A cartoonist and illustrator author of so many fantastic characters and comic strips in all minds


Il est des artistes que l’on a peur de commenter tellement l’angoisse étreint l’analyste artistique. Et quand il s’agit du plus génial dessinateur de BD, toutes catégories confondues, la panique menace :[** Franquin*] a suscité tant d’exégèses…

Que dire, sans rabâcher les mêmes superlatifs ? Comment apporter un regard, un peu, neuf ? C’est une gageure, la terreur du gardien de but au moment du penalty tiré par Pelé, le plus talentueux footballeur à ce jour…

Nous n’écrirons pas un article biographique ou historique. Nous nous contenterons de quelques réflexions surannées, de quelques commentaires mélancoliques sur un temps révolu. Nostalgie quand tu nous tiens…

Olécio partenaire de Wukali

[**Franquin*] (1924-1997) était le fils d’un trop sérieux père employé de banque. Il aura une jeunesse sans fantaisie dont les répercussions seront permanentes dans son œuvre. Suivant sa vocation artistique, il entre à Saint-Luc, école d’art religieuse, en 1942. Ce qui lui permettra d’échapper au S.T.O. Dès 1945, il est engagé par les éditions Dupuis. Contrairement aux apparences, rien ne coule de source : ce sont diverses rencontres professionnelles qui lui permettront de découvrir et d’approfondir sa voie personnelle. Au final, il remplacera, au pied levé, [**Jijé*] comme dessinateur de Spirou !

Au plus profond de nos souvenirs d’enfance des images s’imposent, telle celle d’un album carré, légendaire, qui ne fut réédité que 25 ans plus tard : [**« Spirou et Fantasio »*], par Franquin, en 1948. Le trio est déjà présent : Spirou qui porte son éternel costume de groom, Fantasio l’hurluberlu fantaisiste et Spip, le merveilleux petit écureuil raisonneur. Ce dernier, dont le charme, la personnalité et le caractère ont été, assez systématiquement, négligés par les exégètes du neuvième art, n’est pas encore doté de ce sens de l’humour, ni de ce sens critique, qui scintilleront dans « QRN sur Bretzelburg  ».*

Dans « Spirou et Fantasio », on trouve une perle, par laquelle l’auteur révèle son talent et ses dons au lecteur :« Spirou et l’héritage ». Avec cette histoire [**Franquin*] devient, officiellement, le dessinateur attitré de Spirou, qu’il reprenait à la suite de [**Rob-Vel*], son créateur, et de [**Jijé*], son continuateur. L’influence des dessins animés américains saute aux yeux mais l’artiste n’en est pas l’esclave : il s’en sert pour mettre en avant son monde intérieur. Cela se remarque vite : la case 4 de la planche 5 en est l’illustration, montrant une maison isolée, à moitié délabrée, en haut d’un chemin perdu dans la lande campagnarde. Le ressenti du lecteur, c’est que cette baraque bien nommée « les hiboux », qui tient debout on ne sait comment, est hantée. Le puits, l’allée sinueuse qui conduit à la bicoque séparée de l’herbe par des fils de fer barbelés, la présence de chauve-souris vampires sous une clarté lunaire déroutante, l’hostilité générale des éléments, tout respire le rejet de l’extérieur…Ces associations visuelles deviennent des explications de situations, sans faire appel aux mots. On ne peut pas vraiment parler de caricatures car chaque case sent trop le dessin animé, mais la proximité est certaine. |center>

L’artiste s’est particulièrement livré à l’analyse dans cet épisode : si l’on y réfléchit bien, Franquin est le seul dessinateur de l’époque ( nous sommes en 1947) capable d’une pareille démonstration !

