Juridical procedures to regain a famous painting by Vincent Van Gogh owned by Yale university


C’est une de ces batailles juridiques qui opposent aujourd’hui l’héritier d’un grand collectionneur russe à la Cour Suprême des USA. Elle concerne la demande de restitution d’un tableau de Van Gogh, et pas des moindres, que l’on peut admirer dans une prestigieuse institution américaine! Il s’agit du Café de nuit , réalisé à Arles en septembre 1888, une peinture à l’huile de 72.4 x 92.1 cm, accrochée aux cimaises de la Yale University Art Gallery et estimée à 200 millions $ (pour le moins!). Ayant été la propriété d’un grand collectionneur russe, Ivan Morozov, elle connut certaines vicissitudes et fut vendue en 1933 par les autorités soviétiques à une galerie de Berlin. Peu de temps après elle se retrouva en Amérique, achetée par une galerie de New York avant de rentrer rapidement dans la collection du riche magnat américain Stephen Carlton Clark, homme de presse et mécène, petit-fils de l’inventeur des machines à coudre Singer.

Comme un certain nombre d’ histoires ayant trait aux vies d’une oeuvre d’art et de ses propriétaires successifs, celle ci est particulièrement entortillée et cette demande en restitution s’inscrit dans un juridisme procédurier dont la complexité repose sur des considérations d’ordre politique et l’ambiguité née de la confusion entre URSS et Russie. Tentons donc d’y voir clair !

C’est un curieux phénomène, mais il y existe une propension occidentale à oublier, voire à négliger le monde russe, une tendance imbécile à exclure la Russie de l’Europe. Cette Russie que Pierre Ier, grand tsar s’il en fut, voulait tant ancrer dans ce continent péninsulaire. Quand dans le domaine de l’histoire de l’art qui nous intéresse particulièrement, l’on évoque les grandes collections, celles qui ont permis de reconnaître et de célébrer les plus grands artistes, on listera certes les italiennes de la Renaissance, celles des rois de France, des souverains anglais dont S.M Elisabeth II est l’actuelle héritière, celles certes de différentes dynasties régnantes européennes, bien entendu on ne manquera pas de citer les grands collectionneurs français du vingtième siècle et ces Américains amoureux de Paris et de la France qui ont contribué tant et tant à l’émergence de l’art moderne, de l’impressionnisme et du cubisme( Clark, Philipps, Guggenheim, Stein etc). Les plus érudits des amateurs d’art évoqueront peut-être le japonais Matsukata Kôjirô, très rares en revanche seront ceux qui citeront les noms des immenses amateurs et collectionneurs russes du début du vingtième siècle que furent Ivan Morozov et Sergueï Shchukin. Stupéfiante carence culturelle quand on connait la fabuleuse et scintillante richesse de leurs collections. Et pourtant il suffit aujourd’hui d’arpenter le musée de l’Ermitage par exemple pour comprendre !

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Immenses ces collectionneurs russes n’est ce pas, et je serais tenté de dire qu’il s’agit d’un euphémisme tant leur curiosité, leur goût, leur intuition, leur intelligence, leur amour et leur respect des artistes tout particulièrement français, le tout bien entendu adossé sur de solides fortunes, leur permirent d’acquérir et de constituer des collections qui ne craignons point le mot sont muséales, c ‘est à dire qui portent une telle richesse et une telle diversité qu’elles s’inscriraient parfaitement dans l’organisation d’un musée, ce qui sera d’ailleurs plus tard bien naturellement le cas, mais n’anticipons pas !

Pour recadrer mes propos dans le cadre de cet article consacré à la querelle juridique autour du Café de nuit de Van Gogh, et je ne m’égare pas, quelques mots encore sur Ivan Morozov qui en fut le propriétaire jusqu’à ce que la Révolution bolchévique arrivât et que quelques années plus tard l’oeuvre connut d’autres horizons, ce dont nous allons traiter.

