A painter of Belle Epoque dreams rediscovered


Les peintures de Gaston La Touche reprennent vie au musée des Avelines à Saint-Cloud. Si son évocation réveille quelques réminiscences concernant la Belle Époque, son oeuvre reste aujourd’hui largement méconnue. L’Histoire de l’art recèle des noms de nombres d’artistes dont la mémoire des oeuvres, pour de bonnes ou mauvaises raisons, ne s’est pas inscrite dans la mémoire collective et dont l’évocation s’est perdue dans l’écheveau du temps. Il arrive parfois que le nom de l’un d’entre eux émerge à la faveur d’un travail de recherche académique ou muséographique. Les oeuvres de quelques peintres sont connues parfois bien longtemps après leur mort; ce sont ceux que Maurice Serrulaz, appelait« les peintre maudits», et qui une fois les miasmes de leur temps contemporains évaporés, renaissent parfois rayonnants et respectés. Paradoxe de l’histoire Gaston La Touche est plus connu en Grande-Bretagne qu’il ne l’est en France, à tel titre que près d’une trentaine de toiles exposées avec celles venant des grands musées français, tels le musée d’Orsay, le Petit Palais ou les musées des Beaux-Arts de Rouen, Reims ou La Roche-sur-Yon, proviennent de collections londoniennes!

L’itinéraire de Gaston La Touche est celui d’un artiste curieux, largement autodidacte et cette exposition arrive bien à propos, comme une célébration près de cent ans après sa mort ( né à Saint Cloud en 1854 et mort à Paris en 1913).

En 1870 il a 16 ans et ses parents quittent précipitamment Paris avant que les Prussiens ne l’assiègent, et filent s’installer en Normandie. Finis alors les cours privés de peinture, il devra sur le métier seul redoubler son ouvrage et acquérir par lui-même les bases artistiques. Peu à peu il se lance dans le métier de peintre et développe son talent dans une veine réaliste, voire vériste, inspirée du monde villageois des campagnes, presque régionaliste, et très proche de la peinture hollandaise. Les tons sont sombres, tristes et sans éclat.

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Il n’a reçu aucune formation à la peinture sauf faut-il le souligner (et la mention est impressionnante) les conseils d’Auguste Renoir et surtout ceux de Félix Bracquemond ( surtout connu pour son oeuvre de graveur et introducteur de la peinture japonaise en France, il contribua d’ailleurs et c’est d’actualité à Paris au renom de Hokusai).

A son retour à Paris après la Commune, il fréquente le milieu artistique de la Nouvelle Athènes et c’est là-même qu’il rencontre Manet, Degas et toute la fine fleur de la nouvelle génération d’artistes et de peintres qui inscriront Paris à jamais dans l’histoire de la peinture et bien entendu de l’Impressionnisme. Félix Bracquemond lui conseille d’éclaircir sa palette et c’est la révélation pour La Touche qui découvre à travers cette transformation l’oeuvre de ses illustrissimes devanciers qui s’appellent Watteau ou Fragonard. Il fréquente régulièrement le cercle amical initié par Bracquemond et c’est là qu’il fait pareillement la connaissance d’Alfred Sisley ou de Henri Fantin-Latour.

C’est alors dans ses oeuvres le triomphe de la couleur qui exalte ses scintillements dans des tableaux de fêtes, de jeux d’eau dans les jardins du château de Versailles (qu’il adorait). Si certes la critique d’art s’autorise parfois à des comparaisons entre les artistes et leurs oeuvres afin d’étayer un raisonnement et les distinguer ipso facto les uns des autres, on ne peut s’empêcher de retrouver dans les peintures de Gaston La Touche des réminiscences de Renoir, de Manet et même de Degas. On eût aimé une personnalité d’artiste et de peintre plus autonome et tranchée. Les scènes de parc et de fêtes évoquent le Jardin aux Tuileries de Renoir sans cependant en atteindre la force synthétique. Il reste encore chez lui cet esprit qui précédait l’impressionnisme, d’un style affecté et maniéré et qui eut son heure de gloire. Les arrière-plans évoquent les grands peintures murales de décoration pour de grands monuments ou institutions qui faisaient alors florès. Il lui manque cependant cette pointe d’originalité et d’identité qui fait les vrais génies, à cet égard il se comporte d’avantage en élève, en suiviste, en épitope de ses illustrissimes maîtres que furent les grands de l’Impressionnisme.