Insistons sur cette aventure africaine avec l’extraordinaire création d’Apollon le superbe gorille maître d’hôtel, valet de chambre et pianiste, si stylé lorsqu’il sert à table, mais qui demandera, discrètement, son pourboire à Fantasio… Et,quand son patron sera parti avec nos deux héros, nous le verrons siroter un whisky installé dans un transat, les deux pieds sur la table, écoutant la radio et fumant un cigare ! Décidément, quand le chat n’est pas là les souris dansent… Sa présence physique est d’une puissance incroyable, mais c’est surtout un trait d’humour et un clin d’œil au lecteur, complice indispensable du dessinateur. Anatomiquement, Apollon est issu des dessins animés américains([**Tex Avery*] et [**Walt Disney*]) et n’a rien d’un réalisme exacerbé, comme le seront ses frères dans : « le gorille a bonne mine » dix ans plus tard, mais quelle vie dans le coup de patte du dessinateur !|center>

Déjà en cette époque lointaine, les qualités de Franquin explosent dans ses dessins. Il s’intéresse d’abord à rendre le mouvement et, seulement après, à affiner la forme qu’il leurs donne. Que l’on se rende compte : ses planches originales portent alors 4 bandes de 3 cases. C’est hallucinant si l’on considère la dernière planche de Spirou que Franquin dessina jamais (l’ultime planche de « Panade à Champignac ») : 4 bandes, 7 cases au total…

Rappelons-nous que ces jeunes gens, qui dessinaient des BD, apprenaient leur métier en le faisant. On imagine le gouffre qui les sépare de notre temps. Souvenons-nous que [**Jijé*], [**Franquin*] et [**Morris*] partirent aux États-Unis, puis au Mexique, tout en continuant à envoyer leurs planches originales chez[** Dupuis*] en Belgique…On reste ébahi, muet, devant tant de jeunesse, y compris de la part de l’éditeur.

Dans ces conditions il n’est pas étonnant que Franquin ait, facilement, réussi à reprendre la série Spirou, qui lui était étrangère et qu’il rejettera 20 ans plus tard.
Avec « Radar le robot » le jeune créateur démontre ses capacités de dessinateur de BD, car il réussit l’impensable : il affine tant les formes de ses personnages qu’elles finissent par sortir du cadre de la planche en une sorte de troisième dimension héroïque et triomphante ! Du jamais vu : c’est d’une nature totalement différente des reliefs de dessins animés. Dans cette histoire de savant fou, une image étonne l’amateur : celle où le scientifique aliéné s’écrie « la fin du monde sera mon œuvre» : regard délirant, bouche ouverte sur de petites dents de carnassier, langue râpeuse rouge, postillons et sourcils broussailleux…Toute la panoplie classique y passe. Mais, ce qui surprend le plus c’est la ressemblance, troublante, de ce génie du mal avec…[**René Goscinny*], futur père d’Astérix avec [**Uderzo*], et futur rédacteur en chef du défunt hebdomadaire « Pilote ». Pourtant, les deux hommes ne se sont rencontrés que plus tard, probablement vers la fin de 1951 ou en 1952. Les voies du dessin sont impénétrables.
Le robot, personnage central de cette aventure, est une trouvaille unique, une création parfaite. L’artiste parviendra même à lui conférer des sentiments humains : on le voit pleurer la perte de son créateur. Cela aussi, seul Franquin pouvait le réussir.
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Chacun sait le bouleversement provoqué par « Il y a un sorcier à Champignac  », qui élargissait l’univers de la série avec les apparitions du Comte et de ses champignons, du château, du village, de l’inénarrable maire Gustave Labarbe au verbe pour le moins fougueux, du fonctionnaire communal discret et naïf Duplumier, de la joliesse campagnarde. Certains éléments issus du cinéma ( zooms, plongées, gros plans) sont systématiquement utilisés par le dessinateur qui crée son œuvre en 4 bandes de 2 cases chacune. Cet album marque un moment particulier de la série, en offrant une sorte de lieu de repos potentiel, de havre de paix à nos héros.