Son grand-père, Savva Vasiliev, était un serf affranchi, une de ces «âmes mortes» dont parlait Gogol, et qui réussit par son travail opiniâtre à acquérir sa liberté et celle de sa famille pour 17.000 roubles. Le père d’Ivan Morozov fit fortune dans l’industrie textile, le tissage et la teinture. Les autres frères d’Ivan (une fratrie de trois) étaient aussi sensibles à l’art contemporain et collectionneurs, tout particulièrement Mikhaïl qui s’intéressait à l’art français comme à l’art russe, hélas il mourut prématurément.

Ivan Morozov se rendait à Paris très souvent, en moyenne deux fois par an et visitait goulument et avec gourmandise les grandes galeries d’art telles Durand Ruel ou Ambroise Vollard ainsi que les ateliers des peintres qu’il aimait à fréquenter. C’est au Salon des indépendants qu’il se lia d’amitié avec Maurice Denis et lui acheta en 1907 par exemple Printemps sacré à Guidel. Son goût était sûr ! Dans les rares courriers qui nous restent de lui il affiche à maintes reprises sa passion pour l’oeuvre de Cézanne . Son immense collection comprenait les plus grands peintres et tous en nombre: C. Monet, A. Renoir, P. Gauguin,V. Van Gogh A. Sisley, H. Matisse, M. Chagall mais aussi les peintres russes : Alexandre Golovin et Konstantin Korovin.

Rentrons donc maintenant dans le vif du sujet et examinons tous les événements qui depuis l’achat du Café de nuit en 1908 par Ivan Morozov, aboutirent à la vente de l’oeuvre en 1933 au collectionneur américain Stephen Carlton Clark. C’est l’objet même du bras de fer juridique initié par l’arrière petit-fils dd’Yvan Morozov, Pierre Konowaloff auprès de la Cour Suprême américaine.

-Novembre 1917. Lors de la prise de pouvoir par les bolchéviques, ceux-ci se déclarent aussitôt comme seul gouvernement légitime de la Russie. Par décret ( décret sur la terre) la propriété privée est abolie, et la propriété confisquée est déclarée appartenir au Peuple

-19 décembre 1918. La République socialiste fédérative soviétique de Russie, qui deviendra en 1922, l’URSS, déclare que les collections d’art appartement à différents citoyens russes ( dont celles appartenant à Yvan Morozov…) sont désormais nationalisées et ipso facto propriété de l’état. Il s’en suit que les collections sont saisies. Morozov est broyé, moralement touché, il est autorisé ainsi que sa famille à quitter la Russie

-Mort d’Yvan Morozov à l’âge de 49 ans, le 21 juillet 1921 à Carlsbad. Sa dépouille est transportée à Paris et inhumée ( on ne sait d’ailleurs pas à quel endroit) . La maison de famille des Morozov à Moscou est transformée en musée d’art moderne et en 1923 la collection Shchukin y est ajoutée.

-1928-1933. L’URSS expose Le Café de nuit au musée d’art moderne de Moscou. L’Office central d’état pour le commerce des Antiquités vend l’oeuvre à la galerie Matthiesen de Berlin. Selon Madame Irina Nikiforova actuelle directrice de la Galerie Tretiakov et répondant à un interview dans le journal The Moscow Times, 59 oeuvres fut alors soustraites des collections Morozov et Shchukin pour être vendues à l’étranger et remplir ipso facto les caisses de l’état soviétiques alors bien vides.

-1933. Après que la galerie Matthiesen ait vendu le tableau à la galerie Knoedler à New-York, celui est acheté par Stephen Carlton Clark. La peinture sera mise à disposition et exposée gracieusement dans différentes musées américains et ce jusqu’à la mort de S. C. Clark qui survient en 1961. En vertu d’un acte testamentaire, Le Café de nuit est attribué à l’université de Yale.

-1948 Les autorités soviétiques ferment le musée d’art moderne, considérant que les oeuvres qui y sont exposées relèvent du« formalisme» et que« l’art était l’ennemi du peuple par nature». Les oeuvres sont partagées entre le musée Poutchkine et des beaux-arts de Moscou et le musée de l’Ermitage de Léningrad ( Saint Petersbourg).

