Les turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.

Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil,

Chio, qu’ombrageaient les charmilles,

Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,

Olécio partenaire de Wukali

Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois

Un chœur dansant de jeunes filles.


Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,

Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,

Courbait sa tête humiliée ;

Il avait pour asile, il avait pour appui

Une blanche aubépine, une fleur, comme lui

Dans le grand ravage oubliée.


Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !

Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus

Comme le ciel et comme l’onde,

Pour que dans leur azur, de larmes orageux,

Passe le vif éclair de la joie et des jeux,

Pour relever ta tête blonde,


Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner

Pour rattacher gaîment et gaîment ramener

En boucles sur ta blanche épaule

Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,

Et qui pleurent épars autour de ton beau front,

Comme les feuilles sur le saule ?


Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?

Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,

Qui d’Iran borde le puits sombre ?

Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,

Qu’un cheval au galop met, toujours en courant,

Cent ans à sortir de son ombre ?


Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,

Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,

Plus éclatant que les cymbales ?

Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ?

– Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,

Je veux de la poudre et des balles.


8-10 juillet 1828

Victor Hugo, Les Orientales


Illustration. Eugène Delacroix, Les Massacres de Scio, 1824, 417 x 354 cm, huile sur toile, musée du Louvre, Paris

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