Mais moment plus fort encore avec « Spirou et les héritiers  » qui voit apparaître un animal mythique : le Marsupilami. On ne peut que faire l’éloge de cet animal fantastique : tour à tour rieur, caractériel, impétueux, colérique, bagarreur, protecteur des faibles ( les oiseaux, notamment les rouges-gorges). Chaque épisode où il se manifeste marque la découverte d’un de ses incroyables talents : il lui arrive d’imiter la voix humaine tel un perroquet, il est fourmilier, capable de creuser, amphibie, résistant à la terrible « zorglonde  », etc…|right>

Qui ne connaît l’histoire ? Rappelons qu’en prenant un tramway bondé, Franquin et ses copains imaginèrent que le receveur avait une longue queue préhensile qui lui servait à aller plus vite pour distribuer et se faire payer les tickets… Les marsupiaux et les amis furent donc à la fête ce jour-là !

Suite à un désaccord avec [**Mr Dupuis*], le patron des éditions du même nom, Franquin inventera « Modeste et Pompon  » pour les éditions du Lombard. L’auteur a toujours affirmé que cela lui avait fait un bien énorme en l’obligeant à simplifier son dessin. L’inénarrable Félix, gaffeur invétéré, y préfigure un certain personnage qui traînait dans les couloirs de la rédaction de Spirou en 1957…Un héros sans emploi promis à un avenir miraculeux… M’enfin ! Gaston, quand tu nous tiens

Très vite, Franquin revient dans le giron de Dupuis. S’ouvre alors une période d’équilibre, presque sereine pour l’auteur. Il dessine en 1954 l’épisode qu’il préférait : « Le repaire de la murène ». Cette histoire se divise en deux parties égales : à Champignac puis dans le midi de la France, au bord de la Méditerranée. Les inventions du Comte sont magistrales : scaphandre autonome, appareils respiratoires, engin sous-marin permettant de descendre à 200 mètres de profondeur…|center>

On pourrait croire que Franquin avait vu « Le monde du silence », du commandant [**Cousteau*], mais le film n’est sorti qu’en 1956 ! Peut-être avait-il lu le livre de Cousteau, publié en 1953, mais c’est son imagination, fertile et prémonitoire en l’occurrence, qui fit toute la différence.

Les fonds marins sont magnifiquement rendus par le travail à l’encre de Chine de l’artiste, avec leurs myriades de poissons, avec la peur qui s’insinue au fur et à mesure de la descente. Les couleurs sont magnifiques, en phase avec le décor créé. Ces fonds marins deviennent des poésies peintes, tellement le lecteur ressent la sympathie qu’inspire à l’auteur ce midi tant aimé. Ravi, le lecteur découvre le monde idyllique décrit par l’artiste. Que l’on en juge par le dernier dessin, celui qui clôt l’épisode : la voiture, la légendaire turbotraction conduite par nos héros, vue de dos, s’éloigne vers des vacances bien méritées dans ce midi sublime. Sur sa droite, deux bicoques portant des publicités pour des restaurants. De l’autre côté, une Vespa avec un couple est vue de face, les deux tourtereaux sourient, la femme est une piquante fille du sud, aux cheveux noirs, aux yeux noirs, au teint hâlé, à la robe rouge. Deux travailleurs discutent sur le parapet séparant la route du bord de mer, un troisième a déballé sa musette et déjeune de l’autre côté : c’est l’heure du repas. Une 2 CV Citroën apparaît au sortir du virage. Au loin, le village aux maisons serrées en bord de mer. Des campeurs ont installé leur tente sur les rochers, sous les pins qui bordent la plage où ils s’apprêtent à aller faire trempette…Un monde vit dans cet espace restreint… C’est magique le miracle du bonheur…|center>

Il est instructif de noter que l’attirance de Franquin pour la Méditerranée, ce monde idéal qu’il dessine, était partagée par nombre de dessinateurs. [**Jijé*], [**Will*] ou [**Macherot*] furent de ceux-là. La nostalgie induite n’en est que plus forte pour notre temps.

