An outstanding nude by Ingres, to be seen at Louvre museum

La Grande Odalisque est une des peintures les plus admirées du musée du Louvre, [**Jean-Auguste-Dominique Ingres*] (1780-1867) a peint ce tableau en 1814 à[** Rome*] : il est daté, situé et signé. C’était une commande de [**Caroline Murat*], sœur de Napoléon Ier et reine de Naples. Il s’agit d’une huile sur toile de dimensions 91×162 cm.

Ingres, chantre de l’académisme, fut l’élève doué de[** David*], le Maître du néo-classicisme, l’académisme étant considéré comme une formule, un peu figée et moins imaginative, du néo-classicisme. Le tempérament artistique du jeune homme fut accepté et favorisé par son père, lui-même peintre. Il gagna le Grand Prix de Rome en 1801, avec «  Ambassadeurs envoyés par Agamemnon à Achille, pour le prier de combattre ». Il passera de nombreuses années dans la Ville éternelle et il aura une longue carrière, au cours de laquelle il recevra toutes les récompenses possibles : membre de l’Institut, directeur de l’Académie de France à Rome, sénateur d’Empire sous Napoléon III, Grand officier de la Légion d’honneur… Son œuvre est présente dans tous les grands musées du monde. L’expression «  violon d’Ingres » est issue de son goût pour cet instrument de musique, qu’il pratiquait journellement.|right>

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Le mot Odalisque est d’origine turque, signifiant «  femme de chambre du harem du Sultan ». Ce qui implique la présence d’objets et d’éléments rappelant l’Orient tels un éventail aux larges plumes de paon dont les ocelles caractéristiques sont facilement reconnaissables, un turban épais aux couleurs moirées dont on imagine sans peine le parfum capiteux, un petit coffret à joyaux ou à matériel de fumeur(?), une longue pipe à opium typiquement moyen-orientale, des bijoux qui sont d’authentiques «  fantaisies des Mille et une nuits »…

L’observateur inexpérimenté pourrait penser que l’esprit élevé de l’orientaliste domine le tableau mais c’est faux : l’Orient rêvé d’Ingres est un Orient onirique, fantasmé, issu directement des sommeils chimériques de l’artiste. Il n’a rien à voir avec l’Orient réel, tel que le découvrira [**Delacroix*] lors de son voyage au [**Maroc*] en 1832. C’est ce dernier qui a inventé l’Orientalisme pictural.

Rappelons que les orientalistes ont occupé la scène des salons tout au long du 19 ème siècle, les principaux, Delacroix excepté, furent [**Chassériau, Decamps*] et [**Dauzat*].
La vision poétique d’Ingres est un exotisme d’européen, tel que le concevait le 18ème siècle, mais un exotisme transcendé par son génie de dessinateur et de peintre. Car l’artiste base toutes ses recherches picturales sur des travaux de dessinateur surdoué. Pour lui, le dessin prime tout. Il affirme donc la supériorité de cet art sur la peinture, donc sur la couleur. Ces dernières peuvent être superbes, enchanteresses même, mais elles restent comprimées, soumises par la puissance de son coup de crayon. Chez lui, nous ne verrons jamais d’expansion colorées venir déborder les contours : l’imaginer serait de la science-fiction !|center>

Nous voici déjà au cœur du problème qui occupera tout le 19ème siècle artistique, dont tous les salons des années 1830/1870 ont été les organisateurs et les témoins, dont les conséquences se sont faites sentir jusque chez [**Picasso*] et [**Matisse*] : l’opposition totale entre les deux peintres. Si Delacroix comprenait et appréciait le génie de son adversaire, Ingres vomissait ce qu’il considérait comme un sacrilège, digne d’une apostasie, chez son rival : l’absence apparente de structure préparatoire, c’est-à-dire le manque de dessin sous-jacent. Mais il y a autre chose dans cette détestation pavlovienne : le sentiment confus, la certitude inavouée que Delacroix l’emportait sur lui par sa capacité particulière à rendre réel l’impalpable, l’immatériel, à transformer un sujet impossible en un instant d’éternité : « Le Massacre de Scio » en étant l’exemple type.

Le génie, incontestable et incontesté, d’Ingres est terrestre, hyper-réaliste, marqué de sa classe sociale. Sa main exquise nous séduit par les circonvolutions linéaires qu’elle crée. Ses couleurs, à leur maximum d’expressivité tonale, sont vibrantes, de merveilleux coloris qui satisfont pleinement l’œil ravi du flâneur cultivé qui parcourt un musée. C’est dans ce domaine qu’Ingres est le plus grand, qu’il atteint l’Universel par ses dons illimités mis au service d’un imaginaire limité, à la stupéfaction du spectateur érudit qu’il emporte dans un tourbillon de sensations visuelles, olfactives et gustatives…

Une caricature célèbre de l’époque montre un «  duel à outrance entre Monsieur Ingres, le Thiers de la ligne et Monsieur Delacroix, le Proudhon de la couleur ». Parfaitement reconnaissables, sur leurs chevaux (de bois?) respectifs, ils s’affrontent, lances en main, comme des chevaliers de l’époque médiévale, au cours d’un tournoi qui s’annonce homérique.|left>

Ce vieux débat existait à la Renaissance mais il serait absurde, et stupide, de penser que les peintres grecs de l’Antiquité l’ignoraient. C’est une controverse permanente liée à l’art de peindre. Il faudra attendre notre temps pour qu’apparaisse cette évidence : peu importe la manière du moment qu’existe le talent, a fortiori le génie.

