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Jean Teulé : Contre la pénurie des sens

par Jean-René Le Meur

Jean Teulé, j’ai 12 ans je vois ce grand machin débouler dans l’Assiette Anglaise. Coup de foudre in media. Puis on se croise à plusieurs reprises dans le Marais ou près de Bastille dans ses livres et à la télé. Il fait partie de ma vie. 

Quand on finit un livre de Teulé on est tristes comme quand on accompagne un copain à la porte après une bonne soirée. 

Il est mort cette semaine, je suis choqué… Choqué, mais même pas triste. Très étrange. Mais « du coup » j’ai mis du temps à écrire ces lignes. 

D’abord Teulé c’est un corps, un grand machin dégingandé au sourire affiché. Un géant bienveillant et rigolo. Une toise souriante.

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Ensuite Teulé c’est une voix. Dégagée de tout, calme et bienveillante, une voix plus grave que celle de son ami d’enfance Jean-Paul Gaultier. Ecoutez les deux Falbalas et Echalas. Ils ont la même gouaille et des phrases qui finissent souvent par « et tout ». Cela m’a toujours ému ce « et tout » pudique peut-être à la fois définitif et ouvert sur un monde peut être un peu trop grand. 

Enfin Teulé c’est une plume vive, simple et précise. 

Et c’est ce qu’on aime chez lui, une rigueur historique, des petits bouts de lorgnette qui deviennent universels. C’est de lire comme si on écoutait un podcast ou comme si mieux, on discutait à la brasserie du coin en buvant des coups. Et même qu’on aurait parlé Azincourt ou Charly 9 et rigolé sur la connerie des nobles et de leurs certitudes. 

Jean Teulé
Jean Teulé. Dédicace. Encre de Chine

Qui peut se targuer de vous avoir fait rire en le lisant ? 

Au final peu d’écrivains, ya Teulé les p’tits potes. 

Teulé c’est un délice dans le caniveau, du beau dans la grossièreté, un oeil dans le brouillard. 

Jean Teulé, c’est l’écrivain des sens. Il n’y a pas une page sans un frisson, une odeur, un sens titillé. On est dedans à chaque fois. Deux mots suffisent, il sont justes et précis. 

Et puis il décale tout le temps, par peur de l’ennui. Un bon mot, un calembour ou une phrase hors contexte un peu grossière, histoire de ne pas péter plus haut que son cru. 

Un peu grossier c’est vrai parfois un peu trop… Mais en la matière après tout « enough is not enough ». Je le confesse « Héloïse, ouille » fut pour un moi un peu too much ; un vieux fond catho sans doute. 

Mais passez votre chemin, si vous n’aimez pas qu’on parle des princes qui aiment «  se vider les noyaux » au milieu du champ de bataille ou dans la Galerie de Diane. 

Car mortecouille, mordious, crénom, il sort du cadre l’ami Teulé. Le type, il est en bonne santé, tout va bien pour lui a priori, quelques centaines de milliers de bouquins vendus ; le toit du monde. Il meurt à cause de boulettes. Conneries de boulettes. Ya pas à dire, il est unique. Il est hors cadre. 

C’est ce qu’on aime évidemment. Sortir du cadre gonflé pour un écrivain, dessinateur de BD de surcroît. 

Et puis, ben oui, il y a des dessins dans ses bouquins. Vous savez comme quand on était petits dans « Le Tour du Monde en 80 jours ». Il fait voyager aussi Teulé.

Teulé c’est un des écrivains les plus populaires de sa génération, en apesanteur face aux diktats des élites qui le regardaient en biais. Il écrivait juste pour « parler » au plus large, c’est suspect. « Suspect c’est pire que lèche cul » disait Coluche et ben lui il s’en foutait Jean surtout qu’il mesurait 2 mètre le gars. Alors regarder de haut un type comme ça pensez-vous. Il était au-dessus de la mêlée des vrais vulgaires.

Jean, il écrivait pour raconter des histoires et par ce que « écrivain, y a pas de réveil » 

Et sans lui et bien des adolescents n’auraient connu ni Villon, ni Verlaine, Ni Rimbaud. Oui ça fait trois NI et alors ?

Jean c’est un passeur, un passeur d’histoires, un passeur d’Histoire. 

Il luttait contre la pénurie des sens.

Merci Monsieur !

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