Malheureusement, rien ne dure jamais dans ce bas monde. L’épisode le plus aimé par le patron fut «Le nid des Marsupilamis » qui est une belle histoire, prétexte à montrer des images magnifiques bien mises en scène par l’auteur, au rythme doux et subtil, une authentique perfection visuelle et une subtilité de dialogues réduits. Par la suite, Mr Dupuis n’arrêtera pas de demander au dessinateur « quelque chose dans le genre  ».
Déjà Franquin a commencé Gaston. Déjà Spirou, qu’il n’a pas créé, le gêne. Il va le détester. Les idées, les envies, les visions qu’il ressent, tout l’entraîne ailleurs. Ce que l’on appelle « l’époque des super-productions » va le démolir. Le jour où Mr Dupuis refuse une troisième aventure avec l’égocentrique Zorglub, Franquin va estimer que ça suffit, qu’il ne veut plus dessiner Spirou et que la coupe est pleine. Ce qui se traduira par une épouvantable jaunisse suivie d’une franche dépression nerveuse.

Mais, avant que cela n’arrive, intéressons-nous à : « Le voyageur du mésozoïque ». Le comte de Champignac a découvert un œuf de dinosaure dans les glaces de l’Antarctique. Une suite invraisemblable d’événements va provoquer des catastrophes sans limites dans le cadre de Champignac, où un dinosaure adulte, végétarien(??), issu de l’œuf, fera beaucoup de dégâts. Tout finira bien mais les militaires en prennent pour leurs grades, et la lâcheté humaine se déchaîne au rythme des mauvais instincts inspirés par une peur panique. Il est assez surprenant que le public n’est pas su lire le niveau 2 de compréhension de cette histoire…Peut-être cela valait-il mieux…|center>

Nous ne regarderons que les images où le Marsupilami joue avec cet œuf géant. La bouille ronde du petit animal est d’un réjouissant inouï, avec sa large figure illuminée d’un sourire magistral occupant toute sa face, avec son gros nez au vent et son regard malicieux, tout cela rendu en quelques coups de crayon. Ce qui ne peut étonner : Franquin connaissait les estampes japonaises et appréciait particulièrement[** Hiroshigé*]. Tel un équilibriste de cirque nous voyons le Marsupilami lancer l’œuf en l’air, le faire tourner sur sa tête, jouer les antipodistes et le rattraper avec sa queue démesurée. Tout cela devant un public composé du comte, de ses amis savants et de Spirou. Le malheureux Champignac semble au bord de la crise cardiaque… C’est d’une drôlerie, d’une efficacité, d’une franchise de dessin qui n’ont aucun équivalent. Le lecteur est fasciné, riant de cette situation abracadabrantesque.

Autre image que nous proposons à l’amateur, elle est prise dans « Le prisonnier du bouddha », tout au début(planche quatre, troisième bande) : le quatuor composé de Spirou, Fantasio, Spip et le Marsupilami, s’est introduit par une porte dérobée dans le parc du château de Champignac. Le monde où ils atterrissent n’a rien de conventionnel : les fleurs y sont gigantesques, les champignons monstrueux, alors que les murs sont traditionnels, ainsi que les arbres. Spirou est atteint de vertige visuel, tandis que Fantasio s’écrie, complètement affolé : «  nous sommes ici dans un monde anormal  » , que Spip est sidéré et que le Marsupilami se méfie. Cette image est d’une beauté magique, extraordinaire de qualité graphique et d’équilibre psychologique par les réactions de nos héros et par l’impact visuel sur le lecteur, ce qu’accentuent des couleurs expressives obtenues par un coloriste doué et une belle qualité d’impression. Littéralement, nous sommes transportés dans un autre univers. C’est quasi unique dans la bande dessinée. L’album fut un succès retentissant.|center>

Ces deux épisodes font partie des « super-productions ». Suite à sa maladie, Franquin interrompra un an et demi «  QRN sur Bretzelburg ». Pendant cette période, il développera Gaston. Il finira, très difficilement, « QRN » et annoncera quitter la série. L’agitation nerveuse de l’auteur se fait jour dans toutes les cases de « QRN  »: on a presque un ressenti de ne pouvoir fixer correctement son œil sur le dessin. Curieusement pour l’auteur, mais pas pour le lecteur, cet épisode sera considéré comme la plus grande réussite de Franquin.