Ingres nous propose la vision d’une femme nue de dos, lascive, d’un érotisme éclatant, se prélassant langoureusement, quasiment symbole de perversion, offerte à l’œil coquin du spectateur comme à la réprobation de sa compagne. Cette attirance visuelle a des origines connues et répertoriées : la « Vénus au miroir » de [**Vélazquez*], la « Vénus d’Urbin  » de [**Titien,*] ainsi que le sens de la ligne, et sa passion dévorante, exprimé par [**Raphaël*].

Le premier choc subi par le regard du spectateur, c’est la longueur invraisemblable de ce dos. Des médecins anatomistes consultés, les meilleurs quelle que soit la période, ont toujours eu le même diagnostic : le squelette de ce modèle dispose de trois vertèbres de plus que la normale !|center>

C’est durant son long séjour à Rome qu’Ingres inventera trois types de traitement du corps féminin : la femme assise (Baigneuse Valpinçon), la femme allongée ( La grande odalisque) et la femme torturée ( Angélique).

Ici l’angle formé par la jambe gauche est incroyable d’inexactitude. Idem pour la longueur insensée du bras droit : il est interminable. Attachons-nous maintenant au regard du modèle : il n’exprime absolument rien. Pas le moindre indice d’un tempérament quelconque, du caractère de cette personne, qui nous apparaît posséder la vie d’une poupée Barbie romantique. Ses joues fines semblent de faïence. Son sein droit, le seul visible, est d’une petitesse peu en harmonie avec sa taille. La cambrure de ses merveilleuses fesses, délicatement posées sur le drap blanc, se termine en une sorte de « gros cul » lourd et adipeux. Maintenant les pieds : de délicates pièces de porcelaine certes, mais complètement irréelles.

Alors quoi ? Pourquoi discourir sur une conception pareille ? C’est que ces déformations sont voulues par l’artiste, qui sacrifie tout, y compris le réalisme, à l’expression de la beauté, telle qu’il l’imagine. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les croquis préparatoires à ce tableau : ils montrent un personnage aux proportions correctes. Les imperfections apparentes sont des falsifications du réel, en l’occurrence méprisé par le peintre. Elles ne sont apparues que dans la création finale. Ingres ne s’intéresse pas au réalisme anatomique du nu mais uniquement à la beauté formelle qu’il peut en tirer, sa « substantifique moelle » en somme. C’est ce qui fait de l’artiste un novateur révolutionnaire, malgré son tempérament bourgeois parfois exécrable.

Ingres est alors âgé de 34 ans. Il est en pleine possession de ses moyens. Tous les aspects de sa peinture sont visibles ici : perfection technique, extrême précision du rendu des détails, sensualité débordante, déformations anatomiques, goût pour une certaine géométrisation des apparences. Que l’on s’approche du tableau et l’on s’apercevra d’une absence totale d’ombre ou de lumière. La forme ne vit que par le rythme imprimé à la ligne par le peintre. Cette « femelle de harem », d’une perversité qui n’a rien d’innocent, évoque d’abord l’attente de l’amour. Ce que ressent l’observateur mâle, lui faisant aborder des terres lointaines inconnues, tout au moins au 19ème siècle. Partiellement aussi, l’artiste réussit cet exploit par une mise en scène bien préparée grâce à la fluidité de la ligne décorative, qui devient arabesque délicate, en une prémonition de ce qu’elle deviendra au temps de « l’art nouveau » .|center>

Ingres suggère plus qu’il n’affirme dans cette œuvre : tous les codes de la décence occidentale y sont respectés, à la lettre comme en esprit, notamment par une certaine discrétion du strip-tease, autre nouvel apport de l’artiste. La peau de lait et les rondeurs de l’Odalisque, presque chaste, le soulignent bien. Une formule douce s’empare des volumes, l’espace qu’occupe le modèle est restreint et sans réelle profondeur. Les lourds drapés bleutés semblent d’une texture parfaite, ils reflètent l’esprit du sujet. La palette du peintre offre une symphonie de bleus profonds et de dorures mats qui imprègnent l’atmosphère d’un mystère éthéré et d’une harmonie froide et attirante.

Au final, un équilibre parfait saisi les milliers d’yeux, curieux et voyeurs, qui regardent cette beauté, chacun croyant être seul à la contempler, elle qui ne les voit pas.
La « Grande Odalisque  » fut mal reçue, incomprise par le public de son temps : elle était trop en avance car résultante d’une géométrie inconnue, ainsi que fruit d’une pente réflective inconsciente, freudienne, que l’époque ne pouvait que rejeter. Ingres souffrira de ce désaveu. Il en tirera les conséquences les plus immédiates en devenant l’illustrateur de sa classe sociale triomphante : la bourgeoisie de l’industrie, de la finance, du commerce. Soit les grandes familles qui commencent à dominer la France de cette période, au détriment des aristocrates terriens ou en se liant à eux par mariage. La République n’est pas encore au goût du jour bien que l’idée apparaisse timidement.

L’influence d’Ingres affectera, consciemment, Matisse comme Picasso qui dira de notre homme : «  c’est notre père à tous ».

[**Jacques Tcharny*]|right>


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WUKALI 30/08/2017. (Précédemment publié le18/03/2017)

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