Voici un livre qui n’est que le résumé du film, Olympe de Gouges une femme dans la Révolution, l’une des figures emblématiques de cette période bouleversée. Ce n’est pas, loin de là une biographie, mais plutôt, une histoire sur un fond historique autour d’une personne ayant existé (il suffit de voir le nombre « de peut-être », «cela aurait pu être », etc. qui parsème ce livre). C’est aussi un film, donc d’une histoire et d’une histoire à thème, défendant, de fait une thèse et donc ne s’occupant surtout pas (ou à peine), des autres aspects de la personnalité et de l’œuvre d’Olympe de Gouges. De fait, ce qui sous-tend tout cela est l’icône féministe qu’elle est devenue progressivement tout au long du XXè siècle (elle n’était connue au XIXè siècle que de quelques érudits autour de son œuvre littéraire) et surtout à notre époque avec le triomphe du féminisme militant.
Et de fait, elle est devenue, sûrement à son corps défendant, cette icône à cause d’un texte, la fameuse Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. C’est un peu court quand on voit l’étendue de l’œuvre littéraire (essentiellement des pièces de théâtre) et d’autres écrits politiques de 1789 à 1793. C’est en quelque sorte, résumer l’œuvre de Shakespeare au Marchand de Venise, de Céline à l’ignoble Bagatelle pour un massacre, de Victor Hugo aux Trois odes du sacre ! De plus, ce coup de génie qu’est cette déclaration doit être mise en relief avec cette fin du XVIIIè siècle où le statut de la femme, même s’il était en recul depuis la Renaissance est bien plus « libéral » que ce qu’il va devenir au siècle suivant.
A cette époque, des femmes qui se mêlent à la politique, il y en a. Pas de façon aussi ouverte que comme on le conçoit de nos jours, mais pensons à Ninon de Lanclos, Madame Helvétius ou Madame du Deffand. Et que dire des femmes sous la révolution : Charlotte Corday qui s’insurge contre un tyran, Théroigne de Méricourt qui fut la grande figure féminine de la Révolution jusqu’à peu, Madame Rolland, Madame de Staël et bien d’autres.

De fait Olympes de Gouges n’est qu’une figure particulière de cette époque, mais grâce à sa déclaration, elle n’est pas passée aux oubliettes de l’Histoire comme tant d’autres qui se sont engagées sincèrement, totalement dans la Révolution.
C’est ainsi que toute sa vie montre qu’elle est bel et bien un personnage de XVIIIè siècle, avec sa culture, ses mentalités. Marie Gouze, née à Montauban, est la fille d’un maître boucher et bourgeois de cette ville et non la fille bâtarde d’un rejeton de la famille Lefranc de Pompignan, une branche de la noblesse locale, proche de sa famille. Mais peu importe, elle n’est pas sans une ambigüité près. Mariée et veuve très jeune avec un fils, elle dit n’avoir jamais aimé son mari dont le principal défaut était qu’il « n’était ni riche ni bien né », c’est dire qu’elle avait déjà une très haute estime d’elle-même !
Elle part à Paris et commence à écrire. Surtout pas sous son nom mais sous le pseudonyme d’Olympe de Gouges : à cette époque avoir une particule donnait une place supérieure dans la société, c’était une sorte de marque de sérieux aux yeux des lecteurs. Des femmes écrivains, il y en a beaucoup à cette époque, mais elle écrit essentiellement du Théâtre et est même jouée à la Comédie Française ! Elle a une vie privée « libre », et de fait se fait entretenir par ses amants dont le principal Jacques Biétrix de Rozières, va jusqu’à lui donner 70 000 francs devant notaire, une fortune pour l’époque. Au siècle suivant, sa façon de vivre (qui n’a rien d’original à son époque) lui aurait valu l’appellation (assez dévalorisante) de demi-mondaine.
Elle est une femme des Lumières, et comme beaucoup de personnes de son temps a pour Dieu Jean-Jacques Rousseau. Mais pas tout Rousseau, c’est le moins que l’on puisse dire, elle oublie qu’il est le grand penseur de la tyrannie (n’oublions pas que c’est à sa lecture que Lénine trouve les fondements de la dictature du prolétariat) et qu’il est d’une totale misogynie. Un comble, ce sont des rousseauistes, au nom de la pensée du grand homme, qui vont la briser, l’exécuter et placer les femmes sous une certaine forme d’esclavage !
Olympe s’engage, elle s’engage sincèrement, avec toute son énergie et passe son temps à faire ce qu’elle sait le mieux faire : l’écriture. C’est un déluge d’adresses aux élus, de pamphlets, d’affiches. La déclaration des droits des femmes n’est qu’un minuscule caillou dans sa production. D’ailleurs, il n’y a aucune allusion à celle-ci lors de son procès (totalement inique). Je ne vais pas être long sur ce texte, où l’on perçoit les paradoxes non seulement de sa pensée, mais de la culture de son époque. Il suffit de lire les travaux de l’Assemblée Constituante : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen met un H à homme, les constituants s’adressent à toute l’Humanité et non à un sexe, c’est bien pour cela qu’elle est universelle et intemporelle. Et n’oublions pas que c’est un texte très rousseauiste !
Ce qui est certain, c’est qu’Olympe de Gouges s’engage, prend à la lettre les concepts d’égalité et de liberté : elle est contre l’esclavage, pour l’égalité des peuples, pour l’égalité des sexes, tout en reconnaissant que « naturellement » la place des femmes est avant tout au foyer. Elle est contre toute forme de violence. Elle est royaliste, puis avec la république, une fervente girondine. C’est pour son engagement fédéraliste qu’elle sera condamnée. Il est dommage qu’Olympe de Gouges ne soit résumée que par un mouvement féministe qui essaye, parfois, de faire du wokisme et d’oublier l’immense partie de son œuvre et de sa personnalité.
Par bien des aspects, elle ressemble à une autre femme de son époque qui était tout aussi excessive : Jeanne de la Mothe Valois (dont dernièrement il y a eu une recension critique de sa biographie parue dans WUKALI) (Cliquer) : une femme qui veut sortir de son milieu, à une époque où la société était divisée en « Etats », pour atteindre la classe privilégiée la noblesse. Si Jeanne était issue de ce milieu mais n’en avait pas les bénéfices, Olympe, quant à elle s’invente une sorte de noblesse pour pouvoir exister.
Ce qui est certain, c’est que ce livre et le film sont là pour nous inciter à découvrir qui était véritablement Olympe de Gouges et ce à quoi elle a consacré sa vie : son théâtre et ses écrits politiques.
Olympe de Gouges
Florence Lotterie et Elise Pavy-Guilbert
éditions Flammarion. 22€
Illustration de l’entête, aquarelle anonyme d’Olympe de Gouges. © AFP – Photo Josse / LeemageMusée du Louvre
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