Viendront enfin « Bravo les Brothers », histoire délirante qui réunit Gaston, Fantasio et Spirou, puis « Panade à Champignac », dernière aventure de Spirou dessinée par Franquin, où l’auteur détruit le mythe de l’infaillibilité scientifique du comte de Champignac et où l’altération du dessin est terrifiante. La série sera reprise par divers dessinateurs, sans que jamais aucun d’eux ne parvienne à accéder au niveau auquel l’avait élevée Franquin. De profundis…

Maintenant, le plus mauvais garçon de bureau du monde : le bien nommé [**Gaston Lagaffe*]. Son physique final n’a plus grand chose à voir avec ce qu’il était au début, quand il entra par hasard(?) chez Dupuis. La ronde des personnages, autour de lui, est sidérante: Fantasio puis Prunelle, Lebrac le dessinateur, l’agent de police Longtarin, Jules-de-chez-Smith-en-face, Bertrand Labévue le dépressif, Monsieur De Mesmaeker le roi des contrats, Mr Boulier le comptable mesquin et la plantureuse vamp : Mademoiselle Jeanne.

Qu’elle était laide, très laide au début de leur rencontre. Ses traits n’ont pas changé mais cette laideur est devenue une beauté agressive, transformée par « l’amour de Gaston ». Sa chevelure est opulente, alors qu’elle était rêche et triste. Son corps déformé s’est mu en celui d’une BB de BD, la lascivité qui s’en dégage est d’un torride de film érotique, alors que rien de sexuel, ni même de sensuel, n’est clairement affirmé en mots ou en dessin par l’auteur : méfiance car la censure est là. La chrysalide est devenue papillon. Cette transmutation est l’une des plus belles réussites du dessinateur.|center>

Quant aux inventions, quel panel : le célébrissime gaffophone, les fusées diverses et variées, la non moins connue recette de cuisine de la « morue aux fraises »avec mayonnaise chantilly, la voiture-tacot trafiquée de notre génie, les installations électriques inutiles chez Dupuis, etc.. etc..Et les animaux : le chat dingue, et la mouette « rieuse » quand ça l’arrange : Monsieur de Mesmaeker en fit l’expérience un jour…

En ce qui concerne le chat, il existait vraiment : c’était celui d'[**Isabelle*], la fille de Franquin. Après s’être mariée, elle quitta la Belgique pour le midi de la France en confiant son chat à ses parents. D’après Franquin, c’était « une incroyable crevure capable de tout  ». Apparemment lui aussi faisait des gaffes à gogo…

Dans cet univers de folie, Franquin pratique l’énormité de la blague avec une maestria insensée : tout gag atteint le paroxysme de la situation vécue, que ce soit avec le capitaine Beaucoudeau, chef des pompiers, débarquant à la rédaction pour une fuite géante genre rupture de canalisation, ou les voisins Ducran et Lapoigne furieux des travaux de chimie amusante de Gaston dont les conséquences sont des trous béants dans les murs mitoyens, où les exploits de l’agent Longtarin, tout dépasse l’entendement.

Le dessinateur pousse ses marionnettes aux limites de l’absurde, laissant le lecteur pantois plus que rigolard, mais autant halluciné et stupéfié de l’inventivité de l’auteur. On pourrait épuiser la longue liste des superlatifs avant d’avoir vu et lu le presque millier de gags de la série ! Car un parfait équilibre classique entre dessins et dialogues émerge des planches de Gaston.

