc. C’est une perverse narcissique violente. Comment ne pas penser à Falcoche de  «Vipère au point » d’Hervé Bazin, c’est son double, dans un milieu social différent, mais tout aussi nocif.

Tous les passéistes qui pensent que c’était mieux avant devraient lire La saga de Luc. Soit, il y a le « vert paradis des amours enfantines»  (en plus Luc commence à se poser des questions sur la sexualité), mais c’est aussi une réalité quotidienne dure pour tous. En une génération, notre société a évolué, heureusement. Aujourd’hui, on se plaint en oubliant d’où nous venons. Après La saga de Luc, si ce n’est pas fait lisez aussi « C’était mieux avant », le dernier livre du (très) regretté Michel Serres, et vous apprécierez alors l’époque à laquelle nous vivons.

La saga de Luc 1
Elle fumait des Baltos

Gérard Stell
éditions Les 3 colonnes. 25€

Illustration de l’entête: cathédrale St Étienne à Metz. ©WUKALI novembre 2023

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