On ne peut aussi s’empêcher de le comparer au peintre Émile Friant (1863-1922) (qui si lui en revanche fut honoré de son temps, son oeuvre tomba dans l’oubli jusqu’à la grande exposition rétrospective du Musée de Nancy voilà peu d’années). Comparaison non point pour le style, ils sont très différents, mais pour cette soif d’essais de techniques picturales, et ce désir de s’inscrire dans la mode du temps. En effet Gaston La Touche a une aisance avec la couleur, il travaille avec brio, ses peintures sont indubitablement belles et séduisantes, colorées, vives, joyeuses, mais il reste toujours en deçà de lui-même n’arrivant pas à se débarrasser des tropismes doucereux qui précédèrent l’impressionnisme. Tout comme Friant d’ailleurs, il s’essaie à différents procédés, mais reste suiviste par rapport au modèle subliminal envisagé ( C’est patent dans Le Tub largement inspiré du tableau de Degas). Il reste parfois dans l’anecdotique (cf. Le pardon ou l’éternel mensonge)

The final Touch disent nos amis anglais, c’est ce qui lui manque. C’est toute la différence entre un maître et ses élèves, entre l’initié et celui qui voudrait tellement l’être mais ne le sera jamais, entre les Davidsbündler de Schumann et les Philistins, sectateurs de la tradition. Sa touche ( si j’ose ainsi dire) est sûre, juste et porte la couleur vers l’effet recherché, ce n’est pas pour rien d’ailleurs qu’on inscrit sa mémoire dans celle de la Belle Époque, celle d’un temps de bals, de fêtes, cependant il lui eût fallu un recul, une distanciation, comme Flaubert qui passait ses écrits au gueuloir, pour supprimer de ses toiles ces afféteries qui dérangent. La force d’une idée n’a pas besoin d’effets, fussent-ils décoratifs ! Gustave La Touche a un vrai talent et l’on peut aussi découvrir parmi les toiles représentées une oeuvre prémonitoire ou cyniquement auto-critique qui sait ? Le peintre de génie ou Le peintre célèbre. On y voit un singe peignant un beau modèle féminin vu de dos. Certes l’idée est déjà ancienne ( Cabinet chinois du musée Condé à Chantilly ou caricatures d’Honoré Daumier), plus intéressant est le personnage féminin peint sur la toile, c’est presqu’un Matisse... !

Voila, la boucle est bouclée, l’exposition du musée des Yvelines à Saint-Cloud est de très grande qualité et riche d’un très grand nombre de toiles ( il est aussi opportun de signaler les très beaux portraits). Une telle réalisation n’a pu être rendue possible que par un vaste travail muséographique de recherches en amont qui a nécessité plusieurs années. Il faut en féliciter les conservateurs qui ont réussi à obtenir de moult musées et collectionneurs privés le prêt de tableaux. C’est l’honneur des petits musées et ceux de province, faut-il le souligner, de pouvoir ainsi travailler d’excellence à l’organisation d’expositions qui bien souvent ont un retentissement qui dépasse largement les frontières de leur installation géographique et territoriale. Ainsi revient en lumière et c’est une grande chance pour les amateurs d’art, l’oeuvre de Gaston La Touche, peintre français aujourd’hui oublié, et qui mérite sans nul doute d’être reconnue. Bravo Saint-Cloud !

Pierre-Alain Lévy


Illustration de l’entête: L’entracte. Gaston La Touche. Huile sur toile 104cmx160cm, vendu par Sotheby’s Londres en juin 2006, courtesy APA Fine Arts, © DR


WUKALI 25/11/2014


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