Peu à peu, une certitude s’inscrit dans l’esprit du lecteur : Gaston Lagaffe est une « expansion » ou une « extension » de la personnalité de son auteur ! Et à la réflexion, comment pourrait-il en être autrement ? Vu la masse des inventions, des gags et des situations plus cocasses et vertigineuses les unes que les autres, c’est évident…
Nous allons tenter d’analyser, du plus près possible, les rêves de Gaston, sommet visuel de la série. L’argument en est simple : quelque part en Polynésie, un bateau fait naufrage. Jeanne et Gaston, tous deux naufragés, atteignent une île paradisiaque sur le dos d’un requin, maîtrisé à l’aide de sa ceinture par notre gaffeur. Réchappé du désastre, le chat et la mouette les y rejoignent. Les « Robinson de l’amour  » vont-ils pouvoir vivre leur nouvelle vie à leur rythme ? Non, car le courrier perturbateur arrive avec Prunelle, ou bien Mr De Mesmaeker se déplace pour signer les contrats au moment ou les deux amoureux vont s’installer dans un nid douillet! Et Gaston de se réveiller, en sursaut…Ce qui est dangereux, c’est bien connu, surtout pour l’importun : Gaston flanque un monumental coup de pied aux fesses de Mr de Mesmaeker ! Les contrats ne seront jamais signés…

Regardons de plus près « la rêverie 1 », la planche où le couple débarque sur l’île enchantée : 4 bandes de 9 cases au total. 7 des cases n’ont pas de bordures précises, simplement des hachures qui figurent les rêves, 2 en ont, rappelant la réalité. La case 2 de la bande 3 est typique de ces rêves : la plage avec la mer, du sable et des arbres.. Une Jeanne, à la chevelure aussi exubérante que la végétation est humide, est assise sur un tronc de palmier, en haut duquel Gaston est monté pour essayer d’apercevoir quelque chose. Lui est debout, vu de profil, le nez au vent. Il est un peu agité. Jeanne est montrée dans une posture d’un volupté brûlante : un corps superbe, les genoux se touchant, les jambes parfaites, son appendice nasal trop long, dressé, devenant un ornement de son visage, à l’instar de ses lunettes. Sa robe jaune moulante épouse les détails de son corps que sa munificente chevelure rousse accentue. Tout y est sous-jacent, sans le moindre mot sur le sujet. Franquin a esquissé là un autre univers que ceux qu’il côtoie habituellement. C’est, au sens littéral du terme, merveilleux.

Analysons « les rêveries 2 et 3 » qui forment un ensemble. Le couple se tenant par la main se promène sur l’île, enchantée et déserte, où l’eau coule en abondance, où les arbres donnent des fruits superbes, où les fleurs sont d’une beauté étonnante, où les oiseaux et les insectes sont accueillants, où tout ce qui vit est d’essence esthétique…
Le paradis perdu ? Le reflet d’un âge d’or plus ancien ? Peut-être un peu mais secondairement : c’est surtout le reflet d’une utopie personnelle forgée par l’imaginaire de l’auteur…Décidément, l’idée d’un monde idéal est une constante, une résurgence permanente chez Franquin !
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Continuons notre visite des lieux. Ils se baladent au cœur d’une végétation luxuriante. Le moment où Jeanne prend sa douche sous la cascade, nue car on voit sa robe aux mains de Gaston, en prononçant ces mots choisis : « Après toute cette eau de mer, vous verrez, c’est délicieux de se dessaler  » fait hurler de rire le lecteur, c’est vrai, mais en appelle aussi à sa libido… Idem pour cette réflexion de la belle enfant à Gaston : « maintenant nous avons toute la vie devant nous ».|center>

Derniers dessins que nous analyserons : ceux montrant « le nid » construit par Jeanne et Gaston, un nid si proche de celui des marsupilamis… On le voit de jour, puis de nuit quand le couple s’apprête à aller y dormir, ou y coucher… C’est d’une efficacité graphique inimaginable chez tout autre dessinateur que Franquin.

