Accueil Livres, Arts, ScènesHistoire Direction l’Afrique, le Cabinda, dans les pas d’une famille de métis néerlandais 

Direction l’Afrique, le Cabinda, dans les pas d’une famille de métis néerlandais 

par Christophe Baillat

Une bonne façon de nous ouvrir les yeux sur un conflit oublié.

Pacifiquement, en écrivant/publiant des livres depuis 2004, Virginie Mouanda témoigne sur la situation d’un petit territoire (quelques centaines de milliers d’habitants), le Cabinda et sa cause indépendantiste, ce que le titre ne laisse pas présager. Selon l’auteure qui s’est exprimée en 2010, « 10 % du pétrole en France » vient de ce pays. (Le drame du Cabinda est sa manne pétrolière[1]). Virginie est congolaise par son père et cabindaise par sa mère qui l’emmenait dans la forêt où le Front de Libération de l’Enclave de Cabinda [contre l’Angola] s’était réfugié pour lui venir en aide… Un journaliste de RFI[2] releva cette drôle d’enfance. Réponse de Virginie : — C’était notre vie à nous. 

Aujourd’hui, avec sa propre maison d’édition Wa’wa située dans les Yvelines, elle n’a pas pour autant oublié sa précédente vie, la preuve avec ce livre : Gieskes, une famille de métis néerlandais. Quelques repères paraissent indispensables à qui n’est ni Cabindais, ni Angolais, ni Congolais.

Des richesses naturelles convoitées

A la fin du XIXe siècle, les puissances européennes se partagent le Congo pour accéder aux ressources naturelles (Le Congo, c’est comme une belle femme, tout le monde la convoite[3].) Le chanteur Tiken Jah Fakoly et sa chanson « Ils ont partagé le monde, plus rien ne m’étonne » est encore plus explicite :

[extrait]
Si tu me laisses l’uranium
Moi je te laisse l’aluminium
Si tu me laisses tes gisements,
Moi je t’aide à chasser les Talibans
Si tu me donnes beaucoup de blé,
Moi je fais la guerre à tes côtés
Si tu me laisses extraire ton or,
Moi je t’aide à mettre le Général dehors


Ils ont partagé le monde, plus rien ne m’étonne
Ils ont partagé Africa sans nous consulter,
Ils s’étonnent que nous soyons désunis
 !
[…]

Olécio partenaire de Wukali

C’est anecdotique, les drapeaux de la République du Congo et de la République Démocratique du Congo ont une couleur en commun, le jaune, qui symbolise les richesses naturelles.

Les puissances européennes n’ont pas toutes agi de la même façon, c’est au cœur du roman de Virginie Mouanda. La présence néerlandaise — via la Compagnie des Indes hollandaises — a été singulièrement différente de celle des Belges, des Français ou des Portugais. Le livre a la dent dure contre ces derniers qualifiés de « brutes » et de « prédateurs ». Il est plus tendre avec les Hollandais. C’est d’ailleurs l’itinéraire d’un jeune Hollandais, Jan Hendrik Gieskes, que l’auteure a choisi de suivre après qu’elle a rencontré la famille : âgée de cent ans, Vovo Kanzi avait une longue histoire à raconter à Virginie Mouanda, Vovo était la veuve de Jan. Jan Hendrick Gieskes. 

Fin d’année scolaire 1920, tout juste diplômé en comptabilité aux Pays-Bas, celui-ci rejoint la flotte néerlandaise. Trois mois plus tard, il aborde les côtes africaines, découvre partout les comptoirs de la Cie des Indes, du Golfe de Guinée au Congo. Que s’est-il passé dans sa tête ? « Il voulait quitter cette Europe de misère » au sortir de la Première Guerre mondiale. Jan Hendrik arrive dans l’ancien Congo belge puis au Cabinda.

José Corneil Gieskes au centre

La famille Gieskes : Jan Hendrik seul puis avec ses fils, fait le commerce  du café, de l’huile, issus de leurs plantations. La mésentente avec les colons (« Il était comme un cheveu sur la soupe pour le système colonial portugais ») oblige le père à s’installer un peu plus loin (dans la forêt du Mayombe) plutôt que de « se soumettre au colonialisme portugais ». Les années passent durant lesquelles la famille fait travailler « des paysans, des gens des villages alentours ». Les choses changent avec l’accès de l’ancien Congo belge (actuelle RDC) à l’indépendance en 1960 « dans la confusion et la violence »[4]. Qui dit « guerre aux étrangers », dit pillage du patrimoine de la famille Gieskes. Le régime de Mobutu, l’homme fort du nouveau régime, applique la « zaïrianisation » de l’économie, il retient en effet le nom que les indigènes donnaient au fleuve Nzaï[5]. « un dictateur qui avait décidé de bouter hors de son territoire tous les Occidentaux […] » au profit de l’africanité. Après la révolution des Œillets en 1974 au Portugal, le gouvernement est anti-colonialiste. « Le Portugal transmet alors son protectorat sur le Cabinda à l’Angola »[6]

La grande Histoire avec ses soubresauts – colonisation / indépendance – n’est pas simple. A son image, le livre n’est pas toujours facile à suivre, ni exempt de coquilles, mais il est attachant, ambitieux, généreux, l’œuvre d’une seule et même personne. Pour bien comprendre, on peut recouper les chapitres, ce qui ne dispense pas de rouvrir son livre d’histoire ou de géographie. Au moins peut-on le faire en suivant le fil d’une l’histoire familiale, ce qui donne du sel à la recherche. La page Facebook de l’auteure, le 22/12/2023, montre son intimité avec cette grande famille dont elle raconte l’histoire.

Bonjour à tous, 
Je rends hommage aujourd’hui au dernier patriarche de la famille Gieskes, papa Joseph Gieskes. C’était un homme jovial, drôle et plein d’humour. Toujours élégant avec son chapeau de cowboy, tonton José avait toujours un mot, une phrase pour égayer et faire rire ses convives. Il m’avait reçue dans sa maison de Den Haag [Pays-Bas], et avait ouvert la page pour l’écriture du livre sur la vie de ses parents, Vovo Kanzi et Jan Hendrik Gieskes. C’est dans sa maison que commencent les enregistrements et les premières prises de notes. […] Virginie Mouanda

Ses racines (cabindaise et congolaise) et sa double culture (africaine et européenne) lui ont permis d’être un chaînon dans la transmission, tout à la fois épopée familiale et histoire contemporaine.

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[1] https://www.geopolitique.net/lafrique-quatoriale-centre-malade-du-continent-2-2/
[2] Emission En sol majeur, 29/12/2009
[3] Expression de In Koli Jean Bofane, auteur chez Actes Sud à qui la 4e de couverture fait référence
[4] Senat.fr
[5] https://www.geo.fr/geopolitique/congo-et-republique-democratique-du-congo-ce-quil-faut-savoir-pour-ne-plus-les-confondre-211222
6] Institut Français de Géopolitique. geopolitique.net

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