-à partir de 2002. L’arrière petit-fils et héritier d’Yvan Morozov, Pierre Konowaloff, et vivant à Paris, s’insurge que ses aïeux n’aient point bataillé pour retrouver les biens dont ils furent spoliés. Il engage alors des procédures devant la justice américaine, tout à la fois contre le Met à New-York en 2008 pour récupérer un Cézanne «Madame Cézanne au conservatoire» qui faisait partie de la collection de son arrière grand-père, et assigne en justice pareillement en 2009 l’université de Yale pour ce qui a trait au Van Gogh. Les Cours considèrent alors que sa réclamation est infondée et s’oppose à la doctrine d’état (1) voir note suivante (2) précisant que les tribunaux américains ne peuvent point extrapoler les politiques des états souverains. Par ailleurs en 1918 le gouvernement américain n’avait pas reconnu l’état soviétique, cela n’interviendra qu’en 1933.

Devant cette muraille de juridisme opposé, Pierre Konowaloff change alors de tactique. Il ne s’intéresse plus aux conditions de réquisition et de nationalisation des biens de son arrière grand-père par les autorités communistes en 1918, il estime alors que la vente du Van Gogh en 1933 était illégale et que la vente du Café de nuit de la galerie Matthiesen à Berlin à la galerie Knoedler à New-York qui revendra illico le tableau à Clark n’était qu’un montage frauduleux. Il étoffe son argumentation mise au point par les juristes qui l’entourent et qui en l’espèce ont travaillé d’arrache-pied sur les archives, en soulignant qu’on n’a pas trouvé en Russie de traces de la vente alors qu’il existait bel et bien à l’époque un dispositif juridique et administratif permettant d’exporter des oeuvres d’art. Il en conclut que Stephen Carlton Clark n’avait donc aucune légitimité à acquérir l’oeuvre.

Pour la cour d’appel, le fait que Konowaloff ait abandonné le motif de l’expropriation de 1918, démontre qu’il l’accepte donc et qu’on ne peut donc poursuivre plus avant et toute ses réquisitions devenant ipso facto lettres mortes, nulles et non advenues, confortant ainsi la propriété de Yale.

Si Pierre Konowaloff, défendu par Maître Allan Gerson de Washington, a perdu sa cause devant la 2ème Cour d’appel, il envisage désormais de porter sa requête auprès de la Cour Suprême américaine.

Un juridisme procédurier, disais-je au début de cet article ?

Pierre-Alain Lévy


1- Yale University v. Pierre Konowaloff, No. 3:09-cv-00466, stayed (D. Conn. 1 November 2011); granting summary judgment (D. Conn. 20 March 2014), p. 7, para. III. The US broke off formal diplomatic relations in the initial stages of the Bolshevik Revolution, but it recognised the de facto government formed under Vladimir Lenin and the subsequent Soviet governments. Ibid., p. 8, para. III.

2- The Act of State doctrine was the ultimate determinant of this case. Judging on the legality of expropriation of cultural property outside their jurisdiction is avoided by US courts. However, Konowaloff’s lawyer stated that the “trend by US courts has been to invalidate confiscations of art”.[27] He was probably referring to the case Maria Altmann v. Republic of Austria and its progeny.[28]


WUKALI 11/03/2016
Courrier des lecteurs : redaction@wukali.com
Illustration de l’entête: Le café de nuit de V. Van Gogh. Yale University Art Gallery

Nota: une maladresse technique n’a pas permis que toutes les illustrations dans la galerie photo soient identifiées. Il s’agit donc dans l’ordre : photo 5 Nature morte et draperie de P. Cézanne, photo 6 Paysage bleue de P. Cézanne, photo 13 Nu au miroir de Pierre Bonnard, photo 15 Fille et porcelaine d’Alexandre Golovine, photo 18 portrait d’Yvan Morozov par Constantin Korovine,


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