L’artiste atteint là, avec les rêves de Gaston, un sommet historique du graphisme le plus éternel qui soit. [**C’est l’œuvre d’un génie appelé Franquin*]. C’est aussi une sorte d’asymptote vers laquelle tendent tous les dessinateurs… Et que bien peu approcheront. Tout y est beau, doux, agréable, parfait. 
Mais la perfection n’est pas de ce monde. Comme expliqué plus haut, depuis «  QRN sur Bretzelburg » des germes de destruction massive se multiplient chez l’artiste, entraînant son dégagement de la série Spirou, puis une insatisfaction chronique suite à sa dépression. On ne fait pas le chemin à l’envers : tout l’aspect positif de Gaston, où apparaissent de ci de là des exagérations graphiques dévastatrices, ne fait pas le poids face aux démons qui envahissent la personnalité de l’auteur.

Déjà en 1969/70 [**Hergé*], qui aimait beaucoup [**Franquin*], ne cachait pas ses inquiétudes sur l’évolution psychologique de ce dernier : «  J’ai peur que ses démons le détruisent » confiera-t-il un jour.**

[**Franquin*] commence par dessiner des monstres bizarres au hasard des festivals de BD, à la demande de son subconscient et des amateurs époustouflés.. .Puis ce seront les terribles « idées noires », ses fantasmes dessinés, ou plutôt mis en scène…

C’est  « Welcome in my nightmare » ( bienvenue dans mon cauchemar) en permanence. La cruauté, l’horreur, l’épouvante s’introduisent alors, non seulement dans le moindre dessin mais aussi dans la moindre ligne créée par Franquin. « Les idées noires » sont une apologie désespérée de l’horrible, de la peur, de la terreur, de la bestialité primitive et de la noirceur de l’Humanité.

Les dessins sont d’une qualité graphique inégalée et inégalable, mais totalement insupportables à un esprit humain normal. Elles exercent un attrait « diabolique » sur le psychisme du lecteur, en même temps qu’une réaction de rejet complet. C’est l’enfer à la portée de chacun… Et chacun se doit d’adopter une position.

Celle de l’auteur de ces lignes, ce fut la surprise de la découverte d’abord, un attrait passionné ensuite, puis vint l’écœurement et finalement l’envie de vomir avec l’accumulation des excès des « idées noires »… Que l’auteur arrêtera sans en donner de raison. Peut-être ressentait-il que ses démons étaient en train de le dévorer…
La plus exceptionnelle de toutes les qualités supérieures que possédait Franquin, et il les avait quasiment toutes, c’est la vie. La force, la puissance de vie que dégagent ses dessins n’ont jamais eu, et n’auront jamais, d’équivalent.

Ce n’est pas faire injure à Franquin de le dire: à la fin de son existence ses capacités de dessinateur avaient faibli. C’est majoritairement le cas des grands créateurs. Il était mal à l’aise dans sa peau car il se savait la proie de cauchemars monstrueux. On ne peut que rappeler ici ce qu’inscrivit [**Goya*] sur la première gravure de ses « Caprices » : « le sommeil de la raison engendre des monstres  ». Un des plus grands peintres de l’histoire universelle souffrait du même mal que le plus grand dessinateur du vingtième siècle. C’est la source commune de leur génie, très différent. Tous deux ont inventé des mondes uniques qui fascinèrent les hommes de leur temps comme ils fascineront, pour l’éternité, l’espèce humaine. Sans doute était-ce le prix à payer pour une créativité hors-du-commun…

[**Jacques Tcharny*]|right>


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*Notes:

nous consacrerons un article spécial au personnage de Spip.
**Entretien avec l’auteur de cet article, vers 1969/70.


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